1882 - Université Libre de Bruxelles
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la place <strong>de</strong> la justice, tout phénomène économique<br />
m’apparaît comme dérivant <strong>de</strong> l’opération<br />
<strong>de</strong> <strong>de</strong>ux facteurs irréductibles : le milieu externe<br />
et l ’homme avec ses besoins, ses tendances<br />
morales, son activité productrice. Comment,<br />
pour prendre un exemple saisissant, la théorie<br />
<strong>de</strong> la rente se sépürera-t-elle <strong>de</strong>s lois <strong>de</strong><br />
productivité <strong>de</strong>s agents naturels? Et ce rayonnement<br />
nécessaire <strong>de</strong>s lois du mon<strong>de</strong> physique<br />
dans le mon<strong>de</strong> économique n’impose-t-il pas à<br />
la science ce caractère physico-moral? En introduisant<br />
dans la Physiocratie l’idée <strong>de</strong> l’évolution<br />
historique, qui <strong>de</strong>vait complètement échapper à<br />
Quesnay, et en mettant plus en relief dans les<br />
définitions <strong>de</strong> M. <strong>de</strong> Laveleye, l’aspect physique<br />
<strong>de</strong>s phénomènes, ne sera-t-on pas amené à voir<br />
dans l’Economie politique : cette partie <strong>de</strong> la<br />
Sociologie qui étudie les lois <strong>de</strong> la richesse,<br />
comme dérivant du concours <strong>de</strong>s lois du milieu<br />
physique extérieur et <strong>de</strong> la nature physique et-<br />
morale <strong>de</strong> l’homme social; et qui recherche à<br />
chaque moment <strong>de</strong> l’évolution <strong>de</strong> celui-ci, les<br />
conditions <strong>de</strong> l'adaptation la plus parfaite possible<br />
<strong>de</strong> l’ordre moral e t juridique à l’ordre<br />
physique, pour le développement intégral <strong>de</strong><br />
tous les membres <strong>de</strong> la société?<br />
L’application <strong>de</strong> la métho<strong>de</strong> historique ou<br />
plutöt réaliste à la science économique est le<br />
second caractère fondamental qui frappe dans<br />
les Élém ents <strong>de</strong> M. <strong>de</strong> Laveleye.<br />
Elle se révèle par la relativité toujours plus<br />
gran<strong>de</strong> <strong>de</strong>s conceptions économiques. Nous<br />
avons déjà vu comment M. <strong>de</strong> Laveleye rattache<br />
définitivement la m orale et le droit sous tous<br />
ses aspects aux phénomènes économiques;<br />
comment, en d’autres term es, l’Économie politique<br />
cesse d ’être pour lui une province <strong>de</strong> la<br />
science sociale, pour se transform er en une<br />
véritable sociologie économique, ce q u ’elle sera<br />
vraisemblablement pour tous en un temps prochain<br />
; à mesure qu’on s’avance dans la lecture<br />
du livre, on voit par <strong>de</strong>s rapprochem ents nom <br />
breux, comment toutes les institutions économiques<br />
se modifient selon le temps et les lieux,<br />
subissant l’influence du <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> civilisation<br />
comme celle du milieu extérieur; les exemples<br />
empruntés aux différents états Sociaux, les comparaisons<br />
entre les différents peuples, ren<strong>de</strong>nt la<br />
lecture du livre aussi attachante qu’instructive,<br />
et la vaste érudition <strong>de</strong> M. <strong>de</strong> Laveleye transporte<br />
lo lecteur, sans le lasser jam ais, à travers<br />
l’histoire <strong>de</strong>s doctrines et celle <strong>de</strong>s sociétés.<br />
Que <strong>de</strong> traits vifs, nets, fixeront dans votre esprit<br />
le caractère d’une époque, d’une institution,<br />
d'un peitple !<br />
M. <strong>de</strong> Laveleye craint qu’on lui reproche<br />
d’avoir donné trop d’extension à l’histoire <strong>de</strong>s<br />
crises industrielles, commerciales et financières.<br />
Vaine préoccupation! N’est-ce pas là l’un <strong>de</strong>s<br />
traits dominants <strong>de</strong> notre économie mo<strong>de</strong>rne,<br />
en voie <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir une économie mondiale et<br />
qui subit le terrible baptêm e <strong>de</strong> cette transformation<br />
? N’était la <strong>de</strong>stination spéciale du livre,<br />
j’eusse voulu semblablement voir donner plus<br />
d’extension à l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s doctrines socialistes. Le<br />
temps est venu non seulem ent d’en parler avec<br />
impartialité, mais <strong>de</strong> rendre largement justice à<br />
<strong>de</strong>s écoles, mêmes aux plus utopiques, qui ont<br />
préparé en définitive la constitution d’une Sociologie<br />
économique.<br />
En pénétrant plus avant dans l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s fonctions<br />
économiques, on retrouve cette même<br />
métho<strong>de</strong> réaliste. Que <strong>de</strong> circonstances affectent<br />
la puissance productrice, par exemple, si sèche<br />
L’ATHENÆUM BELGE<br />
m ent étudiée dans tant <strong>de</strong> m anuels ! Que <strong>de</strong><br />
motifs influencent la conduite économique <strong>de</strong><br />
l’homme! La nature, la race, les idées, les<br />
m œ urs, l’état politique, les institutions juridiques,<br />
régimes <strong>de</strong> propriété, d’am odiation, <strong>de</strong><br />
rém unération du travail, tous ces facteurs et<br />
d’autres encore laissent leur trace reconnaissable<br />
sur le pouvoir ou la volonté <strong>de</strong> produire.<br />
La science s’anime ainsi, elle <strong>de</strong>vient vivante,<br />
elle parle au lecteur, elle parlera surtout aux<br />
jeunes gens un langage qui ne s’oubliera plus.<br />
Écrits d’un style limpi<strong>de</strong> et rempli <strong>de</strong> charme,<br />
ces Élém ents d'économie politique seront encore,<br />
et par-<strong>de</strong>ssus tout, l’un <strong>de</strong>s traités <strong>de</strong> morale<br />
sociale les [dus parfaits, et les plus purs, que<br />
l’on puisse m ettre aux mains <strong>de</strong>s générations<br />
nouvelles. H. D e n i s .<br />
LES INVASIONS GERMANIQUES.<br />
Geschichte <strong>de</strong>r Vötkerwanclerung, von Eduard<br />
vonW ietersheim . Zvveite vollstândig umgearbeitete<br />
Auflage, besorgt von Félix Dahn. 2.<br />
B<strong>de</strong>. Leipzig, Weigel (L, VIII et 637 p., 1880;<br />
II, VI et 532 p., 1881).<br />
« L’histoire <strong>de</strong> la m igration <strong>de</strong>s peuples », ou,<br />
pour employer une expression plus ordinaire,<br />
l’histoire <strong>de</strong>s invasions germ aniques, par Edouard<br />
von W ietersheim, a paru en quatre volumes, il y<br />
a une vingtaine d’années. L’ouvrage, à cette<br />
époque, a été favorablement accueilli par la critique;<br />
il se distinguait par une érudition soli<strong>de</strong>,<br />
étendue, par l’abondance <strong>de</strong>s matériaux qui s’y<br />
trouvaient réunis, et l’on n ’avait guère à y<br />
reprendre que certains défauts <strong>de</strong> proportion,<br />
l’absence d’une métho<strong>de</strong> assez sévère dans l’arrangem<br />
ent <strong>de</strong>s parties. L’auteur, dépassant les<br />
vraies limites <strong>de</strong> son sujet, avait raconté presque<br />
toule l’histoire <strong>de</strong> l’empire rom ain, et ce<br />
hors-d’œ uvre formait environ la moitié du<br />
livre.<br />
Une secon<strong>de</strong> édition <strong>de</strong>vait évi<strong>de</strong>mment subir<br />
<strong>de</strong>s modifications considérables. M. Dahn, qui<br />
s’est chargée <strong>de</strong> la préparer, a cru qu’il pouvait<br />
hardim ent supprim er tout ce qui n’était pas<br />
nécessaire pour éclairer l’histoire <strong>de</strong>s invasions ;<br />
d’autre part, il a voulu se m ettre à la hauteur<br />
<strong>de</strong> la science m o<strong>de</strong>rne, qui dans ces <strong>de</strong>rnières<br />
années a singulièrem ent élargi la connaissance<br />
<strong>de</strong>s antiquités germ aniques. Ce livre se présente<br />
donc au public sous une forme nouvelle ; réduit<br />
à <strong>de</strong>ux volumes, il a gagné en précision et en<br />
richesse; l’ordonnance est plus claire, et chacune<br />
<strong>de</strong>s questions qui sont successivement<br />
abordées est traitée d’une manière plus approfondie.<br />
H .Dahn, pour se livrer à ce travail, avait<br />
l’avantage d’être à la fois un savant historien et<br />
un littérateur <strong>de</strong> talent; outre les grands ouvrages<br />
qu’il a consacrés à l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s origines germ aniques<br />
(die Könige <strong>de</strong>i' G ermanen, Bnusteine<br />
z u r Geschichte <strong>de</strong>r Völk e n v a n d e ru n g ,.ü rg e -<br />
schichle d tr germ anischen u n d rom anischen<br />
Völker), i f s’est jjjit connaître en effet par <strong>de</strong>s<br />
romans et <strong>de</strong>s dram es qui ont eu un certain<br />
succès.<br />
L'histoire <strong>de</strong>s invasions germ aniques a été<br />
revisée par lui d’une façon com plète; à chaque<br />
page sa plume a laissé quelques traces. Plus<br />
d’un chapitre a été récrit d’un bout à l’autre;<br />
<strong>de</strong> nouveaux chapitres ont été ajoutés. L’éditeur<br />
n’a pas même craint <strong>de</strong> substituer ses idées à<br />
celles <strong>de</strong> W ietersheim , tout en ayant soin bien<br />
entendu <strong>de</strong> prévenir le lecteur.<br />
Je n’entreprendrai point d’analyser une œuvre<br />
qui em brasse une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> près <strong>de</strong> sept siècles,<br />
<strong>de</strong>puis l’expédition <strong>de</strong>s Cimbres (113 avant J: C.)<br />
jusqu’à la conquête <strong>de</strong> l’Italie par les Lombards<br />
(568 après J : C.), et dans laquelle on passe en<br />
revue tous les peuples qui se sont attaqués à<br />
l’Empire, ceux qui sont allés s’y perdre et s’y<br />
anéantir, et ceux qui victorieusem ent en ont<br />
arraché <strong>de</strong>s lambeaux et ont fini par en <strong>de</strong>m eurer<br />
les m aîtres.<br />
Deux points m éritent particulièrem ent l’attention<br />
dans le travail <strong>de</strong> M. Dahn. On s’est <strong>de</strong>mandé<br />
bien souvent quelle fut la cause <strong>de</strong>s invasions<br />
germ aniques. La pression exercée sur les m arches<br />
orientales par <strong>de</strong>s barbares touraniens,<br />
l’am our <strong>de</strong>s hasards et <strong>de</strong>s combats inné "Chez<br />
les Germains, l’extension croissante <strong>de</strong> la formation<br />
<strong>de</strong>s ban<strong>de</strong>s guerrières, toutes ces explications,<br />
dont on s’est parfois contenté, sont<br />
évi<strong>de</strong>mment inexactes ou incom plètes. Elles ne<br />
ren<strong>de</strong>nt pas compte <strong>de</strong> la constance et <strong>de</strong> la<br />
généralité d’un phénomène qui pendant toute<br />
une pério<strong>de</strong> se reproduit comme pour obéir à<br />
une loi, et auquel participent non pas seulement<br />
<strong>de</strong>s légions d’aventuriers, mais <strong>de</strong>s tribus<br />
entières, hommes, femmes, enfants, esclaves.<br />
Il n ’y a pas bien longtem ps cependant que<br />
M..Fustel <strong>de</strong> Coulanges, avec son esprit toujours<br />
ingénieux mais souvent paradoxal, avait recours<br />
à ces interprétations insuffisantes et s’efforçait<br />
<strong>de</strong> prouver que les Germains n’avaient cherché<br />
qu’à fuir une contrée stérile et inhospitalière,<br />
qu’avi<strong>de</strong>ment, et sans autre règle que l’impulsion<br />
du moment, ils s’étaient jetés su r <strong>de</strong> riches<br />
provinces, telles que la Gaule, et qu’ils avaient<br />
ainsi vidé leur propre .pays, laissant le territoire<br />
<strong>de</strong> la Germanie à moitié inoccupé, presque<br />
désert.<br />
M. Dahn a une thèse bien différente et, je le<br />
crois, bien mieux- fondée. Il soutient que la<br />
cause <strong>de</strong>s invasions ne doit être <strong>de</strong>mandée qu’à<br />
l’énorme et incessante augmentation <strong>de</strong> la population.<br />
Les Germains, au prem ier siècle <strong>de</strong> l’em <br />
pire romain, étaient sortis <strong>de</strong> l’état à <strong>de</strong>mi-<br />
noma<strong>de</strong> dont César avait encore retrouvé <strong>de</strong>s<br />
vestiges; ils étaient <strong>de</strong>venus <strong>de</strong>s agriculteurs<br />
sé<strong>de</strong>ntaires. Or, l’adoption <strong>de</strong> cette forme <strong>de</strong><br />
société est toujours accompagnée d ’une m ultiplication<br />
rapi<strong>de</strong>; on sait, du reste, que la race est<br />
prolifique. Le moment ne tarda pas à venir où le<br />
territoire ne suffit plus pour n o urrir la population<br />
; il faut songer, en effet, que les procédés<br />
agricoles étaient encore <strong>de</strong>s plus primitifs, et que<br />
la cultureextensive exigeait d’immenses espaces<br />
pour fournir peu <strong>de</strong> produits. La nécessité par-,<br />
lait ici plus haut que l’amour du sol natal, et la<br />
bravoure aidant on se décidait à chercher la<br />
seule issue possible, en envahissant les provinces<br />
rom aines : à travers quels périls, au prix <strong>de</strong><br />
quels sacrifices, l’histoire en a conservé le souvenir,<br />
et ce n ’est pas sans émotion que l’on<br />
songe à la <strong>de</strong>stinée <strong>de</strong> ces populations, simples,<br />
grossières peut-être, mais vaillantes, qui <strong>de</strong>vaient<br />
courir au <strong>de</strong>vant <strong>de</strong> la m ort pour échapper<br />
à la faim.<br />
Il y a d ’ailleurs une singulière analogie entre<br />
la situation <strong>de</strong>s peuples germaniques aux premiers<br />
siècles <strong>de</strong> l’ère chrétienne et à notre<br />
époque même. Aujourd’hui comme alors l’émi-<br />
gration est une loi pour eux ; leur fécondité, que<br />
d’autres envient, les condamne à envahir le<br />
mon<strong>de</strong>. Dans l’antiquité ils avaient commencé<br />
par louer leurs bras aux Rom ains; ils servaient<br />
dans les arm ées, ils se réduisaient à l’élat <strong>de</strong><br />
colons, ils acceptaient les fonctions les plus