1882 - Université Libre de Bruxelles
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monts superflus. Nous nous apprêtions à encourager<br />
un élève, c’est le maître qui se m ontra. »<br />
Il y a tantôt quarante-six ans que les lignes<br />
qui précè<strong>de</strong>nt sont écrites. Comment Gallait<br />
a-t-il rempli ce long espace qui représente les<br />
<strong>de</strong>ux tiers au moins <strong>de</strong> la durée <strong>de</strong> la vie humaine?<br />
Le contingent <strong>de</strong> notre artiste à l’Exposition<br />
rétrospective <strong>de</strong> 1880 répondait jusqu’à uu<br />
certain point à cette question, mais était encore<br />
loin <strong>de</strong> donner une idée complète <strong>de</strong> l'activité<br />
qu’il avait déployée et <strong>de</strong>s travaux qu’il avait<br />
accomplis durant cette pério<strong>de</strong>. Nous avions, il<br />
est vrai, au Musée son œuvre capitale : L'Abdication<br />
<strong>de</strong> Charles Q uint, et quelques autres<br />
tableaux <strong>de</strong> moindre dimension mais d’une<br />
haute valeur. Combien n’en manquait-il pas à<br />
l’appel ! Rappelons-en quelques-uns : ce seront<br />
autant <strong>de</strong> jalons m arquant la route que Gallait a<br />
parcourue et dont chaque étape révèle une nouvelle<br />
face <strong>de</strong> son talent. -1841 avait vu paraître<br />
t'Abdication-, en 1847 le Couronnem ent <strong>de</strong><br />
Baudouin <strong>de</strong> Constantinople va prendre place<br />
dans les galeries <strong>de</strong> Versailles; en 4849 A rt et<br />
Liberté, un petit chef-d’œuvre, voit le jour en<br />
même temps que Les Derniers Moments du<br />
Comte d ’Egm ont; l'année suivanto ce sont<br />
Les Derniers H onneurs rendus a u x Comtes<br />
d ’Egmont et <strong>de</strong> H om es ; en 1854 Le Tasse dans<br />
sa prison, tableau conçu dans une tout autre<br />
gamme que celui <strong>de</strong> 1836; en 1856 Jeanne La<br />
Folle; en 1857 Léonard <strong>de</strong> Vinci et Français Ier;<br />
en 1858 Dalila; en 1862, le portrait du Pape<br />
Pie IX. Plus récemment, la décoration <strong>de</strong> la<br />
salle <strong>de</strong>s séances du Sénat ; <strong>de</strong>ux gran<strong>de</strong>s<br />
ligures équestres pour le palais du roi. J’en<br />
passe, car rénum ération <strong>de</strong>viendrait un catalogue.<br />
Durant cette longue pério<strong>de</strong>, d’ailleurs bien<br />
remplie, l’idée d’une gran<strong>de</strong> page historique,<br />
d’un pendant à VAbdication <strong>de</strong> Ç harles-Q uint<br />
préoccupe l’artiste. Déjà en 1845 il avait fixé,<br />
dans <strong>de</strong> petites dim ensions, l’esquisse <strong>de</strong> la<br />
Peste <strong>de</strong> Tournai; il n’avait pas eu <strong>de</strong> repos que<br />
l’ébauche en fût entièrem ent brossée au bitume<br />
sur la toile même qu’il ne <strong>de</strong>vait achever<br />
qu’après l’avoir abandonnée durant plus <strong>de</strong> vingt-<br />
cinq ans. Les causes <strong>de</strong> ce retard ont été expliquées<br />
ailleurs : n’en parlons plus puisque ce temps<br />
n’a point été perdu et que l’artiste l’a employé à<br />
fortifier et à m ûrir son talent : l’œuvre paraît à nos<br />
yeux commo le point culm inant <strong>de</strong> la carrière<br />
du peintre, qui y a mis tout ce qu’il a acquis <strong>de</strong><br />
savoir et d’expérience.<br />
C’est dans l’histoire <strong>de</strong> Tournai, sa ville<br />
natale, que Gallait a puisé son sujet. Voici le<br />
texte qui lui a fourni la conception générale et<br />
quelques épiso<strong>de</strong>s fidèlement reproduits :<br />
« Pendant que nos ancêtres guerroyaient en<br />
Orient, une maladie apportée <strong>de</strong> ces contrées<br />
exerçait d’affreux ravages dans toute la chrétienté.<br />
Cette peste, connue sous le nom <strong>de</strong> feu<br />
sacré, sévissait d’une manière terrible dans le<br />
Tournaisis, où elle conduisit au tombeau les<br />
<strong>de</strong>ux tiers <strong>de</strong>s habitants. Ceux qui en étaient<br />
atteints paraissaient avoir les membres brûlés.<br />
Ils expiraient, la plupart, après quatre ou cinq<br />
jours d'indicibles souffrances, quelques-uns<br />
même à l’apparition <strong>de</strong>s prem iers symptömes.<br />
Pour arrêter co lléau dont, suivant la croyance<br />
générale, le Seigneur, dans sa colère, avait affligé<br />
le pays, Radbod II, XLIe évêque <strong>de</strong> Tournai,<br />
assembla ses diocésains dans l’église <strong>de</strong> Marie,<br />
et après avoir fait un sermon su r la croix, en<br />
L’ATHENÆUM BELGE<br />
présence <strong>de</strong> la foule abattue et consternée, il<br />
coupa les cheveux à plus <strong>de</strong> mille jeunes gens<br />
et raccourcit leurs robes qui traînaient jusqu’à<br />
terre. Après s’être dépouillé <strong>de</strong> ses ornem ents<br />
pontificaux, pour revêtir le cilice, il entonna<br />
un cantique et, élevant la croix, il la promena<br />
nu-pieds dans les rues et autour <strong>de</strong> la ville pour<br />
apaiser l’ire <strong>de</strong> Dieu. Son clergé m archait<br />
après lui, portant les reliques <strong>de</strong>s saints. Tout le<br />
peuple s’hum iliant à l’exemple <strong>de</strong> son évêque<br />
suivait nu-pieds la procession, à laquelle plus <strong>de</strong><br />
cent mille personnes, tant <strong>de</strong> la ville que <strong>de</strong>s<br />
environs, assistèrent, mêlant, par intervalle, aux<br />
chants <strong>de</strong> l’Église, <strong>de</strong>s cris douloureux et lamentables.<br />
»<br />
S’inspirant <strong>de</strong> l’esprit <strong>de</strong> l’époque à laquelle<br />
appartient la scène qu’il voulait retracer, le<br />
peintre a répandu dans son œ uvre, avec l’impression<br />
<strong>de</strong> terreur que laisse un pareil spectacle,<br />
le sentim ent <strong>de</strong> foi et <strong>de</strong> confiance religieuse<br />
qui régnait sans partage à ces époques<br />
aussi différentes <strong>de</strong> celle où nous vivons qu’elles<br />
en sont éloignées. C’est seulem ent en s’y transportant<br />
par la pensée que l’on pourra bien comprendre<br />
la composition du maître et la réalité <strong>de</strong>s<br />
éléments qu’il y a introduits. Nous nous ferions<br />
difficilement aujourd’hui uneidée exacte <strong>de</strong> ce que<br />
<strong>de</strong>vaient être ces pestes qui ont si souvent désolé<br />
nos contrées au moyen âge. Le spectateur<br />
du tableau <strong>de</strong> Gallait doit oublier un moment<br />
l’aspect actuel <strong>de</strong> nos villes, les améliorations-<br />
que les progrès <strong>de</strong> l’hygiène publique ont accomplies.<br />
Nous aussi, nous avons été témoins <strong>de</strong><br />
terribles contagions, le choléra nous a plusieurs<br />
fois visités ; mais combien peu cela ressem blait<br />
aux pestes <strong>de</strong>s tem ps passés ! Alors la population<br />
tout entière souffrait, les mala<strong>de</strong>s le plus<br />
souvent étaient abandonnés, les morts m anquaient<br />
<strong>de</strong> sépulture, les fossoyeurs ne pouvant<br />
suffire à une aussi effroyable besogne. Le seul<br />
mé<strong>de</strong>cin auquel on eût foi, c’était le Ciel; le<br />
seul rem è<strong>de</strong>, la prière. Du haut en bas <strong>de</strong><br />
l’échelle sociale, c'était la même confiance.<br />
Donnant l’exemple à ses diocésains, l’évêque<br />
s’humilie et im plore le secours <strong>de</strong> la puissance<br />
divine ; dépouillé <strong>de</strong> ses vêtements pontificaux,<br />
revêtu d ’un cilice, la tête nue, les pieds nus, un<br />
mo<strong>de</strong>ste crucifix à la main, il marche le prem<br />
ier, invoquant le Seigneur et criant miséricor<strong>de</strong><br />
pour ce peuple expirant dans les angoisses.<br />
C’est là le centre du tableau : cette figure si<br />
imposante dans la grossièreté du costume, si<br />
passionnée dans le mouvement <strong>de</strong> sa charité,<br />
entraîne la foule qui l’entoure et l'accom pagne.<br />
Au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> l ’évêque apparaît la statue <strong>de</strong> la<br />
Vierge qu’un rayon du ciel fait resplendir dans<br />
la pénombre <strong>de</strong> la voûte que va franchir la procession.<br />
La statue, <strong>de</strong> style byzantin, ferait<br />
honneur aux connaissances archéologiques du<br />
peintre si, en présence <strong>de</strong> cette peinture pleine<br />
<strong>de</strong> saisissantes réalités, l’on pouvait s’occuper<br />
d’autre chose que <strong>de</strong> la scène elle-même. Tous<br />
les yeux sont élevés, toutes les mains sont tendues<br />
vers l’image <strong>de</strong> la Mère <strong>de</strong> Dieu dont chacun<br />
réclame et attend un miracle. Une femme a déposé<br />
p arterrelecadavred e son fils; le brasdu m ortse<br />
lève; une toute jeune fille, sa sœ ur, aperçoit le<br />
mouvement et se jette dansles bras <strong>de</strong> leur mère<br />
commune lui indiquant le prodige. De l’autre<br />
cöté, <strong>de</strong>s scènes aussi poignantes. Il serait trop<br />
long <strong>de</strong> les détailler toutes. La procession<br />
s’avance : la statue <strong>de</strong> la Vierge est portée par<br />
quatre pénitents, puis viennent les châsses <strong>de</strong>s<br />
saints, les bannières <strong>de</strong>s confréries; une foule<br />
compacte rem plit le fond. Signalons encore à<br />
droite, sur le prem ier plan, un charriot traîné<br />
par <strong>de</strong>ux bœufs et chargé <strong>de</strong> mala<strong>de</strong>s et <strong>de</strong><br />
mourants ; à gauche, un cavalier vigoureusement<br />
peint. Ce qui n’est pas la moins intéressante<br />
figure du tableau, c’est l’enfant <strong>de</strong><br />
chœ ur, précédant le cortège, agitant sa sonnette<br />
et s’écartant un peu afin d’éviter un chien qu’il<br />
dérange dans l'horrible repas que se donne<br />
l’animal aux dépens d’un cadavre mal enfoui.<br />
Cette figure est d’une puissance étonnante<br />
<strong>de</strong> vérité, et c’est un tour <strong>de</strong> force que <strong>de</strong><br />
l’avoir campée là, en avant <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> l’évêque<br />
d’un effet si saisissant.<br />
Dans la composition grandiose qui, nous l’espérons,<br />
ne sera pas la<strong>de</strong>rnièrepage<strong>de</strong>son œ uvre, le<br />
peintre s’est montré fidèle à toute sa carrière; nous<br />
l’y avons vu toujours alliant l’idéal au réel. Les<br />
apötres <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnité dans l’art voudraient que<br />
l’artiste ne représentât que ce qu’il a pu voir lu i-<br />
même, <strong>de</strong> ses propres yeux. Eh bien, Gallait a<br />
vu, dans notre xix® siècle, ces scènes qui se sont<br />
passées au xie. Il les a vues non-seulem ent par<br />
les yeux <strong>de</strong> l’im agination, mais aussi en réalité.<br />
Comment expliquer ce phénomène ? Notre ém inent<br />
artiste a pris la peine <strong>de</strong> nous en donner le<br />
secret. Présidant, le 26 septem bre 1871, la solennité<br />
annuelle <strong>de</strong> la Classe <strong>de</strong>s beaux-arts <strong>de</strong> l ’Académie,<br />
il nous disait : « On n’arrive à la vérité<br />
<strong>de</strong> l’expression que parla combinaison <strong>de</strong> l’idéal<br />
et du réel, <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux principes qu’on a tort <strong>de</strong><br />
regar<strong>de</strong>r comme inconciliables. L’artiste ne<br />
peut pas inventer l’expression qui répond à tel<br />
ou tel sentim ent; il est <strong>de</strong> toute nécessité qu’il<br />
l’ait observée dans la nature : voilà la part du<br />
réel. Mais ceLte expression est rapi<strong>de</strong>, fugitive;<br />
elle ne pose pas complaisamment <strong>de</strong>vant l'artiste;<br />
il faut qu’il la saisisse au passage et la<br />
fixe dans sa mémoire pour s’en servir à l’occasion.<br />
Elle s’est présentée à lui comme un fait ;<br />
elle reste dans son souvenir comme l’idée du<br />
jeu <strong>de</strong> physionomie par lequel se traduit extérieurem<br />
ent un mouvement <strong>de</strong> l’âme humaine :<br />
voilà la part <strong>de</strong> l’idéal. »<br />
Voilà <strong>de</strong>s idées nettes; voilà <strong>de</strong>s principes<br />
qu’il faut recom m an<strong>de</strong>r en m ontrant aux jeunes<br />
artistes à quel haut <strong>de</strong>gré Gallait est parvenu en<br />
les appliquant. L. A lvin .<br />
LA. D E S C E N T E D E C R O IX D E R O G E R V A N D E R<br />
W E Y D E N .<br />
Une lettre adressée à l’A ca<strong>de</strong>m y par M. W . M.<br />
Conway fournit <strong>de</strong> précieux renseignements sur les<br />
diverses éditions <strong>de</strong> la célèbre Descente <strong>de</strong> Croix<br />
<strong>de</strong> Roger Van<strong>de</strong>r W ey<strong>de</strong>n, dont M. H. Hymans<br />
a signalé une gravure contemporaine dans le<br />
<strong>de</strong>rnier B ulletin <strong>de</strong>s Comm issions d ’A r t et<br />
d'Archéologie. H . Conway attire surtout l’attention<br />
sur un petit tableau du Musée <strong>de</strong> Liver-<br />
pool accompagné <strong>de</strong> volets où se trouvent les figures<br />
<strong>de</strong> larrons dont M. Hymans signalait l’ajoute dans<br />
l’estampe du cabinet <strong>de</strong> Ham bourg. D’autre part, le<br />
Musée <strong>de</strong> l’Institut Stâ<strong>de</strong>l, à Francfort, conserve un<br />
volet isolé, représentant un <strong>de</strong>s larrons crucifiés, et<br />
M. Conway incline à croire que ce fragm ent <strong>de</strong><br />
tableau est détaché <strong>de</strong> l ’original <strong>de</strong> V an<strong>de</strong>r W ey<strong>de</strong>n,<br />
actuellem ent privé <strong>de</strong> ses volets. La hauteur<br />
du panneau est <strong>de</strong> l m33; sa largeur, <strong>de</strong> 0m91. Le<br />
correspondant <strong>de</strong> VAca<strong>de</strong>m y term ine sa lettre par<br />
l'i<strong>de</strong>ntification d’un tableau <strong>de</strong> T hierry Bouts, conservé<br />
à la Galerie Nationale <strong>de</strong> Londres. Ce tableau<br />
est actuellement attribué à Van<strong>de</strong>r Goes. Il représente<br />
la Vierge sur le tröne, tenant l’enfant Jésus<br />
adoré par saint Pierre et saint Paul ; il offre une telle<br />
I analogie <strong>de</strong> types avec le tableau <strong>de</strong> Saint-Pierre à