1882 - Université Libre de Bruxelles
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faits et gestes <strong>de</strong> Bugeaud en Algérie; c’est sur<br />
ce nouveau théâtre que le général, député <strong>de</strong> la<br />
Dordogne, déploie vraim ent toutes les qualités<br />
qui lui sont personnelles. Cependant, à certains<br />
iniervalles, Bugeaud reparaît à la Chambre ou<br />
prési<strong>de</strong> les comices agricoles <strong>de</strong> son départem<br />
ent. À la Chambre, il explique et commente le<br />
traité <strong>de</strong> la Tafna qu’il a conclu avec Abd et-<br />
K a<strong>de</strong>r; il déclare que l’occupation restreinte <strong>de</strong><br />
l’Algérie est une « chim ère dangereuse » ; et<br />
qu’il n ’y a pas <strong>de</strong> m ilieu entre la conquête et la<br />
retraite, que malgré les journalistes et ce qu’il<br />
appelle dans son style pittoresque l’aristocratie<br />
<strong>de</strong> l'écritoire, il faut ou s’en aller ou dominer<br />
absolum ent le pays; applaudi par l’opposition,<br />
approuvé par le roi qui comprend que Bugeaud<br />
seul a un système, le général est nommé gouverneur<br />
<strong>de</strong> l’Algérie.<br />
Avant <strong>de</strong> le suivre en Afrique, il faut pourtant,<br />
comme l’a fait son biographe, dire encore quelques<br />
mots su r le rôle parlementaire <strong>de</strong> Bugeaud.<br />
On sait qu’il avait une franchise un peu brutale ;<br />
mais il était original, il s’exprim ait avec précision,<br />
il avait <strong>de</strong> vives reparties, on sentait dans<br />
ses discours un homme d’une intelligence<br />
prom pte et d’un merveilleux bon sens aussi bien<br />
qu’un chaud patriote. Il réclama la politique <strong>de</strong><br />
paix, il s’opposa à une intervention arm ée en<br />
faveur <strong>de</strong> la Pologne. M. d’I<strong>de</strong>ville donne <strong>de</strong><br />
larges extraits <strong>de</strong>s discours du général-député;<br />
il y a dans ces citations beaucoup <strong>de</strong> traits<br />
d ’hum our et <strong>de</strong> bonhomie, beaucoup <strong>de</strong> réflexions<br />
profon<strong>de</strong>s et <strong>de</strong> vues saines, utiles,<br />
justifiées plus lard par les événements. Il voulait<br />
utiliser l’armée en temps <strong>de</strong> paix aux travaux<br />
agricoles; il <strong>de</strong>m andait, à chaque Adresse, à<br />
chaque discussion du budget, <strong>de</strong>s augmentations<br />
<strong>de</strong> crédit pour l’agricullure; il rappelait lo mot<br />
<strong>de</strong> Frédéric II : « Si je trouvais un homme qui<br />
produisît <strong>de</strong>ux épis <strong>de</strong> blé au lieu d’un, je le préférerais<br />
à tous les génies politiques. » Ense et<br />
aratro, telle était sa <strong>de</strong>vise; il représente lo<br />
type populaire du soldat laboureur; il a été,<br />
par ses persistantes réclam ations, le véritable<br />
créateur <strong>de</strong>s comices agricoles en France. Nous<br />
avons dit, dans un précé<strong>de</strong>nt article, qu’il lui<br />
arriva souvent <strong>de</strong> haranguer les paysans en<br />
patois ; il leur donnait <strong>de</strong>s conseils su r la charru<br />
e ; il les détournait <strong>de</strong> se rendre dans les<br />
villes et leur représentait que l’homme le plus<br />
heureux était « le cultivateur habile et vertueux<br />
qui, ayant dans sa maison abondance <strong>de</strong> blé,<br />
d’huile, <strong>de</strong> lard, <strong>de</strong> linge et <strong>de</strong> chanvre, voil<br />
croître autour <strong>de</strong> lui ses enfants d’abord, ses<br />
petits-enfants, et souvent ses arrière-petits-<br />
enfants ». Il proposa l’institution d’un conseil<br />
supérieur d ’agriculture.<br />
Il prit la parole au Parlem ent dans toutes les<br />
questions m ilitaires. Il <strong>de</strong>manda l’augmentation<br />
<strong>de</strong>s traitem ents <strong>de</strong>s officiers, l’établissement<br />
d’une in<strong>de</strong>m nité d’Afrique, etc Plus d’une fois<br />
il décrivait à la tribune ce qui constitue le bon<br />
soldat. « On n ’est soldat que quand on n’a plus<br />
la maladie du pays; quand le drapeau du régim<br />
ent est considéré comme le clocher du village;<br />
quant on est prêt à m ettre le sabre à la main<br />
toutes les fois que l’honneur du num éro est<br />
attaqué ; quand on a confiance dans ses chefs,<br />
dans son voisin <strong>de</strong> droite et <strong>de</strong> gauche; quand<br />
on a mangé longtemps la soupe ensemble,<br />
selon l’expression <strong>de</strong> l’Em pereur. » Il s’éleva<br />
contre la manie <strong>de</strong> m ultiplier les places fortes,<br />
mais il voulait que Paris fût fortifié. Beaucoup<br />
<strong>de</strong> gens pensaient alors, et l’ont pensé encore<br />
L’ATHENÆUM BELGE 275<br />
<strong>de</strong>puis, que la République enfantait <strong>de</strong>s armées,<br />
et que les héro_s <strong>de</strong> juillet, après avoir vaincu les<br />
Suisses <strong>de</strong> Charles X, auraient tenu tête à l’Europe.<br />
Dans un <strong>de</strong> ses plus beaux discours Bugeaud<br />
montra que « l’enthousiasm e, lorsqu’il<br />
est seul, est une vertu passagère, mais qu’il n’est<br />
efficace que s’il est accompagné <strong>de</strong> bons bataillons<br />
». Avant M. Camille Rousset, il réduisit<br />
à <strong>de</strong> justes proportions la légen<strong>de</strong><strong>de</strong>s volontaires<br />
<strong>de</strong> 1792. « On a dit que le régime <strong>de</strong> la Terreur<br />
avait sauvé la F rance; non, c’est le système <strong>de</strong><br />
guerre que suivaient les étrangers ; c’était un<br />
système <strong>de</strong> tâtonnem ent qui consistait à marcher<br />
à pas <strong>de</strong> torlue, à s’établir sur toutes les rivières,<br />
à prendre une place à droite et à gauche, avant<br />
d’aller en avant... Il y a beaucoup <strong>de</strong> gens en<br />
France qui sont persuadés qu'en chantant la<br />
M arseillaise, cela suffit pour renverser les<br />
arm ées <strong>de</strong> l’Europe. Je trouve très bien que l’on<br />
chante la M arseillaise avant le combat,mais non<br />
pendant l’action ; ce qu’il faut alors, c’est le<br />
silence, c’est l’aplomb. Il faut se méfier <strong>de</strong>s<br />
troupes silencieuses et non pas <strong>de</strong> celles qui<br />
crient et qui chantent. »<br />
La prem ière fois que Bugeaud se rendit en<br />
Afrique, ce fut pour réparer un désastre; on était<br />
encore dans la pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> tâtonnem ent; une<br />
colonne française, après <strong>de</strong> pénibles opérations<br />
dans la province d’Oran, était acculée à la mer,<br />
dans le Delta <strong>de</strong>s bouches <strong>de</strong> la Tafna et entourée<br />
par tous les rassemblements arm és du pays,<br />
que commandait Abd-et-Ka<strong>de</strong>r. Bugeaud vainquit<br />
l’ém ir sur les bords <strong>de</strong> la Sickack.<br />
Quelque tem ps après, la prem ière expédition<br />
<strong>de</strong> Constantine échouait; il fallait la recom m encer;<br />
l’attaque <strong>de</strong> la ville fut confiée au gouverneur<br />
général D am rém ont; mais auparavant il<br />
était nécessaire <strong>de</strong> faire la paix dans l’Ouest.<br />
C’est alors que Bugeaud, envoyé à Oran, conclut<br />
avec Abd-et-Ka<strong>de</strong>r le traité <strong>de</strong> la Tafna. Il eut<br />
avec l’ém ir une entrevue, dont il a rapporté les<br />
détails pittoresques dans une lettre confi<strong>de</strong>ntielle<br />
à M. Molé, m inistre <strong>de</strong>s affaires étrangères, et<br />
dans une lettre intim e à son ami Gardère; ces<br />
<strong>de</strong>ux lettres sont reproduites par M. d’Idcville<br />
(pp. 71-82). Le traité, attaqué par la presse et le<br />
Parlement, ne fut justem ent apprécié que plus<br />
tard.<br />
Bugeaud ne prit aucune part à la secon<strong>de</strong><br />
expédition <strong>de</strong> Constantine; m ais, lorsqu’il fut<br />
nommé gouverneur-général <strong>de</strong> l’Algérie.la guerre<br />
prit une autre tournure, et tout changea <strong>de</strong><br />
face. Bugeaud com prit que l’armée <strong>de</strong>vait rester<br />
en Algérie aussi nom breuse pendant la paix que<br />
pendant la guerre; que, pour dom pter les<br />
Arabes, il fallait s’em parer <strong>de</strong> leurs récoltes,<br />
prendre leurs troupeaux et emprisonner leurs<br />
familles, couvrir le pays <strong>de</strong> petits corps armés à<br />
la légère qui puissent atteindre l’ennemi à la<br />
course. Il supprim a tous les im p ed im en ta ;<br />
presque plus <strong>de</strong> canon, plus <strong>de</strong> voilure, mais<br />
<strong>de</strong>s chameaux, <strong>de</strong>s mulels, <strong>de</strong>s postes-magasins<br />
placés <strong>de</strong> loin en loin; les colonnes furent composées<br />
<strong>de</strong> soldats d’élite, faits <strong>de</strong>puis longtemps<br />
à la fatigue. Bugeaud força les tribus, une fois<br />
soum ises, à reconnaître <strong>de</strong>s chefs qui répondraient<br />
<strong>de</strong> la tranquillité du territoire. Il prit à<br />
sa sol<strong>de</strong> <strong>de</strong>s indigènes et leva <strong>de</strong>s contingents<br />
d’Arabes qui fournirent d’excellents cavaliers<br />
pour les reconnaissances. M. d’I<strong>de</strong>ville donne<br />
une foule <strong>de</strong> détails intéressants sur l'équipem<br />
ent du soldat, sur la marche en campagne, sur<br />
les innovations inlroduites par Bugeaud dans la<br />
façon <strong>de</strong> com battre les Arabes et d ’occuper le<br />
pays (pp. 261-267).<br />
Il serait trop long d’énum êrcr tous les actes<br />
qui m arquèrent le gouvernem ent do Bugeaud;<br />
citons rapi<strong>de</strong>m ent les principaux. Il ravitailla<br />
Médéah et Milianah; il exécuta le système qu’il<br />
avait exposé à la tribune <strong>de</strong> la Chambre : occupation<br />
d’une place sur la côte, occupation d’une<br />
place correspondante à l’intérieur, va-et-vient<br />
<strong>de</strong> colonne allant d’une place à l’autre et empêchant<br />
les Arabes <strong>de</strong> moissonner (par exemple la<br />
triple expédition <strong>de</strong> Mascara); il fit tom ber, en<br />
1841, Tack<strong>de</strong>mpt et SaTJa, Boghar et Thaza.<br />
Puis ce fut la gran<strong>de</strong> expédition d’Oran à Alger,<br />
par la vallée du Chélif, l’exécution <strong>de</strong> la route<br />
<strong>de</strong>s gorges <strong>de</strong> la Chifta qui assurait à Médéah<br />
ses communications avec Blidah, 1 installation<br />
<strong>de</strong> dix-huit villages, enfin la campagne dans la<br />
chaîne <strong>de</strong> l’Ouarensènis qui dura 47 jours (1842).<br />
Cependant Abd-et-Ka<strong>de</strong>r restait insaisissable;<br />
lo 16 mai 18(3, le duc d’Aumale enleva sa<br />
sm alah; c’est un <strong>de</strong>s plus beaux faits d’arm es <strong>de</strong><br />
la guerre d’Algérie; M. d’I<strong>de</strong>ville l’a raconté<br />
d’une façon dram atique; il cite d’ailleurs le<br />
rapport officiel du prince, un entretien qu’il<br />
eut sur ce sujet avec le général Flcury et le<br />
récit <strong>de</strong> l’événeinenlpar Abd-et-Ka<strong>de</strong>r lui-m êm e,<br />
d’après les notes du général Daumas. Cependant<br />
l’émir ne se décourageait pas ; vainement, dans<br />
une correspondance jusqu'ici secrète et que<br />
publie M. d’I<strong>de</strong>ville (p. 4S7), on lui -offrait ce<br />
qu’il eut plus tard à Damas, <strong>de</strong>s honneurs et<br />
une large pension, à condition qu’il se retirerait<br />
à la Mecque. Abd-et-Ka<strong>de</strong>r trouva un allié<br />
dans l’em pereur du Maroc Ab<strong>de</strong>r-Rhaman et<br />
prêcha la guerre sainte contre les chrétiens. La<br />
bataille d ’Isly ruina ses espérances (16 août<br />
1844). M. d’I<strong>de</strong>ville insère ici, non seulem ent le<br />
rapport <strong>de</strong> Bugeaud, mais une relation entièrement<br />
inédite, due à un ami du maréchal, son<br />
interprète général, M.Léon Roches; « les détails<br />
précis et intimes que seul M. Roches pouvait<br />
fournir, donnent à ce récit un palpitant intérêt ».<br />
Bugeaud fut nommé duc d’Isly ; à son retour à<br />
Paris, il fui fêté avec transport, et les négociants<br />
<strong>de</strong> Paris organisèrent en son honneur, au Palais<br />
<strong>de</strong> la Bourse, un banquet qui est, dit M. d’I<strong>de</strong>ville<br />
en term inant ce volume, l’apogée <strong>de</strong> la<br />
gloire m ilitaire <strong>de</strong> Bugeaud; « cette ovation<br />
spontanée, offerte par la gran<strong>de</strong> ville.élail à ses<br />
yeux la consécration <strong>de</strong> son système et <strong>de</strong> ses<br />
idées su r l’Afrique, le couronnem ent <strong>de</strong> sa<br />
vie » (1) . C.<br />
C O R R E S P O N D A N C E L I T T E R A I R E D E P A R I S .<br />
E tu<strong>de</strong>s su r la liste civile en France, par Gautier.<br />
Plon. — L a guerre d ’Ita lie, campagne <strong>de</strong><br />
1859, par le duc d’Alm azan. Plon. — L a littératu<br />
re contemporaine en Ita lie, 1873-1883, par<br />
Am. Roux. Plon. — D ictionnaire universel <strong>de</strong><br />
la vie p ra tiq u e, par Belèze, 6rae édition. H acbe’te.<br />
— A tla s m anuel <strong>de</strong> géographie mo<strong>de</strong>rne. l rc<br />
livraison. Hachette.<br />
L’auteur <strong>de</strong>s Etu<strong>de</strong>s su r la liste civile en<br />
France est un ancien conseiller d’Elal et secrétaire<br />
général du m inistère <strong>de</strong> la maison <strong>de</strong> l’empereur.<br />
Il divise son livre en six chapitres, selon<br />
les règnes <strong>de</strong> Louis XVI, <strong>de</strong> Napoléon Ier, <strong>de</strong><br />
Louis XVIII, <strong>de</strong> Charles X, <strong>de</strong> Louis-Philippe et<br />
<strong>de</strong> Napoléon III. Sous Louis XVI, la liste civile<br />
ne « fit que paraître et disparaître » (p 17). Sous<br />
Napoléon I r, elle s'étendit comme s’étendait le<br />
( 1 ) R elevons quelques légères fa u te s: p. 165, lire Schaucn-<br />
bourg {et non « S bauenbourg »); p. 231 et 2 jo , L as ry [ci non<br />
* L a ssy »); p . 2 j2, D illo tt et non « Fillon ».