1882 - Université Libre de Bruxelles
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chique, etc.; dans quelle mesure elle est constante<br />
et nécessaire, etc.; 3° ses causes et son<br />
histoire chez l'individu contemporain et dans la<br />
vie <strong>de</strong> l’hum anité; 4° ses modifications dans les<br />
états psychiques anormaux : distraction, fatigue,<br />
sommeil, ivresse, folie, extase, somnambulisme,<br />
délire, aphasie, etc. » C’est parfait. L’auteur<br />
s'excuse, sur l’étendue même <strong>de</strong> ce programme,<br />
<strong>de</strong> n’en avoir rem pli qu’une partie. On croit<br />
<strong>de</strong>viner un autre motif <strong>de</strong> sa réserve. Peut-être<br />
le caractère <strong>de</strong> la philosophie officielle en<br />
France lui a-t-il interdit <strong>de</strong> faire usage <strong>de</strong>s<br />
données physiologiques, ou <strong>de</strong>s observations<br />
cliniques (comme celles <strong>de</strong> Kussm aul), ou<br />
<strong>de</strong>s psyehologies concernant l’enfance et les<br />
peuples sauvages. Je suis loin <strong>de</strong> vouloir rejeter<br />
à l’arrière plan les données du sens intim e,<br />
quand il s’agit d’explorer l’âme humaine ou<br />
même l’âme animale; pourtant il y a <strong>de</strong>s enseignements<br />
précieux à retirer <strong>de</strong>s faits biologiques<br />
et ethnographiques. Aujourd’hui qu’il est<br />
plus libre dans ses allures, M. Egger doit au<br />
mon<strong>de</strong> penseur, il 'Se doit à lui-même <strong>de</strong> compléter<br />
son travail. La partie ne vaut que dans le<br />
to u t; le fragment qu’il nous livre nous fait désirer<br />
impatiemment le reste.<br />
Puis-je, par exemple, savoir exactement<br />
quelle est l’essence <strong>de</strong> la parole intérieure<br />
quand je n'en connais ni la loi, ni la genèse, ni<br />
les modifications? C’est si bien là une impossibilité<br />
que M. Egger ne définit pas la parole intérieure,<br />
il se contente <strong>de</strong> la décrire. Il nous dira,<br />
par exemple, qu’elle est une parole, qu’elle est<br />
intérieure dans le sens qu’il donne à ce mot,<br />
qu’elle est comme une im itation, comme un<br />
écho <strong>de</strong> la parole extérieure, etc. (voir plus<br />
haut). Mais toutes ces circonlocutions ne répon<strong>de</strong>nt<br />
pas à la question. J’aim erais bien mieux<br />
une formule. Ignorant comme je le suis, <strong>de</strong> la<br />
matière que M. Egger a prise pour sujet <strong>de</strong> son<br />
étu<strong>de</strong>, il y aurait <strong>de</strong> ma part outrecuidance à<br />
vouloir résoudre au pied levé <strong>de</strong>s problèmes<br />
dont il a cru <strong>de</strong>voir rem ettre l’examen à un<br />
autre temps. Aussi je suis assuré à l’avance que<br />
la définition que je vais essayer <strong>de</strong> donner <strong>de</strong> la<br />
parole intérieure est pleine <strong>de</strong> défauts. Mais je<br />
la risque autant pour faire com prendre ce que<br />
j’aurais voulu que pour abor<strong>de</strong>r une discussion<br />
à laquelle M. Egger lui-m êm e, dans une<br />
lettre, a bien voulu m’inviter.<br />
La parole intérieure est une parole. Parole<br />
est le genre, comme on dirait en logique.Qu’est-<br />
ce donc que la parole? Pour moi—et ceci dit provisoirem<br />
ent jusqu’à plus ample informé — la<br />
parole est un geUe sonore. Les sentim ents <strong>de</strong><br />
l’âme se traduisent extérieurem ent par <strong>de</strong>s m ouvements.<br />
De ces mouvements les uns sont visibles,<br />
ce sont les gestes proprem ent dits ; — il<br />
en est qui sont tangibles (par exemple, les<br />
secousses électriques <strong>de</strong> la torpille), d’autres<br />
odorants, ou sapi<strong>de</strong>s (certains animaux, particulièrem<br />
ent <strong>de</strong>s insectes; laissent échapper, au<br />
moment où on les saisit, <strong>de</strong>s liqui<strong>de</strong>s ou <strong>de</strong>s gaz<br />
répugnants).d’autres enfin sont audibles. Le langage<br />
est donc issu d’une association ; et il doit<br />
chez l’homme sa perfection à l’infinie variété <strong>de</strong><br />
ses combinaisons possibles et à lu nature du<br />
geste (mouvements <strong>de</strong> l’appareil vocal) qui <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />
peu d'effort musculaire. L’écriture est<br />
par nature et par origine un ensem ble <strong>de</strong><br />
gestes fixés par le <strong>de</strong>ssin et provoquant ainsi<br />
un geste <strong>de</strong>s yeux. L’aphasie provient d’une impuissance<br />
gesticulatrice.ou d ’une rupture d ’harmonie.<br />
L’ATHENÆUM BELGE<br />
Reste l’adjectif spécifique intérieure. La<br />
parole intérieure est ainsi appelée parce qu’elle<br />
n’est pas perçue par l’ouïe, tandis que j’entends<br />
ma propre voix <strong>de</strong> la même façon que j’entends<br />
les voix extérieures. Si je n’étais averti par certaines<br />
sensations internes <strong>de</strong>s efforts que je fais<br />
quand je parle, et par l’expérience que ces efforts<br />
sont toujours suivis d’une sensation auditive, je<br />
ne parviendrais pas à savoir si la voix émane <strong>de</strong><br />
moi ou d ’autrui.<br />
La parole intérieure est, par suite, un affaiblissem<br />
ent <strong>de</strong> la parole extérieure. L’affaiblissement<br />
consiste en ceci que l’action <strong>de</strong> l’appareil<br />
vocal, étant amoindrie, ne produit aucun son.<br />
Je ne sais ce que cette définition — im provisée<br />
pour ainsi dire — vaut en elle-même.<br />
Pourtant, à ce qu’il me semble, bonne ou m auvaise,<br />
elle fait comprendre ce que pourrait être,<br />
dans ma manière <strong>de</strong> voir, la genèse <strong>de</strong> la parole<br />
intérieure. Or, cette genèse, ne ia cherchez pas<br />
dans le livre <strong>de</strong> M. Egger. Il se réserve d’en<br />
parler dans un ouvrage ultérieur. En attendant,<br />
je ne puis que m’étonner <strong>de</strong> lui voir écrire précisément<br />
le contraire <strong>de</strong> ce que je viens d’avancer:<br />
pour lui, la parole intérieure est une image<br />
purem ent sonore, tandis que la parole extérieure<br />
est à la fois sonore et tactile. M. Egger se sert<br />
du mot tactile, qui est im propre, parce qu’il<br />
craint d’être pris pour un a<strong>de</strong>pte <strong>de</strong> cette école<br />
qui fait jouer au sens m üsculaire un rôle prépondérant.<br />
C’est dommage, car ici le term e<br />
m usculaire, ou mieux encore m otile eût été<br />
plus juste.<br />
Pourquoi M. Egger enlève-t-il à la parole<br />
intérieure la qualité d’être une image tactile ? Je<br />
n ’en sais vraim ent rien. Il est parti ou a cru partir<br />
<strong>de</strong> l’observation Mais lui, qui a écrit <strong>de</strong>s<br />
pages si piquantes (p. 78 et suiv.) sur les illusions<br />
<strong>de</strong> l’observation <strong>de</strong> soi-même, comment<br />
n’a-t-il pas été mis en défiance quand il a cherché<br />
à fon<strong>de</strong>r sur elle une proposition négative ?<br />
Il s’imagine, quand il se parle à lui-m ême,<br />
entendre <strong>de</strong>s sons mais ne pas sentir <strong>de</strong> mouvements.<br />
Quant à moi, je m’imagine tout juste le<br />
contraire. Jem ’en aperçois surtout quand j ’essaye<br />
<strong>de</strong> prononcer en moi-même <strong>de</strong>s syllabes étrangères<br />
pour lesquelles ma langue est rétive. Je<br />
ne les entends mentalem ent que quand je suis<br />
parvenu à disposer mon larynx à peu près convenablement.<br />
Il est vrai que souvent il m’arrive<br />
<strong>de</strong> chanter <strong>de</strong> tête un air que ma voix est impuissante<br />
à reproduire. Mais, même ici, il me<br />
semble que quand je veux le chanter à haute<br />
voix, je vise à donner à mon gosier la forme<br />
qu’il prend quand je le répète m entalem ent.<br />
Est-il essentiel à la théorie <strong>de</strong> M. Egger que<br />
la parole intérieure ne soit pas une image tactile?<br />
Nullement. Tactile ou non, tout le reste du<br />
volume n ’a rien à y voir.<br />
Mais il y a plus. La discussion à laquelle il se<br />
livre n’est pas exempte d’obscurités ni <strong>de</strong> contradictions.<br />
Il dira, par exemple, que dans la<br />
parole intérieure « l’image tactile est réduite à<br />
une ombre insaisissable à l’observation, sinon<br />
même à un néant absolu » (p. 76), et plus loin :<br />
à « un <strong>de</strong>gré infinitésimal inappréciable, subjectivement<br />
i<strong>de</strong>ntique à zéro » (p. 81;. Or, une<br />
ombre, si insaisissable qu’elle soit, est toujours<br />
quelque chose.<br />
M.Et