1882 - Université Libre de Bruxelles
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L'ATHENÆUM BELGE<br />
BUREAUX :<br />
R U E D E L A M A D E L E IN E , 26, A B R U X E L L E S .<br />
S o m m a ir e . —- Correspondance du Cardinal <strong>de</strong><br />
Granvelle, p. p. E. Poullet, t. III (Ch. Piot). —<br />
Une visite à la Station zoologique et à l'A quarium<br />
<strong>de</strong> Naples. I. (Ernest Van <strong>de</strong>n Broeck).—Fouilles<br />
archéologiques dans la province <strong>de</strong> N am ur. — La<br />
Commission Rubens. — Chronique. — Sociétés<br />
savantes. — Bibliographie.<br />
O U V R A G E S N O U V E A U X .<br />
Correspondance d u Cardinal <strong>de</strong> Granvelle, 1565-<br />
1583, publiée par Edmond Poullet. Tome III.<br />
<strong>Bruxelles</strong>, Hayez, 183-1, in-4°.<br />
Souvent, trop souvent peut-être, les appréciations<br />
concernant la révolution du XVIe siècle<br />
aux Pays-Bas ont été modifiées. A chaque publication<br />
nouvelle, <strong>de</strong>s points <strong>de</strong> vue nouveaux,<br />
<strong>de</strong>s théories différentes se font jour. Jadis il était<br />
<strong>de</strong> bon ton <strong>de</strong> répéter les récits si poétiques <strong>de</strong><br />
Schiller sur cet événement, <strong>de</strong> faire l’éloge <strong>de</strong><br />
la révolution, <strong>de</strong> ses agents et <strong>de</strong> ses chefs, <strong>de</strong><br />
conspuer Philippe II et ses adhérents, sans<br />
avoir égard aux idées <strong>de</strong> l’époque, sans se soucier<br />
d’aucune considération historique. Au<br />
milieu <strong>de</strong> ce touchant accord d’éloges s’élevèrent<br />
bientôt quelques voix discordantes. Les<br />
r öles furent intervertis, et le mouvement du<br />
XVIe siècle <strong>de</strong>vint aux yeux <strong>de</strong> certains écrivains<br />
une abomination. Son chef, le prince d ’Orange,<br />
n’était plus qu’un révolutionnaire <strong>de</strong> bas étage,<br />
sans foi ni loi, un ambitieux: sans conscience,<br />
un conspirateur vulgaire. Cette idée n ’était pas<br />
nouvelle Elle avait déjà été émise au XVIe siècle<br />
p a r l’a u te u r du R enard d évoilé. Le fondateur <strong>de</strong><br />
la république batave, appelé à jouer un röle<br />
im portant dans la politique européenne, n’était<br />
plus qu’un traître, prêt à vendre la patrie à<br />
l’étranger. Faut-il s’étonner d'une pareille divergence<br />
d ’opinions? Assurém ent non. Chacun<br />
apprécie les événem ents du XVIe siècle à son<br />
point <strong>de</strong> vue, selon ses affections, ses craintes,<br />
ses espérances. Les idées sur les révolutions et<br />
les révolutionnaires <strong>de</strong> toutes les époques n’ont-<br />
elles pas subi les mêmes fluctuations ?<br />
M. Poullet ne se préoccupe pas <strong>de</strong> ces q u estions,<br />
il ne veut pas, dit-il, tirer <strong>de</strong>s conclusions<br />
personnelles <strong>de</strong>s lettres qu’il édite. Sans se<br />
poser en fataliste, il rapporte avec im partialité<br />
les faits révélés par ces lettres. Il en tire, dans<br />
l'introduction, <strong>de</strong>s conséquences parfaitement<br />
justifiées. Granvelle est à ses yeux un personnage<br />
jouissant <strong>de</strong> toute la confiance <strong>de</strong> P hilippe<br />
II, tandis que le duc d’Albe est apprécié à<br />
sa juste valeur.<br />
Au nom bre <strong>de</strong>s soixante-cinq missives écrites<br />
par le cardinal, il en e s t dix-sept adressées à son<br />
souverain, qui lui répond à six reprises différentes.<br />
Cent dix-huit autres lettres émanent <strong>de</strong><br />
ses nom breux correspondants, tels que: Marguerite<br />
<strong>de</strong> Parme, les frères <strong>de</strong> Taxis, le seigneur<br />
d’Oosterwyck, Morillon, Havetius, évêque<br />
J o u r n a l u n iv e r sel d e la L itté r a tu r e , d e s S c ie n c e s e t d e s<br />
Arts. P A R A IS S A N T L E 1er E T L E 15 D E C H A Q U E M O IS .<br />
5 me ANNÉE.<br />
N ° 8 - 1 5 A V R I L 1 8 8 3<br />
<strong>de</strong> Namur, Gérard <strong>de</strong> Groesbeek, évêque <strong>de</strong><br />
Liège, les Blon<strong>de</strong>l, seigneurs <strong>de</strong> Haultbois et<br />
<strong>de</strong> Cuinchy, l’avocat van Veen, le conseiller Jean<br />
<strong>de</strong> Blaesere, Clau<strong>de</strong> Bélin, l’écoutète <strong>de</strong> Malines,<br />
Ferdinand <strong>de</strong> Lannoy, comte do la Roche, le<br />
pensionnaire Cornet, Christophe Plantin, l’élu<br />
<strong>de</strong> Cologne, l’évêque <strong>de</strong> Bâle, Schetz <strong>de</strong> Grobbendonck,<br />
Maximilien <strong>de</strong> Boussu, etc. Mais ces<br />
correspondances n'ont pas toujours un intérêt<br />
politique ; ce sont souvent même <strong>de</strong> simples<br />
recommandations. Toutes ces lettres étaient<br />
adressées à Granvelle pendant son séjour à Rome,<br />
lieu <strong>de</strong> sa rési<strong>de</strong>nce ordinaire <strong>de</strong>puis son éloignement<br />
<strong>de</strong>s Pays-Bas. En dépit d’une ém igration<br />
forcée, il s’occupait encore avec activité,<br />
dans ia ville éternelle, dos affaires <strong>de</strong> sa patrie.<br />
Pour se rendre un compte exact <strong>de</strong> la situation,<br />
il lui fallait <strong>de</strong>s correspondants intelligents,<br />
tels, par exemple, que à prévöt Morillon, qui<br />
ne manquait do lui faire connaître jour par jour<br />
tous les événements. En outre, il <strong>de</strong>vait avoir à<br />
sa disposition un soldat, parfaitement au courant<br />
<strong>de</strong>s affaires m ilitaires. Il le trouva dans<br />
Ferdinand <strong>de</strong> Lannoy, un vrai furet, constamment<br />
aux aguets <strong>de</strong> ce qui se passait dans les<br />
camps et à l’arm ée.<br />
Ces leltres se rattachent au gouvernem ent du<br />
duc d’Albe, l’exécuteur sans pitié <strong>de</strong>s ordres<br />
secrets que son m aître lui avait dictés au mom<br />
ent <strong>de</strong> l’envoyer dans les Pays-Bas pour y rem -<br />
placer Marguerite <strong>de</strong> Parme, princesse trop<br />
bienveillante et trop belge surtout, pour être<br />
maintenue à la tête <strong>de</strong>s affaires.<br />
Le volume s’ouvre par <strong>de</strong>s lettres traitant <strong>de</strong><br />
l’arrestation <strong>de</strong>s comtes d’Egmont et <strong>de</strong> Hornes,<br />
<strong>de</strong> celle d’Antoine van Straelén, <strong>de</strong> leurs supplices<br />
et <strong>de</strong> celui du seigneur do Villers, <strong>de</strong> la<br />
création du Conseil <strong>de</strong>s troubles, <strong>de</strong> sanglante<br />
m ém oire, <strong>de</strong> l’effet produit par ces actes <strong>de</strong><br />
violence et <strong>de</strong> tyrannie sur un peuple habitué<br />
au respect <strong>de</strong>s lois et à certains ménagements.<br />
Momentanément la terreur triom pha partout,<br />
grâce à la violence déployée par le duc et las<br />
Espagnols, appelés à rem placer les indigènes.<br />
L’émigration se développe partout sur une<br />
large échelle. « Il serait trop long, dit Aldo-<br />
brandino, <strong>de</strong> rendre compte <strong>de</strong> tous ceux qui<br />
ont décampé et qui étaient tenus pour fidèles<br />
sujets du roi et catholiques. » Tandis que <strong>de</strong>s<br />
milliers <strong>de</strong> citoyens passent à l’étranger, au<br />
grand contentem ent du duc, la population paisible<br />
voit à regret les excès <strong>de</strong>s Espagnols. Ce<br />
ne sont plus <strong>de</strong>s protecteurs prêts à repousser<br />
les désordres <strong>de</strong>s gueux; ce sont <strong>de</strong>s maîtres,<br />
sans frein, comme sans conscience. « Don Francisco<br />
d’Ybarra, dit le prévöt Morillon à propos<br />
<strong>de</strong> ce personnage jusqu’ici peu ou point connu<br />
dans notre histoire, menasse les députés <strong>de</strong> les<br />
em prisonner, s’ils ne fournissent ad ce qu’ils<br />
<strong>de</strong>m an<strong>de</strong>nt; dont il est mal voulu, et sera<br />
dadvantaige s’il ne se m odère.... De compter et<br />
appeler tous les subjects <strong>de</strong> ce pays rebelles et<br />
PRIX D’ABONNEMENT :<br />
Belgique, 8 fr. par an ; étranger (union postale), 10 fr.<br />
désobéissant/ à cause d ’aucungz qui ont com-<br />
miz le désordre, est leur faire to rt et les décourager;<br />
s’ilz fussent estez telz, ny le duc<br />
d’Albe, ny don Francisco d’Ybarra ne fussent<br />
si facilement entrez au payz. » Plus loin, le<br />
même ecclésiastique, qui était bien loin d’être<br />
un révolutionnaire, dit encore à propos <strong>de</strong>s<br />
Espagnols : « Et certes plusieurs troisvent icy<br />
estrange la si gran<strong>de</strong> dém onstration que l’on<br />
faict <strong>de</strong> désirer los confiscations, et ce que l’on<br />
at faict pourtraire plusieurs lieux et chastaulx<br />
et maisons <strong>de</strong> plusieurs ..E t si la distribution se<br />
fait à ceulx d’Espaigne, tant la crierie sera plus<br />
gran<strong>de</strong>. Le pire est que l’on ne peult rien dire<br />
et que en parlant le moings sera le plus<br />
saige. »<br />
Dès ce moment l’esprit d’opposition gagne<br />
du terrain. Le parti avancé recrute <strong>de</strong>s adhérents<br />
nouveaux, qui espèrent sauver le pays par<br />
une invasion venue <strong>de</strong> l’étranger.<br />
Les affaires <strong>de</strong> religion aussi se com pliquent.<br />
Par suite <strong>de</strong>s soulèvements <strong>de</strong>s Huguenots en<br />
France, le duc d’Albe est obligé d ’envoyer au<br />
secours <strong>de</strong> Charles IX un corps d’armée com <br />
mandé par le comte d’Arenberg. De leur cöté, les<br />
protestants flamands réfugiés en Angleterre continuent<br />
leurs conspirations. Ils finissent par<br />
ex citer ce pays contre l’Espagne. Finalem ent, les<br />
Pays-Bas sont entraînés dans le mouvement<br />
général. L a guerre est partout.<br />
A qui la faute? Les documents publiés p ir<br />
M. Poullet l’indiquent clairem ent : au duc d’Albe.<br />
Les cruautés provoquèrent contre le gouvernement<br />
espagnol une réaction à laquelle catholiques<br />
et protestants prirent part. L’<strong>Université</strong><br />
<strong>de</strong> Louvain, si orthodoxe, n’eut pas scrupule <strong>de</strong><br />
faire <strong>de</strong> l’opposition au nouveau gouverneur.<br />
Ses doctrines et ses violences ne trouvaient<br />
d ’écho que chez Jean Lensœus, professeur <strong>de</strong><br />
théologie, tandis que d’autres théologiens, tels<br />
que Cunerus Peeters, évêque <strong>de</strong> Leeuwar<strong>de</strong>n,<br />
Cassan<strong>de</strong>r e t Molanus, <strong>de</strong>mandaient en faveur <strong>de</strong>s<br />
protestants une tolérance que ceux ci repoussèrent<br />
lors <strong>de</strong> la Pacification <strong>de</strong> Gand et aux<br />
conférences <strong>de</strong> Cologne en 1579.<br />
Les documents publiés par M. Poullet donnent<br />
en outre <strong>de</strong>s renseignem ents sur le soigneur<br />
<strong>de</strong> Villers et sa confession; sur le procès<br />
<strong>de</strong>s comtes d ’Egmont et <strong>de</strong> Homes ; sur les sentiments<br />
<strong>de</strong> Marguerite <strong>de</strong> Parme à l’égard du<br />
duc d’Albe; sur le Conseil <strong>de</strong>s troubles et l’influence<br />
qu’y exercèrent Jean <strong>de</strong> Vargas et <strong>de</strong>l<br />
Rio; sur don Francisco <strong>de</strong> Ybarra, un <strong>de</strong>s conseillers<br />
les plus influents du duc d’Albe; sur les<br />
espérances du fils du duc d’Albe; sur les conspirations<br />
ourdies en A ngleterre; sur l’expédition<br />
du comte Louis do Nassau en Frise ; sur les batailles<br />
<strong>de</strong> Heyligerlee et <strong>de</strong> Jem ininghen; sur<br />
l’invasion du prince d’Orange dans les Pays-Bas ;<br />
sur la mission <strong>de</strong> l’archiduc Charles, envoyé à<br />
Madrid pour solliciter en faveur du prince<br />
d’Orange; s u r l’intronisation <strong>de</strong> certains évêques;