1882 - Université Libre de Bruxelles
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avant le 13 mars, jour <strong>de</strong> l’assassinat du roi.<br />
Il est temps <strong>de</strong> parler du successeur <strong>de</strong> M. <strong>de</strong><br />
Staël, le baron Brinkman.<br />
Charles-Gustave Brinkman, né le 24 février<br />
1764, avait fréquenté les principales universités<br />
d e l'Allemagne. Le 17 mai 1791, il entrait à la<br />
chancellerie comme simple commis, et, après<br />
la mort <strong>de</strong> Gustave 111, il fut nommé secrétaire<br />
à la légation <strong>de</strong> Berlin. En 1797, il est envoyé à<br />
l’ambassa<strong>de</strong> <strong>de</strong> Paris. En 1806, il revient à<br />
Berlin comme ministre. En 1807, il va à Londres<br />
où il représente la Suè<strong>de</strong> jusqu’en 1810.<br />
Il était membre <strong>de</strong> l’Académie <strong>de</strong>s sciences<br />
et l’un <strong>de</strong>s dix-huit <strong>de</strong> l’Académie suédoise; il<br />
écrivait avec la même facilité, la même correction<br />
élégante, le suédois, le français, l’anglais, l'allemand<br />
et le latin. « Il travaillait toute la nuit,<br />
dit son biographe ; il ne se déshabillait que très<br />
rarem ent pour se coucher, ou plutöt il ne se<br />
couchait pas. Chaque jour, après midi, il s’enfermait<br />
et dorm ait trois heures, allongé sur un<br />
fauteuil ; à son réveil, il recevait. C’est pourquoi<br />
on n’a jamais su au juste à quelle heure il rendit<br />
le <strong>de</strong>rnier soupir. C’était en 1847, la veille <strong>de</strong><br />
Noël : le moment où d’habitu<strong>de</strong> il term inait sa<br />
sieste étant passé <strong>de</strong>puis longtemps, sans qu’il<br />
rouvrit sa porte, on la força, il était m ort. »<br />
Brinkman raconte dans ses dépêches les <strong>de</strong>rniers<br />
mois du Directoire, le 18 brum aire et les<br />
débuts du Consulat. Il nous paraît plus intéressant<br />
que M. <strong>de</strong> Staël. Il n’est pas mieux<br />
informé, mais son jugem ent est plus ferme, ses<br />
portraits ont plus <strong>de</strong> relief.<br />
Le nouveau chargé d’affaires correspondait<br />
avec le chancelier du royaume, comte Frédéric<br />
Sparre. Quel mépris pour le Directoire ! Brinkman<br />
écrit que le gouvernem ent directorial est<br />
généralement détesté, qu’il est corrompu et<br />
inepte. Voici comment il dépeint Talleyrand,<br />
ministre <strong>de</strong>s relations extérieures : « Il a conservé<br />
dans sa conduite personnelle toute la<br />
morgue dédaigneuse d’un grand seigneur <strong>de</strong><br />
l’ancienne cour, ce qui fait enrager naturellement<br />
la vanité <strong>de</strong> tous les républicains parvenus.<br />
Comme ancien évêque, il a insulté aux préjugés<br />
<strong>de</strong> son pays en affectant d’entretenir une favorite<br />
en titre, une femme divorcée et connue autrefois<br />
comme une fille presque publique; favorite à qui<br />
tous les ambassa<strong>de</strong>urs ont fait bassement la<br />
cour, comme à la femme du m inistre, en se<br />
disputant l’honneur d’assister à sa toilette et <strong>de</strong><br />
l’accompagner au spectacle.... Talleyrand est<br />
publiquement dénoncé comme conspirateur et<br />
chef d’une contre-révolution orléaniste, comme<br />
espion payé par l’A ngleterre... »<br />
Si l’espace ne nous faisait défaut, nous voudrions<br />
citer aussi les portraits <strong>de</strong> Sieyès et <strong>de</strong><br />
Barras Mais arrivons au 18 brum aire. Brinkman<br />
écrit le 8 novembre 1799 : « Depuis peu <strong>de</strong> jours<br />
on parle sous main d’un grand coup d’État qui<br />
doit se préparer au Luxembourg, sous les<br />
auspices <strong>de</strong> Bonaparte. Il est question d ’une<br />
espèce <strong>de</strong> fructidor pour exterm iner le parti<br />
jacobin et pour frapper ses partisans parmi les<br />
membres du Directoire même. Le bruit <strong>de</strong> ce<br />
projet fait la plus gran<strong>de</strong> sensation, surtout<br />
parmi le corps diplom atique... » Brinkman<br />
reprend sa correspondance le 10 novembre :<br />
« L’explosion du grand coup que ma <strong>de</strong>rnière<br />
dépêche d’avant-hier n’a pu qu’indiquer, nous<br />
a tous déroulés en frappant comme la foudre,<br />
<strong>de</strong> manière à faire trem bler les <strong>de</strong>rnières bases<br />
<strong>de</strong> la constitution républicaine... Bonaparte est<br />
maintenant <strong>de</strong> fait et presque <strong>de</strong> droit l’arbitre<br />
L’ATHENÆUM BELGE<br />
<strong>de</strong> la chose publique, et s’il manque <strong>de</strong> profiter<br />
exclusivem ent <strong>de</strong> sa supériorité, ce sera plutöt<br />
un calcul <strong>de</strong> pru<strong>de</strong>nce et d’ambition profon<strong>de</strong>s<br />
que <strong>de</strong> respect pour la constitution et pour<br />
l’esprit même du système républicain qui tracera<br />
<strong>de</strong>s bornes à son <strong>de</strong>spotism e.: . »<br />
M. Leouzon Le Duc dit <strong>de</strong>s lettres qu’il a<br />
recueillies aux archives royales <strong>de</strong> Stockholm :<br />
« Cette correspondance officielle présente un<br />
ensem ble d ’informations et d’appréciations dont<br />
la richesse et l’intérêt défient toute rivalité. »<br />
L’estim ation <strong>de</strong> l’honorable éditeur n ’est-elle<br />
pas outrée? Disons simplement que la correspondance<br />
publiée par M. Leouzon Le Duc<br />
prendra un rang très distingué parmi les<br />
recueils <strong>de</strong> documents que <strong>de</strong>vront toujours<br />
consulter ceux qui se proposeront d’écrire sur<br />
la Révolution française. Th . J uste.<br />
Le Maréchal Bugeaud, d’après sa correspondance<br />
intime et <strong>de</strong>s documents inédits,<br />
1781-1849, par le comte H. d’I<strong>de</strong>ville ;<br />
tome Ier. Paris, Firmin-Didot.<br />
P lusieurs motifs ont décidé M. d’I<strong>de</strong>ville a<br />
entreprendre cette étu<strong>de</strong> sur la vie du maréchal<br />
Bugeaud : un penchant instinctif pour les<br />
hommes simples et très énergiques, un goût<br />
nettem ent prononcé pour les tempéraments autoritaires<br />
et non compliqués, un profond dédain<br />
<strong>de</strong> toutes les fictions, <strong>de</strong> toutes les malfaisances<br />
<strong>de</strong>s prétendus libéraux mo<strong>de</strong>rnes, enfin l’horreur<br />
invétérée <strong>de</strong> la race impuissante <strong>de</strong>s révolutionnaires.<br />
Toutes ces rép u lsio n s, ajoute<br />
M. d’I<strong>de</strong>ville, toutes ces répulsions jointes à la<br />
nostalgie ar<strong>de</strong>nte d’un état <strong>de</strong> choses fort et<br />
respecté l’ont amené à choisir pour héros entre<br />
tous, un grand soldat, un grand caractère, qui<br />
fut homme <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir et <strong>de</strong> discipline. Soit;<br />
M, d ’I<strong>de</strong>ville juge bon <strong>de</strong> nous apprendre qu’il<br />
esl orléaniste, aveu qui nous im portait peu ;<br />
il admire et vénère Bugeaud, parce que ce « glorieux<br />
nom, béni dans les chaum ières du Périgord<br />
et respecté par les tribus d’Algérie, a<br />
aujourd’hui encore le privilège <strong>de</strong> n ’être prononcé'<br />
qu’avec épouvante par les démagogues<br />
<strong>de</strong> Paris. » Heureusement, cette sorte <strong>de</strong> profession<br />
<strong>de</strong> foi ne figure que dans l’introduction<br />
<strong>de</strong> l’ouvrage ; et dans tout le reste du volume<br />
M. d’I<strong>de</strong>ville dissimule assez la haine profon<strong>de</strong><br />
que lui inspirent les institutions républicaines.<br />
Il a eu le bon esprit <strong>de</strong> s’effacer le plus possible;<br />
c’est Bugeaud lui-même qui se m ontre à nous<br />
dans sa correspondance intime ; « la lettre fam<br />
ilière adressée à une m ère, à une sœ ur, à un<br />
ami, les confi<strong>de</strong>nces épanchées dans l'âm e d’une<br />
fille, d’une femme, ne sont-elles pas l’émanation<br />
la plus sincère <strong>de</strong> la conscience d’un homme,<br />
ne traduisent-elles pas exactement ses im pressions<br />
vraies et ne portent-elles pas l’em preinte<br />
<strong>de</strong>s sentim ents qui l’agitent au moment même<br />
où il écrit? » M. d ’I<strong>de</strong>ville n ’a fait que relier par<br />
<strong>de</strong>s commentaires historiques les documents<br />
dont il doit la communication à l’obligeance <strong>de</strong><br />
la comtesse Feray et <strong>de</strong> M. Robert Gasson Bugeaud<br />
d’Isly.<br />
Il nous introduit d’abord dans la famille <strong>de</strong><br />
Bugeaud qui était fort nom breuse; le futur<br />
maréchal (né à Limoges le 15 octobre 1784) était<br />
le fils <strong>de</strong> Jean-Ambroise Bugeaud <strong>de</strong> la Piconnerie<br />
et <strong>de</strong> Françoise Sutton <strong>de</strong> Clonard ; il eut<br />
treize frères et sœ urs, dont sept ont vécu. Son<br />
enfance ne fut pas très heureuse ; son père,<br />
vieux gentilhomme dur et égoïste, que la Révo<br />
lution avait ruiné, vivait à Limoges avec son<br />
fils aîné Patrice sur lequel se concentrait toute<br />
son affection ; Thomas Robert Bugeaud, avec ses<br />
sœ urs, avait été relégué au château, fort délabré,<br />
<strong>de</strong> l a Durantie. Il n ’eut aucune instruction<br />
sérieuse, il se levait à l’aube pour aller à l’aff û t<br />
et rentrait triom phant à l’heure du dîner avec du<br />
gibier qui s’ajoutait aux châtaignes, plat <strong>de</strong><br />
fondation <strong>de</strong> la famille. Pour se reposer, il travaillait<br />
avec ses sœ urs qui lui enseignaient le<br />
peu qu’elles avaient appris au couvent et lui faisaient<br />
apprendre par cœ ur Molière et Racine ;<br />
puis il repartait pour aller à la pêche avec <strong>de</strong><br />
petits paysans <strong>de</strong> son âge; il n’avait d’autre<br />
chaussure que <strong>de</strong>s sandales qu’il s’était faites<br />
lui-même avec <strong>de</strong> l’écorce <strong>de</strong> cerisier et <strong>de</strong> la<br />
ficelle ; quant à ses sœ urs, qui n ’avaient pas <strong>de</strong><br />
chaussure, elles étaient <strong>de</strong>s mois entiers sans<br />
so rtir <strong>de</strong> leur pauvre <strong>de</strong>meure.<br />
Cependant, Thomas Bugeaud avait dix-huit<br />
ans; il pensait à l’avenir; que faire? Il <strong>de</strong>manda<br />
à un m aître <strong>de</strong> forges une place <strong>de</strong> com m is; la<br />
personne à qui il s’adressa et qui <strong>de</strong>vait <strong>de</strong>venir<br />
plus tard son.beau-frère, lui conseilla d’entrer<br />
dans l’armée où « son intelligence le m ènerait<br />
à <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s positions ». Le jeune Bugeaud décida<br />
qu’il serait soldat et entra dans les vélites <strong>de</strong>s<br />
grenadiers <strong>de</strong> la gar<strong>de</strong> impériale, à Fontainebleau.<br />
Mais la vie <strong>de</strong> garnison lui était odieuse<br />
et il songea plus d’une fois à quitter le métier<br />
militaire, où il fallait s’ennuyer, dépenser beaucoup<br />
d ’argent afin <strong>de</strong> soigner sa tenue, et supporter<br />
souvent l’injustice <strong>de</strong>s chefs. Mais il<br />
étudia assidûment, il consacra au travail intellectuel<br />
tout le temps que lui laissaient les corvées<br />
et les exercices, il prit <strong>de</strong>s leçons <strong>de</strong><br />
mathématiques. Peu à peu il monte en gra<strong>de</strong>,<br />
et son avancem ent, assez rapi<strong>de</strong>, le réconcilie<br />
avec cette profession <strong>de</strong>s armes où il ne voyait<br />
que déboires et ennuis. Il est vrai qu’il est<br />
d’abord effrayé <strong>de</strong>s horreurs <strong>de</strong> la guerre; il<br />
avoue qu’à Austerlitz, à cette « bataille mêmerable,<br />
la plus m eurtrière qu’il y ait encore eu, il<br />
a été très ému et il a désiré que « les empereurs<br />
et les rois qui cherchent la guerre sans <strong>de</strong>s<br />
motifs légitimes fussent condamnés, pour leur<br />
vie, à entendre les cris <strong>de</strong>s misérables blessés<br />
qui sont restés trois jours sur le champ <strong>de</strong> bataille<br />
sans qu’on leur ait porté aucun secours. » Mais<br />
c’est à Austerlitz qu’il est nommé caporal; c’est<br />
« la prem ière jouissance qu’il a dans son état »,<br />
et « cette place est plus im portante qu'on ne le<br />
pense et peut le mener fort loin, surtout l’ayant<br />
reçue en campagne. »<br />
Après la guerre <strong>de</strong> 1806, où il est blessé à<br />
Pultusk, il est sergent-m ajor; en Espagne, où il<br />
reste <strong>de</strong> 1808 à 1814 et déploie dans cette guerre<br />
<strong>de</strong> perpétuelles embusca<strong>de</strong>s et <strong>de</strong> sièges acharnés<br />
(Saragosse, Lérida, etc.), une brillante bravoure,<br />
il <strong>de</strong>vient successivement capitaine, chef<br />
<strong>de</strong> bataillon et lieutenant-colonel. Les Bourbons<br />
le nomment colonel, et il est vrai qu’à Orléans,<br />
à l’occasion d’une visite <strong>de</strong> la duchesse d’Angou-<br />
lême, Bugeaud compose une chanson où il<br />
célèbre le retour <strong>de</strong> Louis XVIII, le « père » <strong>de</strong><br />
la patrie. Mais aux Cent Jours, le colonel du<br />
14e régim ent <strong>de</strong> ligne se rallie à Napoléon; il<br />
rem porte à la frontière <strong>de</strong>s Alpes une petite<br />
victoire sur les Piém ontais; aussi, après W aterloo,<br />
les Bourbons le licencient; on le regar<strong>de</strong><br />
comme un homme dangereux et qu'il faut surveiller<br />
; il est porté dans la quatorzième classe,<br />
c’est-à-dire la plus mauvaise, <strong>de</strong>s fameuses<br />
« catégories. »