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1882 - Université Libre de Bruxelles

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<strong>de</strong> retracer ici toute la vie du grand apötre du<br />

libre-échange, et surtout sa vie publique Qui<br />

donc ignore l’im mortelle cam pagne dont il fut<br />

le chef héroïque et qui <strong>de</strong>vait aboutir à une pacifique<br />

révolution dont les conséquences ne sont<br />

point encore entièrem ent calculables? L’histoire<br />

<strong>de</strong> la Ligue est trop connue, elle a été trop<br />

adm irablem ent racontée par Bastiat pour qu’il<br />

soit nécessaire <strong>de</strong> la rappeler, fût-ce en quelques<br />

lignes. M. Morley, d’ailleurs, l’a parfaitement<br />

com pris, et il s’est <strong>de</strong> préférence attaché à nous<br />

m ontrer en Cob<strong>de</strong>n l’homme lui-même, à nous<br />

faire saisir et apprécier le développement <strong>de</strong> ce<br />

vaste esprit, ses <strong>de</strong>sseins, ses vues, ses mobiles.<br />

On sait combien furent m o<strong>de</strong>stes, misérables<br />

presque, les débuts <strong>de</strong> Richard Cob<strong>de</strong>n. Ses<br />

prem ières années passées dans la solitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s<br />

champs, sa jeunesse s’écoulant <strong>de</strong>rrière un<br />

comptoir <strong>de</strong> Londres ne semblaient pas <strong>de</strong>voir<br />

le disposer au r öle qu’il allait jouer plus tard.<br />

Tout ce qu’il apprend, il l’apprend par lui-m êm e,<br />

aidé par une rare et active intelligence, et c’est<br />

m erveille <strong>de</strong> voir dès ses prem ières lettres avec<br />

quelle justesse et quel bon sens il juge les<br />

choses. Un peu plus tard, la conduite <strong>de</strong>s affaires,<br />

les grands voyages qu’il entreprend lui donnent<br />

plus d ’acquis en lui ouvrant <strong>de</strong>s horizons plus<br />

larges. Des vues qu'il exprim e dans sa correspondance<br />

sur l’Egypte et l’Orient, il en est peu<br />

qui n ’aient été <strong>de</strong>puis confirmées par l’expérience,<br />

et en même tem ps il retrace ses im pressions<br />

d’une plume alerte et pleine d'agrém ent.<br />

Quoi <strong>de</strong> mieux enlevé, par exemple, que son<br />

récit <strong>de</strong> l’audience que lui accor<strong>de</strong> Méhémel Ali?<br />

Il n’est point ébloui par le luxe que déploie le<br />

Pacha, ni dupe <strong>de</strong> ses forfanteries. Bien vite il a<br />

percé à jour les défauts du régim e établi sur les<br />

bords du Nil, et c’est à bon droit qu’il écrit :<br />

« Méhémet poursuit le cours d’un avare <strong>de</strong>spotism<br />

e, qui <strong>de</strong>puis longtemps eût enlevé toute<br />

vitalité à un pays moins riche que celui-ci. Il a<br />

été représenté par ses créatures en Europe<br />

comme un régénérateur et un réformateur; pour<br />

moi, je ne vois en lui qu’un rapace tyran. » Et<br />

plus loin, quand il est à Smyrne, il se range <strong>de</strong><br />

l’avis <strong>de</strong> ceux qui pensent que « les Turcs n’ont<br />

pas en eux-m êmes le pouvoir <strong>de</strong> régénération<br />

et que, faute d’un appui étranger qui les en<br />

empêche, ils tom beront en pièces avant vingt<br />

ans. Un Turc, du moment où il entre dans un<br />

service public, <strong>de</strong>vient nécessairem ent un ras-<br />

cal. L’Angleterre doit, si elle intervient un<br />

jour, jouer le r öle principal et non un röle<br />

auxiliaire ».<br />

Tout en adm irant l’essor m erveilleux <strong>de</strong>s<br />

Etats-Unis et plein <strong>de</strong> confiance dans leur avenir,<br />

il n ’en découvre pas moins exactem ent les<br />

défauts et les travers <strong>de</strong> l’esprit am éricain. « Je<br />

suis frappé, dit-il, <strong>de</strong> voir que l’organe <strong>de</strong><br />

l’am our-propre est <strong>de</strong>stiné à <strong>de</strong>venir le trait n ational<br />

dans les crânes <strong>de</strong> ce peuple. Il est le<br />

plus insatiable gourm and <strong>de</strong> flatteries et d’éloges<br />

qui ait jam ais existé. » Aussi son orgueil<br />

légitime se révolte-t-il parfois en entendant<br />

parler avec mépris <strong>de</strong> l’A ngleterre, et nous lisons<br />

dans ses lettres quelques répliques courtoises<br />

mais topiques à <strong>de</strong>s sorties <strong>de</strong> mauvais goût<br />

faites <strong>de</strong>vant lui.<br />

A l’occasion, il n’est pas insensible à d’autres<br />

attractions que ces étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> caractères et <strong>de</strong><br />

mœurs internationales. Sa <strong>de</strong>scription <strong>de</strong> la<br />

chute du Niagara, qu’il appelle « la sublim ité du<br />

mouvement », est vigoureusem ent enlevée, et il<br />

L’ATHENÆUM BELGE 191<br />

exprime avec une sorte d’enthousiasm e son<br />

admiration pour la mantille <strong>de</strong>s femmes espagnoles,<br />

« la plus ravissante coiffure du mon<strong>de</strong>,<br />

celle à laquelle toutes les parures <strong>de</strong> la chrétienté<br />

doivent cé<strong>de</strong>r la palme ».<br />

Toutefois, ce n ’est là qu’une exception. Cob<strong>de</strong>n<br />

voyage avant tout en observateur, et pour<br />

dire le mot juste, en politique. Entre son voyage<br />

en Amérique et son voyage en Orient il avait<br />

publié sa prem ière brochure, dont le succès<br />

avait été plein <strong>de</strong> promesses; il avait aussi prononcé<br />

son prem ier discours avec une telle émotion<br />

que le prési<strong>de</strong>nt du meeting avait dû solliciter<br />

pour lui l’indulgence. Chose étrange, cette<br />

émotion, naturelle chez un débutant, il ne s’en<br />

débarrassa que très tard, et bien qu’il eût fait<br />

<strong>de</strong>s centaines <strong>de</strong> harangues <strong>de</strong>vant les auditoires<br />

les plus divers, il faisait <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s années partie<br />

du Parlem ent qu’il était encore, au moment<br />

<strong>de</strong> prendre la parole, « trem blant comme une<br />

jeune mariée la veille <strong>de</strong> ses noces ». Néanmoins,<br />

peu d’orateurs ont été doués plus que<br />

lui <strong>de</strong> cette éloquence simple et convaincante<br />

qui porte avec elle la persuasion. D’une inflexible<br />

logique, d’une sobriété extrêm e, il arrivait<br />

avec ces moyens au même résultat qu’en usant<br />

et en abusant <strong>de</strong> tout l’arsenal <strong>de</strong> la rhétorique.<br />

Il excellait principalement dans l’art difficile<br />

d’ « illustrer » ses discours d ’exemples, <strong>de</strong> comparaisons,<br />

<strong>de</strong> chiffres qui les rendaient plus<br />

vivants et plus décisifs à la fois. Est ce à dire<br />

qu’il n’ait jam ais atteint à la haute éloquence ?<br />

Non pas. Tels <strong>de</strong> ses mouvements sont restés<br />

célèbres parmi les morceaux fameux <strong>de</strong> la tr ibune<br />

anglaise. Mais il préférait ne pas donner <strong>de</strong><br />

ces coups d ’aile,et peut être n'en obtenait-il que<br />

mieux cette attention profon<strong>de</strong> <strong>de</strong> toutes les<br />

assemblées auxquelles il s’est, adressé. Et son<br />

style était, comme sa parole, serré, concis, allant<br />

droit au but avec <strong>de</strong> passagères envolées d’une<br />

réelle beauté. M. Morley s’en est même étonné,<br />

et il se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> si l’on peut soutenir la nécessité<br />

<strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s classiques quand on voit un<br />

homme qui n ’a eu d’autre maître que lui-m êm e,<br />

qui n ’a jamais lu les Grecs ni les Latins, manier<br />

sa plume avec tant <strong>de</strong> souplesse et <strong>de</strong> force.<br />

— Les exceptions n’ont-elles pas toujours confirmé<br />

les règles générales ?<br />

On sait l’attraction puissante qu’exerce la<br />

politique sur ceux qui s’y adonnent. Cette attraction,<br />

Cob<strong>de</strong>n la subit bientôt, et elle ne tarda<br />

pas à l’absorber tout entier à l’heure où dans<br />

toutes les sphères <strong>de</strong> l’activité humaine se produisait<br />

en A ngleterre un mémorable mouvement<br />

en avant retracé par M. Morley dans quelques<br />

pages nerveuses, les plus brillantes peut-être<br />

<strong>de</strong> son livre. Nous le voyons en quelques années<br />

jouer un röle actif dans l’émancipation m unicipale<br />

<strong>de</strong> Manchester, <strong>de</strong>venir a l<strong>de</strong>rm an, candidat<br />

au Parlem ent, et enfin prendre la tête du mouvement<br />

contre le système protectionniste.<br />

Comment s e sont formées les ar<strong>de</strong>ntes convictions<br />

économiques <strong>de</strong> Cob<strong>de</strong>n, quelle a été la<br />

genèse <strong>de</strong> son admirable apostolat? Sa correspondance<br />

nous le dit. C’est en constatant partout,<br />

dans ses voyages, les cruelles conséquences<br />

<strong>de</strong>s lois restrictives, en rem ontant à la source<br />

du mal qu’il avait compris l’inéluctable nécessité<br />

d’une réforme radicale. Avant lui, au surplus,<br />

ces idées saines et droites avaient trouvé <strong>de</strong>s<br />

défenseurs, une prem ière ligue s’était même<br />

formée pour en poursuivre la réalisation. Mais<br />

tout cela était plus théorique que pratique et il<br />

était réservé à Cob<strong>de</strong>n <strong>de</strong> faire rayonner la vé­<br />

rité à tous les yeux, <strong>de</strong> rendre sa victoire certaine<br />

et décisive.<br />

Avec quelle persévérance, quel dévoûment il<br />

accomplit la tàche écrasante qu’il s’était proposée,<br />

nous n’avons pas à le rappeler. ,Il faut<br />

iire ses lettres pour se rendre bien compte du<br />

labeur surhum ain accompli par lui et ses vaillants<br />

alliés, Bright, Villiers, W'ilson, Ashworth ;<br />

Bright surtout, digue ém ule, frère plutöt qu’am i<br />

du missionnaire du libre-échange. D’un bout à<br />

l’autre <strong>de</strong> l’Angleterre, ils portaient tous la bonne<br />

nouvelle, accueillis d’abord par <strong>de</strong>s clam eurs<br />

hostiles et, si l’on avait pu, par <strong>de</strong>s voies <strong>de</strong> fait,<br />

salués plus tard comme l e s sauveurs du peuple.<br />

Au Parlem ent, où Cob<strong>de</strong>n arrive quatre ans après<br />

son prem ier échec, mêmes travaux, même besogne<br />

do tous les instants. « Je vais vous donner<br />

un spécimen <strong>de</strong> l’occupation <strong>de</strong> mes journées,<br />

écrit-il à sa femme. Notre comité se réunit<br />

à midi et se prolonge jusqu’à quatre heures. La<br />

Chambre commence ensuite et dure en moyenne<br />

jusque minuit. Deux fois, la semaine <strong>de</strong>rnière,<br />

j’ai siégé jusque <strong>de</strong>ux heures du matin et suis<br />

ainsi resté quatorze heures au Parlem ent. » Et<br />

pendant sept ans cette vie se prolonge, <strong>de</strong> plus<br />

en plus fiévreuse et agitée. Cob<strong>de</strong>n trouve la force<br />

<strong>de</strong> faire face à lous les événements, <strong>de</strong> répondre<br />

à toutes les attaques, <strong>de</strong> m aintenir la Ligue dans<br />

la ligne droite sans lui perm ettre <strong>de</strong> dévier ni<br />

d’être débordée. Aucun argum ent ne le laisse<br />

sans réplique, aucune tentation ne le détourne<br />

<strong>de</strong> son but, aucune prière d'intervention ne le<br />

laisse sourd quand i! s’agit do rem plir son mandat,<br />

malgré le visible déclin <strong>de</strong> ses forces.<br />

« Quand je verrai Dickens ou Jerrold, dit-il,<br />

je leur conseillerai certes <strong>de</strong> prendre pour sujet<br />

<strong>de</strong> leur prem ier roman ou <strong>de</strong> leur prem ière co ­<br />

médie les misères <strong>de</strong> la vie d ’un homme public<br />

populaire. »<br />

Mais aussi, l’œuvre <strong>de</strong> délivrance avance à<br />

grands pas, les adhérents se m ultiplient chaque<br />

jour, séduits, entraînés par l’exemple du chef,<br />

par le courant sympathique qui range à ses cötés<br />

<strong>de</strong>s hommes comme Bastiat, venu en Angleterre<br />

pour assister à cette agitation pacifique sans<br />

précé<strong>de</strong>nt et saisi d’enthousiasm e à la vue <strong>de</strong>s<br />

m iracles enfantés par Cob<strong>de</strong>n ; comme Rowland<br />

Hill qui lui écrit au len<strong>de</strong>m ain <strong>de</strong> leur première<br />

entrevue : « Votre conversation, vos traits, vos<br />

lettres ont créé en moi pour vous <strong>de</strong>s sentiments<br />

si semblables à ceux que l’on éprouve<br />

pour un vieil ami, que je suis toujours tenté<br />

d ’oublier que nous ne nous sommes vus qu’une<br />

seule fois. »<br />

L’heure du triom phe arrive enfin, après <strong>de</strong><br />

longues épreuves; et un cri <strong>de</strong> soulagement<br />

s’échappe <strong>de</strong> la poitrine <strong>de</strong> Cob<strong>de</strong>n : « Ma chère<br />

Kale, — Hurrah! hurrah! le bill sur les céréales<br />

est voté et mon œuvre est finie. Je partirai <strong>de</strong>main<br />

par le train <strong>de</strong> six heures du matin et<br />

j’espère être à la maison pour prendre le thé<br />

dans la soirée. »<br />

Il était temps. Dans cette lutte sans trêve ni<br />

repos. Cob<strong>de</strong>n avait ruiné sa santé sans retour.<br />

Il l’écrit à un <strong>de</strong> ses amis, du foyer où il est allé<br />

chercher la quiétu<strong>de</strong> : « Il y a dix ans, avant que<br />

je ne fusse agitateur, j’ai passé un jour ou <strong>de</strong>ux<br />

dans cette maison. En comparant mes sensations<br />

d ’aujourd’hui avec celles d’alors, je vois com ­<br />

bien j’ai perdu en acquérant la renom m ée. La<br />

tempête m’a fermé désormais tout port tranquille,<br />

et je crains <strong>de</strong> ne plus pouvoir jeter<br />

l’ancre <strong>de</strong> nouveau. On dirait qu’une main <strong>de</strong><br />

Messmer s’est appesantie sur mon cerveau ou

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