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BILaN DE PaRCouRS 1 - Editions Bréal

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dant ces huit années, le projet de Montaigne évolue selon<br />

plusieurs directions :<br />

- l’enjeu du projet change : il ne s’agit plus seulement<br />

de concevoir ses écrits comme des « grotesques » (peintures<br />

destinées à encadrer les fresques dans les palais) pour le<br />

discours De la servitude volontaire de La Boétie. Ce dernier<br />

texte a été publié et exploité par les calvinistes avant que<br />

Montaigne n’ait pu le publier et cela a en effet irrémédiablement<br />

changé son statut. Désormais, Montaigne écrit donc<br />

pour lui et non plus seulement pour l’ami disparu.<br />

- la philosophie ou la sagesse de Montaigne s’infléchit :<br />

les premiers écrits sont marqués par le stoïcisme de Sénèque<br />

et progressivement, à la lecture de Sextus Empiricus, Montaigne<br />

découvre le scepticisme de Pyrrhon. « La profession<br />

des Pyrrhoniens est de branler, douter et enquérir, ne s’assurer<br />

de rien » : cette pratique du doute, déterminante dans les<br />

Essais, permet à Montaigne de remettre en cause les idées<br />

reçues et de lutter contre le fanatisme.<br />

- enfin, l’écrivain accorde une place de plus en plus<br />

importante à l’examen du « moi ». Le chapitre I, XXVI,<br />

rédigé tardivement, montre l’importance de l’expérience<br />

personnelle de l’auteur dans la réflexion.<br />

- 1580-1588 (date de la deuxième édition et du troisième<br />

livre). Il convient de rappeler que pendant cette période,<br />

Montaigne est élu puis réélu maire de Bordeaux, charge<br />

délicate pendant cette période noire des guerres de religion<br />

(voir focus p. 12). Il n’est donc pas coupé du monde pendant<br />

la rédaction des Essais. Celui qui affirmait dans l’avis au<br />

lecteur de 1580 n’écrire que pour ses proches, écrit désormais<br />

avec la conscience d’avoir un public. En effet, la première<br />

édition des Essais a remporté un large succès.<br />

- 1588-1592 (mort de Montaigne). Montaigne continue<br />

à travailler sur son œuvre et prépare une nouvelle édition<br />

qui ne verra jamais le jour. En 1588, il a rencontré à Paris<br />

Marie de Gournay, son héritière spirituelle en quelque sorte,<br />

qui se charge d’une édition posthume en 1595.<br />

Les éditeurs aujourd’hui hésitent : doit-on s’appuyer sur<br />

l’édition de 1588, cautionnée par Montaigne, sur l’édition<br />

de 1595, établie par Marie de Gournay à partir de documents<br />

dont on a aujourd’hui perdu la trace, ou sur une version établie<br />

au XX è siècle à partir du « manuscrit de Bordeaux »,<br />

édition personnelle de Montaigne, annotée de sa main…<br />

Les Essais, une œuvre unique<br />

Une inscription générique problématique<br />

Il convient de rappeler que si aujourd’hui on désigne par<br />

« essai » une forme littéraire bien précise, ce n’est pas le cas<br />

au XVI e siècle. Le terme d’essai désigne alors un coup d’essai<br />

– ce qui implique de la part de Montaigne une certaine<br />

humilité – ou encore une expérience, une épreuve. Si l’on<br />

étudie les occurrences du terme dans l’œuvre, on constate<br />

que Montaigne s’en sert à la fois pour exprimer le travail de<br />

son jugement, sa réflexion, que le résultat, son œuvre.<br />

Montaigne s’inspire de différents genres en vogue à la<br />

Renaissance sans jamais que Les Essais s’inscrivent dans<br />

aucun d’eux. Il emprunte par exemple sa liberté de ton et de<br />

composition aux commentaires humanistes, son goût pour<br />

l’insertion des citations aux recueils de lieux communs ou<br />

aux centons, son style au genre épistolaire… Il s’approche<br />

également des genres autobiographiques comme les mémoires<br />

ou le journal.<br />

« Des fantaisies informes et irrésolues » (II, LVI)<br />

« Je ne fais qu’aller et venir : mon jugement ne tire<br />

pas toujours avant, il flotte, il vague » (II, XII) : Montaigne<br />

évoque là l’une des grandes caractéristiques de son<br />

écriture qui procède selon une double dynamique. D’une<br />

part, Montaigne se plaît à digresser (Marie-Madeleine Fragonard<br />

parle de dynamique « horizontale »). Il justifie cet<br />

art de la digression en évoquant la nécessité de maintenir<br />

en éveil l’attention du lecteur qui ne doit pas se montrer<br />

« indigent » ! D’autre part, il ne cesse de relire ce qu’il a<br />

lu, de corriger, de modifier, voire de contredire ses propres<br />

paroles (dynamique « verticale ») : l’homme est complexe,<br />

mouvant, sa pensée ne peut qu’évoluer. Le traitement des<br />

citations ajoute à la complexité de l’œuvre : elles sont rarement<br />

traduites et exigent une connaissance toute humaniste<br />

des langues anciennes et européennes, elles sont rarement<br />

attribuées à leur auteur, elles peuvent corroborer une thèse<br />

ou au contraire offrir un contrepoint à la pensée de Montaigne,<br />

elles peuvent être isolées ou au contraire assimilées au<br />

texte jusqu’à perdre parfois leur sens originel…<br />

Cette complexité, fort séduisante sur le plan esthétique,<br />

se justifie sur le plan éthique pour Montaigne. Elle fait écho<br />

à son scepticisme : il s’agit non pas d’« établir la vérité »<br />

mais de la « chercher ». Elle est à l’image du macrocosme,<br />

monde que l’observation et le voyage nous révèlent extrêmement<br />

varié, et du microcosme, homme qui n’est que<br />

« bigarrure ».<br />

« Un parler simple et naïf, tel sur le papier qu’à la bouche<br />

» (I, p. 249)<br />

Montaigne, qui parle couramment latin, choisit d’écrire<br />

en français, afin de gagner en naturel et de permettre à sa<br />

prose d’exprimer au mieux son tempérament. Il cultive un<br />

style simple et préfère la brièveté à la lourdeur des longues<br />

périodes cicéroniennes. L’évolution de la langue rend toutefois<br />

difficile aujourd’hui la perception de cette simplicité…<br />

Plan de lecture analytique<br />

I. Former le jugement<br />

A. Le refus d’une certaine forme d’apprentissage<br />

a. Montaigne refuse que son élève apprenne par cœur.<br />

Refus souligné par le rythme binaire (« et ne loge rien en<br />

sa tête par simple autorité et à crédit »), accumulation de<br />

négations dans la première phrase. Pour insister sur l’idée,<br />

Montaigne la reprend explicitement à la fin du passage<br />

(« Savoir par cœur n’est pas savoir »).<br />

b. Il expose les dangers d’un tel apprentissage. En<br />

apprenant par cœur, en se contentant d’accumuler dans sa<br />

mémoire les opinions des uns et des autres, on ne retire<br />

aucun bénéfice. Répétition de « rien » à trois reprises :<br />

« Qui suit un autre, il ne suit rien. Il ne trouve rien, voire il<br />

ne cherche rien ».<br />

B. Un processus de formation<br />

Il prône au contraire un processus d’appropriation de<br />

la pensée d’autrui en vue de former son propre jugement<br />

(« ainsi, les pièces empruntées d’autrui, il les transformera<br />

et confondra, pour en faire un ouvrage tout sien, à savoir<br />

son jugement »).<br />

a. L’appropriation. Opposition entre un savoir hétérogène<br />

(accumulation des opinions d’autrui non assimilées)<br />

et un savoir homogène (les opinions d’autrui sont assimi-<br />

Chapitre 5 - Vers un espace culturel européen : Renaissance et humanisme • 105

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