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BILaN DE PaRCouRS 1 - Editions Bréal

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de Paris (18 mars-29 mai 1871). Malgré des tentatives de<br />

restauration monarchique, la constitution de la Troisième<br />

République est finalement votée en 1875. Dès lors, le régime<br />

républicain tend à s’affermir.<br />

Du bon élève au « voyant »<br />

Les Poésies de Rimbaud rassemblent des poèmes écrits<br />

entre la fin de l’année 1869 et 1871. Cette période est suffisamment<br />

longue pour que l’on puisse suivre l’évolution<br />

du poète, d’abord fervent admirateur du Parnasse, lecteur<br />

assidu des romantiques et de Hugo en particulier, puis poète<br />

révolté et critique à l’égard de ceux qui furent ses « maîtres<br />

», et enfin poète résolument moderne. Les deux « Lettres<br />

du Voyant » constituent de véritables arts poétiques qui<br />

permettent de mesurer l’évolution du poète. La première<br />

fut envoyée à Izambard le 13 mai 1871, la seconde à Paul<br />

Demeny deux jours plus tard. On lit dans la première :<br />

« Maintenant je m’encrapule le plus possible. Pourquoi ?<br />

je veux être poète, et je travaille à me rendre voyant […].<br />

Il s’agit d’arriver à l’Inconnu par le dérèglement de tous<br />

les sens. Les souffrances sont énormes, mais il faut être<br />

fort, être né poète, et je me suis reconnu poète. »<br />

La même idée est reprise dans la seconde (voir page 136<br />

du livre de l’élève) :<br />

« Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant.<br />

Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné<br />

dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d’amour,<br />

de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise<br />

en lui tous les poisons, pour n’en garder que les quintessences.<br />

Ineffable torture où il a besoin de toute la foi,<br />

de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le<br />

grand malade, le grand criminel, le grand maudit – et le<br />

suprême Savant ! – Car il arrive à l’inconnu ! Puisqu’il a<br />

cultivé son âme, déjà riche, plus qu’aucun ! Il arrive à l’inconnu,<br />

et quand, affolé, il finirait par perdre l’intelligence<br />

de ses propres visions, il les a vues ! Qu’il crève dans son<br />

bondissement par les choses inouïes et innommables :<br />

viendront d’autres horribles travailleurs ; ils commenceront<br />

par les horizons où l’autre s’est affaissé ! »<br />

Ces deux lettres affirment la nécessité d’un renversement<br />

des principes littéraires. Rimbaud y affirme son engagement<br />

radical pour une poésie nouvelle, détachée de toute<br />

mimesis (elle ne cherche plus à expliciter le monde, à découvrir<br />

une quelconque vérité) et surtout détachée des exaltations<br />

romantiques du moi (désormais la poésie ne doit plus<br />

être « subjective », mais « objective »). À nouvel objectif,<br />

nouvelle langue. Pour accéder à « l’inconnu », Rimbaud<br />

doit inventer une langue : il mêle des termes appartenant<br />

à tous les niveaux de langue, il s’émancipe à l’égard de la<br />

versification, se plaisant à jouer avec les règles, il renonce à<br />

toute logique, préférant la juxtaposition à la progression.<br />

Caractérisation du passage<br />

Il existe plusieurs versions de ce poème : une version<br />

autographe, une version manuscrite recopiée par Verlaine<br />

(« Les Voyelles »), une version imprimée, dans le recueil<br />

des Poètes maudits publié par Verlaine. Le poème devient<br />

rapidement célèbre et suscite de nombreuses interprétations<br />

(Rimbaud se serait inspiré des abécédaires de son enfance)<br />

et débats (s’agit-il d’une recherche sérieuse ou d’une fumisterie<br />

?). L’association des voyelles à une couleur s’inscrit<br />

dans la lignée des synesthésies baudelairiennes :<br />

« Les objets extérieurs prennent lentement, successivement,<br />

des apparences singulières ; ils se déforment et se<br />

transforment. Puis, arrivent les équivoques, les méprises<br />

et les transpositions d’idées. Les sons se revêtent de couleurs,<br />

et les couleurs contiennent une musique. »<br />

Baudelaire, Paradis artificiels, 1860.<br />

Ce sonnet irrégulier semble être le dernier qu’ait écrit<br />

Rimbaud.<br />

Proposition de lecture analytique<br />

I. « L’alchimie » rimbaldienne<br />

Si le poème peut paraître obscur au premier abord, c’est<br />

qu’il refuse la linéarité et l’expression progressive du sens.<br />

La voix du poète n’est pas soumise à un quelconque réel,<br />

elle fait naître un univers radicalement autre. Rimbaud propose<br />

ici une nouvelle forme d’écriture, qui exige un nouveau<br />

regard de lecteur.<br />

A. Un jeu d’association arbitraire<br />

a. À chaque lettre, le poète associe une couleur de<br />

manière totalement arbitraire (« A noir, E blanc, I rouge, U<br />

vert, O bleu »). Il s’agit d’utiliser les lettres de l’alphabet<br />

pour suggérer un univers nouveau, pour suggérer de nouvelles<br />

images.<br />

b. Juxtaposition. Pour souligner le caractère arbitraire<br />

des associations proposées, Rimbaud recourt à la juxtaposition<br />

(lettre → mot en apposition → phrase). La parataxe<br />

du premier vers, quasi incantatoire, est à cet égard remarquable<br />

(« A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu, voyelles<br />

»). C’est la voix du poète qui fait émerger les images.<br />

c. Composition. Le poème est composé d’une seule et<br />

même phrase et progresse par juxtaposition d’images. On<br />

peut noter que le poète refuse les règles strictes : Rimbaud<br />

consacre un distique à chaque voyelle, mais il déroge à la<br />

règle qu’il s’est lui-même fixée (enjambement de « Golfes<br />

d’ombre »).<br />

B. Les associations d’images<br />

L’arbitraire n’exclut pourtant pas certains principes de<br />

composition, des associations de sens ou de sons.<br />

a. Des oppositions. Certaines images naissent par<br />

contraste : ainsi les « Golfes d’ombre » s’opposent aux<br />

« candeurs des vapeurs », contraste d’autant plus remarquable<br />

que l’assonance en nasales invite au rapprochement<br />

entre « candeurs » et « ombre ».<br />

b. Des rapprochements. Au contraire, certaines images<br />

semblent en appeler d’autres : « glaciers » annonce<br />

« frissons » bien que ce dernier terme suggère dans le vers<br />

davantage un mouvement qu’une sensation de froid. On<br />

peut voir aussi un rapprochement entre la forme de la lettre<br />

A et le « corset velu des mouches », comme entre la forme<br />

du « O » et celle du « Clairon » : les associations peuvent<br />

se faire à des niveaux très divers.<br />

Chapitre 3 - Écriture poétique et quête du sens • 49

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