BILaN DE PaRCouRS 1 - Editions Bréal
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s’élève vers l’intelligible en partant des réalités sensibles.<br />
Grâce à la mimèsis, le poète, qui sélectionne les perfections<br />
dispersées dans les êtres individuels, passe du particulier au<br />
général et à l’exemplaire et révèle la beauté cachée dans le<br />
multiple et l’accidentel en manifestant le type intelligible<br />
dont plusieurs êtres sensibles constituent les exemplaires 8 .<br />
Ce processus suppose de la part du spectateur un plaisir<br />
esthétique, purement cognitif, celui de la contemplation et<br />
de la reconnaissance. Dans cette perspective, la catharsis<br />
consiste moins en une purification des passions qu’en une<br />
abstraction des émotions par l’intellection. Pierre Magnien<br />
insiste, lui aussi, sur la dimension esthétique de la catharsis<br />
dans sa lecture de la Poétique d’Aristote : « La tragédie<br />
donne un plaisir au public en lui livrant un spectacle pénible<br />
parce qu’elle est mimèsis ; […] Aristote avait en effet<br />
insisté sur l’étrange pouvoir de la représentation […] capable<br />
de nous faire prendre plaisir à des « images » « dont la<br />
vue nous est pénible dans la réalité ». Confronté au théâtre<br />
à une histoire pénible ou effrayante, le spectateur éprouvera<br />
ces émotions sous une forme épurée, fruit du travail et<br />
de l’art du poète ; et ces émotions épurées, loin d’engendrer<br />
un malaise, susciteront le plaisir » 9 .<br />
Caractérisation du passage<br />
Le passage de la scène 3 de l’acte IV est une scène d’affrontement<br />
dans laquelle les deux frères ennemis, Étéocle<br />
et Polynice, décident d’y mettre un terme en un combat<br />
singulier. Cette résolution se fait au grand désespoir de<br />
Jocaste, leur mère, qui tente de les dissuader.<br />
Plan de lecture analytique<br />
I. Une scène d’agôn<br />
A. La progression du dialogue<br />
- La fonction de Jocaste. Tout d’abord, les deux frères<br />
ne dialoguent pas directement. Jocaste joue le rôle d’intermédiaire<br />
; elle temporise et essaie de calmer la colère<br />
de Polynice. Étéocle reste silencieux durant cette première<br />
phase du dialogue. On notera qu’Étéocle est alors évoqué<br />
par le biais de la 3 e personne (« Je ne veux rien de lui que<br />
ce qu’il m’a promis »).<br />
- L’affrontement direct. À partir du vers 30, Polynice<br />
interpelle directement son frère par le biais d’apostrophes<br />
(« cruel ») et de l’utilisation de la 2 e personne (« t’appeler<br />
» ; « Montre-toi »). L’échange verbal entre les deux<br />
frères tourne à l’affrontement : deux répliques très brèves<br />
et cinglantes avec reprise lexicale (« injustement / injustice<br />
»).<br />
B. De la parole à l’action<br />
- Convaincre et persuader. Jocaste au début de la scène a<br />
foi dans les mots et le pouvoir du raisonnement. Elle espère<br />
pouvoir faire changer d’avis son fils. Ses arguments sont :<br />
1/ vous devriez être las de la guerre ; 2/ vous devriez épargner<br />
au peuple de Thèbes des souffrances ; 3/ la première<br />
qualité d’un roi est la vertu non la cruauté. Elle use de stra-<br />
8 Pour une analyse plus complète, voir P. Pasquier, La Mimésis dans<br />
l’esthétique théâtrale, Paris, Klincksieck, 1995.<br />
9 Introduction à La Poétique d’Aristote, par Michel Magnien, Paris, Le<br />
livre de poche, classique, 1990.<br />
tégies persuasives fortes : questions rhétoriques, ponctuation<br />
expressive, hyperboles, interjections…<br />
- L’impuissance des mots. Polynice ne veut pas parler<br />
mais agir (« Il faut finir ainsi cette guerre inhumaine » /<br />
« Moi-même à ce combat j’ai voulu t’appeler »). La violence<br />
des gestes va prendre le pas sur la discussion : « L’injustice<br />
me plaît, pourvu que je t’en chasse ».<br />
- L’invitation finale à l’action de Jocaste. Jocaste invite<br />
ses propres fils à la tuer (« Hâtez-vous donc, cruels, de me<br />
percer le sein »). Le fer remplace le verbe.<br />
II. L’infléchissement du tragique : une réécriture<br />
classique<br />
A. Surgissement de la violence au sein des alliances<br />
- Définition du conflit tragique à l’époque classique.<br />
Déchirement et violence au sein d’une cellule familiale.<br />
- Rappel permanent des liens de sang. « votre frère »,<br />
couple rimique mère / frère ».<br />
B. La décision des hommes<br />
- Dieux sont absents. Nulle malédiction n’est évoquée<br />
contrairement au texte d’Eschyle (responsabilité d’Apollon).<br />
- Affirmation d’une volonté humaine. Répétition de « il<br />
faut » dans les répliques de Polynice. Nécessité ne relève<br />
pas d’une fatalité divine mais du devoir qu’il doit accomplir<br />
au nom de Thèbes.<br />
- Le « dessein » des hommes. La responsabilité humaine<br />
est engagée. Combat au nom de la justice : enjeu politique<br />
de l’affrontement.<br />
C. L’absence de déploration<br />
- Le registre polémique remplace le pathétique. La<br />
colère des protagonistes dit leur force de décision et leur<br />
détermination. Même Jocaste n’est pas là en tant que pleureuse<br />
mais comme conscience qui voudrait infléchir la<br />
décision des fils par ses mots.<br />
- Des héros sublimes. Sens du sacrifice et de l’honneur.<br />
Mise en avant d’individualités : récurrence de la P1 sous<br />
forme tonique « moi-même ».<br />
BIBLIOGRAPHIE<br />
Ouvrages critiques sur Eschyle et ouvrages généraux<br />
• Pierre Grimal, Le Théâtre antique, Paris, PUF, coll. « Que<br />
sais-je », 1991.<br />
• Jacqueline de Romilly, La Tragédie grecque, Paris, PUF,<br />
1970.<br />
• Jacqueline de Romilly, La Crainte et l’Angoisse dans le<br />
théâtre d’Eschyle, Paris, Les Belles Lettres, 1971.<br />
• Alain Moreau, Eschyle. La Violence et le Chaos, Paris, Les<br />
Belles Lettres, 1985.<br />
Ouvrages sur Les Sept contre Thèbes<br />
• Berman D. W., Myth and Culture in Aeschylus’ Seven<br />
Against Thebes, Rome, Ed. dell’Ateneo, 2007.<br />
• Dawson Ch. M., The Seven against Thebes by Aeschylus :<br />
a Translation with Commentary, Englewood Cliffs, NJ, Prentice<br />
Hall 1970.<br />
• Hutchinson G. O., Septem against Thebes, Edited with Introduction<br />
and Commentary, Oxford, Clarendon Press, 1985.<br />
Chapitre 6 - Du modèle aux réécritures, du xvii e siècle à nos jours • 119