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BILaN DE PaRCouRS 1 - Editions Bréal

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profondeurs des choses, c’est une attention particulière au<br />

langage. Ainsi, le point de départ du poète peut être aussi<br />

bien les sensations produites par la chose décrite que sa<br />

définition (l’un des outils de Ponge est le Littré en quatre<br />

volumes), son étymologie… Il s’agit pour le poète de motiver<br />

le lien entre le mot (sa graphie, sa prononciation) et la<br />

chose. Pour cela, il faut être attentif à la spécificité de ce<br />

dont on parle : nulle règle préconçue ne peut être admise<br />

dans cette entreprise ! Ainsi, chaque poème tient à la fois<br />

de la définition et de l’objet d’art, il est à la fois science et<br />

littérature, et doit pouvoir donner au lecteur accès tant à<br />

« l’épaisseur des choses » qu’à « l’épaisseur des mots ».<br />

« Re-nourrir l’homme »<br />

« Notre raison d’être est de nous retourner décidément<br />

vers le monde (parti pris des choses) pour y re-nourrir<br />

l’homme » (Pour un Malherbe, essai publié en 1965).<br />

Comment re-nourrir l’homme ? Tout d’abord, on l’a dit, en<br />

lui offrant d’éprouver des sensations inouïes, radicalement<br />

neuves, que l’homme, souvent aveuglé par des passions<br />

qu’il ne maîtrise pas, ne peut percevoir. Mais les poèmes<br />

en prose qui composent Le Parti pris des choses invitent<br />

également le lecteur à en faire une lecture allégorique : les<br />

interventions du locuteur, ses commentaires qui se mêlent<br />

à la description poétique, les jeux de mots et les termes<br />

polysémiques qui adjoignent des considérations morales<br />

à la description, tendent à rapprocher la définition d’une<br />

fable morale.<br />

Caractérisation du passage<br />

Poser la question des droits…<br />

Au cours d’entretiens radiophoniques avec Philippe<br />

Sollers au printemps 1967, Francis Ponge commente luimême<br />

son poème. Voici certaines de ses remarques :<br />

« [Le poème] se divise sur la page en trois paragraphes.<br />

Le premier décrit l’huître close et la façon de l’ouvrir. Le<br />

second, l’intérieur de l’huître, et le troisième, beaucoup<br />

plus court et qui ne fait que deux lignes, la perle qu’on<br />

y trouve parfois ; beaucoup plus court, évidemment, le<br />

troisième parce que la perle est proportionnellement<br />

beaucoup moins importante, du point de vue du volume<br />

[…] que l’huître elle-même.<br />

- « Brillamment » est affecté d’un coefficient positif<br />

(comme valeur morale […] ou esthétique) […] Au<br />

contraire, « blanchâtre », comme beaucoup de mots se<br />

terminant en « âtre », est affecté d’un coefficient négatif,<br />

péjoratif. […] Eh bien, le seul fait d’agencer un mot de<br />

coefficient positif comme « brillant » et un mot de coefficient<br />

négatif comme « blanchâtre » nous fait sortir du<br />

lieu commun.<br />

- J’emploie des expressions très courantes « tout un<br />

monde », « à boire et à manger », mais je les emploie en<br />

leur redonnant toute leur force.<br />

- Qu’est-ce qu’une formule ? C’est une petite forme.<br />

Et en même temps, bien sûr, il s’agit de la formule au<br />

sens d’un bref énoncé […] J’entre ici évidemment dans<br />

le… dans la signification profonde, d’art poétique, qui se<br />

trouve à l’intérieur de mon texte. »<br />

Cité in Philippe Sollers,<br />

Entretiens avec Francis Ponge, Le Seuil, 1970.<br />

Proposition de lecture analytique<br />

I. Le « parti pris des choses » : à la découverte de<br />

l’huître<br />

Ponge lui-même affirme que la structure de son poème<br />

est signifiante, elle est « adéquate à l’objet », il faut donc la<br />

prendre en compte.<br />

A. L’extérieur<br />

a. Premier paragraphe consacré à l’extérieur de l’huître<br />

(« apparence », « enveloppe »). Le mot « huître » est<br />

disséminé dans le paragraphe : récurrence de l’accent circonflexe,<br />

allitération en [tre] (« huître », « blanchâtre »,<br />

« opiniâtre »).<br />

b. Définition par approximation : comparaison avec le<br />

« galet » (cf. dernier poème du recueil).<br />

B. L’intérieur<br />

a. Deuxième paragraphe consacré à l’intérieur de l’huître<br />

(« À l’intérieur »). Lien entre l’intérieur et l’extérieur<br />

établi par la répétition de « monde ».<br />

b. L’huître comme un microcosme (« cieux », « firmament<br />

», « mare »). Alliance de sensations agréables et désagréables<br />

(« nacre » vs « visqueux et verdâtre » ; « dentelle »<br />

vs « noirâtre »).<br />

c. Fluidité du « monde » intérieur exprimée par la fluidité<br />

d’une seule et même longue phrase et par la récurrence<br />

du rythme binaire (« à boire et à manger », « visqueux et<br />

verdâtre », « flue et reflue », « à l’odeur et à la vue »).<br />

C. La perle<br />

Paragraphe plus court parce que la perle est « rare » et<br />

qu’elle occupe moins de place dans la coquille que le mollusque.<br />

La forme fait sens.<br />

II. Le « compte tenu des mots » : un art poétique<br />

Champ lexical de la parole dans le dernier paragraphe<br />

(« formule », « gosier ») qui invite à lire le poème comme<br />

un art poétique.<br />

A. Le travail de l’artisan<br />

a. Le poète au travail. Le travail qui donne accès à la<br />

perle est un travail laborieux (emploi du modalisateur<br />

« peut » ; accumulation de verbes d’action : « tenir », « se<br />

servir », « s’y reprendre », « s’y coupent », « s’y cassent » ;<br />

allitération en [c] qui traduit la violence de la procédure :<br />

« curieux », « coupent », « cassent », « coups »). Ponge ici<br />

remet en cause l’imagerie romantique du poète inspiré.<br />

b. Le lecteur au travail. Mais l’ouverture de l’huître<br />

peut aussi être la métaphore de la lecture. Le lecteur ne<br />

peut avoir accès à la perle qu’au terme d’un travail exigeant<br />

(« plusieurs fois »).<br />

B. Redonner « force » aux mots et aux expressions<br />

Le poème met en évidence plusieurs procédés pour<br />

redonner toute leur force aux mots :<br />

- jeu sur des expressions toutes faites (« à boire et à<br />

manger »)<br />

- jeu sur la polysémie (« formule »)<br />

- jeu sur l’axiologie des mots (« blanchâtre », dont<br />

l’axiologie est négative, est associé à « brillamment », dont<br />

l’axiologie est positive)<br />

- attention à la matière visuelle des mots (récurrence des<br />

accents circonflexes)<br />

Chapitre 3 - Écriture poétique et quête du sens • 51

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