BILaN DE PaRCouRS 1 - Editions Bréal
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<strong>PaRCouRS</strong> 2<br />
L’homme, Dieu et le doute.<br />
Manuel de l’élève pp. 209-223<br />
PROBLÉMATIQUE<br />
Ce parcours aborde une question qui est, sinon centrale,<br />
du moins récurrente dans la culture –et donc dans la littérature<br />
– occidentale : celle de Dieu, et plus généralement du<br />
fait religieux, question autour de laquelle se sont cristallisés<br />
bien des doutes et bien des luttes.<br />
Le manuel fournit un passage de la plus célèbre oraison<br />
funèbre de Bossuet, celle d’Henriette d’Angleterre (texte<br />
2), qui a pour mérite de situer le problème dans les termes<br />
où il se présentait au cœur du XVII e siècle : le recours au<br />
pathétique est là pour rappeler, même à ceux des auditeurs<br />
qui sont le plus engagés dans une vie de mondanités que<br />
la mort ne prévient pas, ou pas toujours, et que, dans une<br />
optique chrétienne, c’est prendre un bien grand risque que<br />
de pouvoir être pris par elle au dépourvu, loin du secours de<br />
la religion – ce qui bien sûr, par contraste, n’a pas été le cas<br />
de la défunte, puisqu’il s’agit d’en faire l’éloge.<br />
Le texte 1 est un classique : le pari pascalien est si<br />
connu qu’il est devenu proverbial. Observons toutefois que<br />
le texte est rarement donné dans sa continuité. Les aspects<br />
du raisonnement qui se rapprochent le plus de la logique<br />
mathématique, en particulier, sont souvent omis dans les<br />
recueils de textes, à tort, car c’est bien le cœur de la démarche<br />
de Pascal ici : argumenter sur le terrain des adversaires<br />
de la religion, non pas les simples mondains qui optent pour<br />
le scepticisme par désir de relâchement des mœurs ou par<br />
trop d’attachement aux affaires du monde, mais les authentiques<br />
libertins, c’est-à-dire ceux qui revendiquent une<br />
liberté de penser en dehors des dogmes du christianisme,<br />
s’appuyant en particulier sur les règles logiques telles que<br />
les définit (malgré la foi catholique de ses auteurs) la Logique<br />
de Port-Royal et telles qu’elles trouvent à s’exprimer<br />
dans la pensée scientifique alors en expansion. Pascal a<br />
lui-même contribué à l’essor de la pensée scientifique en<br />
s’occupant, par exemple, de mathématiques ou de dynamique<br />
des fluides. On pourra réfléchir sur le fait que, tout en<br />
étant mathématiquement inattaquable, l’hypothèse du pari<br />
nécessaire ne parvient toutefois que très mal aujourd’hui à<br />
persuader, sans doute parce qu’elle se situe dans un paradigme<br />
où on estime au moins plausible l’existence de Dieu<br />
et les concepts associés d’infinité et d’éternité. Replacée<br />
dans une pensée moderne (post-russellienne, par exemple),<br />
cette hypothèse encourt le reproche d’avoir parmi ses présupposés<br />
des concepts non déterminables, non « falsifiables<br />
», donc non opératoires. Cela ne retire rien à la force<br />
de l’argumentation de Pascal, à la fois logiquement serrée<br />
et présentée de manière vivante, puisque la parole est également<br />
donnée à l’adversaire supposé, dans une démarche<br />
dialectique certes oratoire, mais infiniment plus convaincante<br />
qu’une simple apologétique vide d’objections.<br />
Le texte 3, un siècle plus tard, présente un contexte historique<br />
où la prééminence automatique du christianisme<br />
commence à être mise à mal. Non que Voltaire soit athée :<br />
il est plutôt déiste, et le christianisme n’est pour lui qu’une<br />
variante, limitée dans l’espace et le temps, de la relation<br />
que les hommes devraient selon lui entretenir avec la divinité,<br />
rapport fondé avant tout sur une valeur au fond bien<br />
peu divine, la tolérance, c’est-à-dire le respect de l’autre<br />
dans sa différence. On doit rappeler l’occasion qui a donné<br />
lieu à ce texte, c’est-à-dire l’affaire Calas, où une exécution<br />
a été ordonnée pour des motifs proches du fanatisme. Particulièrement<br />
intéressant est le rapport entre les deux parties<br />
de l’extrait, le chapitre adressé aux hommes et celui qui<br />
s’adresse à Dieu. On est presque à la fin du traité, et l’on<br />
s’est élevé du cas particulier aux valeurs universelles : le<br />
mot même, qui figure dans le titre du chap. XXII, était moins<br />
galvaudé à l’époque qu’il ne l’est aujourd’hui, et représentait<br />
une audace de pensée et d’expression qui capitalise sur<br />
tout ce que l’humanisme a construit depuis deux siècles au<br />
moins ; et le chap. XXIII, avec une sorte de solennité, situe<br />
cette universalité même dans le cadre plus vaste de l’infini<br />
accessible à Dieu seul, mais revient sans cesse (Voltaire<br />
n’est pas un contemplatif) à la condition humaine, et à l’insignifiance<br />
des différences qui existent entre les hommes,<br />
si on les compare à ce qui les rapproche.<br />
Plus d’un siècle s’écoule encore avant le texte 4, dû à<br />
Léon Bloy. Le christianisme a cessé d’être religion officielle,<br />
et a été mis à mal, dans la bourgeoisie qui se dit ellemême<br />
« voltairienne », par le scepticisme et par le scientisme<br />
qui caractérisent plus spécialement la seconde moitié<br />
du XIX e siècle. La foi traditionnelle conserve pourtant des<br />
adeptes d’autant plus vigoureux qu’ils sont moins écoutés,<br />
comme Bloy. L’Exégèse des lieux communs dont l’extrait<br />
constitue l’introduction est un des textes les moins polémiques<br />
de Bloy, ou disons un des moins violemment polémiques,<br />
puisque le vocabulaire y est dans l’ensemble mesuré,<br />
et que c’est surtout par le sarcasme que s’exprime ici son<br />
mépris des bourgeois bien-pensants (ou, à l’écouter pas<br />
pensants du tout). Il use ici d’un raisonnement paradoxal<br />
pour mettre à mal le conformisme : il va chercher à les lire<br />
littéralement les expressions toutes faites que commente le<br />
livre, plutôt que d’en dénoncer le creux et l’insignifiance, à<br />
la manière dont un texte sacré peut accueillir à la fois une<br />
lecture factuelle et une lecture symbolique ; et il va tâcher<br />
de montrer que leur insignifiance même contient des évidences<br />
qui vont au-delà de leur sens courant, à la manière<br />
de signes non perçus, pour exprimer jusqu’à une vérité<br />
divine que les locuteurs ne supposent pas. Tout est signe,<br />
mais ne pointe pas toujours dans la direction qu’on croit.<br />
Il y a là aussi, sans doute, un humour au second degré :<br />
Bloy n’est pas absolument dupe de son propos, et fait aussi<br />
allusion à la nécessité où il se trouve de gagner sa vie en<br />
écrivant, fût-ce sur des sujets bien minces, ce qui ne retire<br />
rien à la vigueur grinçante de sa démonstration.<br />
Albert Camus enfin, dans le texte 5, semble avoir en<br />
partie dépassé dans La Chute le sentiment de « l’absurde »<br />
qui a marqué ses premières œuvres, tout autant que l’humanisme<br />
de La Peste. Dans ce qui est son dernier roman<br />
achevé (mais qui aurait dû être le début de sa maturité<br />
d’écrivain s’il n’avait perdu la vie dans un accident), il se<br />
montre lui aussi grinçant : l’homme a en quelque sorte pris<br />
Chapitre 4 - La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du xvi e siècle à nos jours • 81