BILaN DE PaRCouRS 1 - Editions Bréal
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PROLONGEMENT ICONOGRAPHIQUE<br />
Simon Renard de Saint-André, Vanité,<br />
Marseille, Musée des Beaux-Arts, vers 1640.<br />
Introduction<br />
Ce tableau a été peint vers 1640 et est exposé au musée<br />
des Beaux-Arts de Marseille. C’est une nature morte qui<br />
met en scène le thème de la vanité de l’existence humaine.<br />
Étude<br />
I. Un espace pictural saturé : le foisonnement des<br />
objets<br />
Nous sommes en présence d’un tableau qui ne se compose<br />
que d’objets inanimés et non vivants. Aucune figure<br />
humaine ne peuple l’espace pictural.<br />
A. La figure centrale du crâne<br />
Le crâne est l’objet qui attire l’œil au premier abord.<br />
Situé au centre du tableau, il est le point de fuite de la toile:<br />
si on trace les deux diagonales, les deux lignes de fuite du<br />
tableau, elles convergent vers le crâne. Le crâne attire l’œil<br />
également car c’est l’objet le plus volumineux de la peinture,<br />
et il est presque disproportionné par rapport aux autres.<br />
Cette hypertrophie du crâne provient de la façon dont il est<br />
éclairé. En effet, la lumière vient de la gauche, comme si<br />
elle entrait par une fenêtre. Cette lumière de trois quarts a<br />
tendance à augmenter le volume de l’objet éclairé. Les couleurs<br />
le mettent également en valeur : les dents blanches<br />
arrêtent l’œil et créent un effet désagréable en raison du<br />
sourire : antithèse entre côté tragique du crâne qui symbolise<br />
la mort et le sourire qui dit la gaieté, le bonheur.<br />
B. Quatre réseaux thématiques<br />
Le crâne est renversé sur le côté droit : le regard du<br />
spectateur est invité à se tourner vers la droite du tableau<br />
dans un premier temps.<br />
a. la musique<br />
Le crâne est posé sur une partition musicale, elle-même<br />
déposée au bord de la table. La partition est bien mise en<br />
valeur car elle est dans la lumière. À droite de cette partition,<br />
on voit une viole sur laquelle est posé, comme en équilibre,<br />
son archet. Évocation du plaisir sensuel : référence à l’un<br />
des cinq sens : l’ouïe. Plaisir mondain très goûté au XVII e<br />
siècle : notamment à la Cour et dans les salons. Évocation<br />
suggestive du monde et de ses plaisirs.<br />
La viole et l’archet tracent une ligne verticale qui invite<br />
le regard à se déplacer en biais : le regard est conduit,<br />
amené à l’autre angle du tableau, en haut, à gauche.<br />
b. la coquetterie<br />
Le regard est ici dirigé vers le coin le plus obscur du<br />
tableau : la lumière de biais n’est pas assez forte pour éclairer<br />
cette partie de la scène, qui demeure donc plongée dans<br />
une quasi-obscurité. Cependant, on peut identifier avec certitude<br />
certains objets : des plumes blanches, qui rappellent<br />
le blanc des dents du crâne ; des rubans bleus qui semblent<br />
soyeux et il semble se dessiner très vaguement un nœud qui<br />
apparaît dans les tons rouges, rougeâtres, juste derrière les<br />
plumes et des feuilles de laurier : symbole du triomphe, de<br />
la gloire. Tous ces éléments symbolisent ce que recherche<br />
l’homme quand il évolue sur la scène mondaine et peuvent<br />
être regroupés autour d’un même thème : celui de la coquetterie,<br />
de la parure mondaine. Il s’agit d’attributs qui servent<br />
à bien paraître sur la scène, sur le théâtre du monde.<br />
Reste à étudier l’autre ligne diagonale du tableau. Comment<br />
le regard se tourne-t-il vers le coin droit du tableau ?<br />
C’est un des problèmes posés par le tableau : le regard<br />
semble se briser, s’arrêter dans le fond gauche du tableau.<br />
Rien dans la composition de la toile n’invite le regard du<br />
spectateur à se diriger vers la droite. Cependant, ces objets<br />
attirent l’œil car ils dessinent non plus une ligne oblique<br />
(axe : viole/rubans) mais une ligne totalement verticale, ce<br />
qui rompt l’équilibre des lignes obliques du tableau.<br />
c. le temps<br />
Troisième réseau thématique du tableau : angle droit<br />
constitué par un sablier et une chandelle éteinte et presque<br />
totalement consumée. Le bout de chandelle ressort par le<br />
jeu des couleurs : la toile de fond du tableau est constituée<br />
par un rideau d’épais velours marron : effet de clair-obscur<br />
entre le marron foncé du tableau et le blanc de la chandelle.<br />
Le sablier est, quant à lui, mis en valeur par des effets lumineux<br />
: il est dans l’axe éclairé par la lumière. Si on regarde<br />
bien, on aperçoit un reflet sur le verre du sablier, provenant<br />
de la croiséé de la fenêtre. C’est la seule intrusion du<br />
monde extérieur dans le tableau. Objets qui symbolisent le<br />
temps et plus précisément son écoulement, sa fuite. Thème<br />
topique de la fuite du temps.<br />
Par effet de mimétisme/ de symétrie, le regard du spectateur<br />
se dirige finalement sur l’angle bas-gauche du tableau.<br />
d. les coquillages<br />
C’est l’angle le plus énigmatique mais aussi le plus lumineux<br />
: composé de deux coquillages, il pourrait évoquer<br />
les cabinets de curiosités, ie la science, le savoir humain.<br />
Posé sur un riche rideau de velours vert, le cordon de rideau<br />
blanc peut également faire penser à l’agencement, au décor<br />
des cabinets de curiosités.<br />
C. Un équilibre précaire<br />
Les objets saturent l’espace pictural. Impression de stabilité,<br />
d’organisation. Mais l’impression de foisonnement<br />
est atténuée par un sentiment inverse de déséquilibre, d’instabilité.<br />
L’équilibre est précaire : le crâne est renversé sur le<br />
côté droit, il donne l’impression d’un homme auquel on a<br />
tordu le cou. L’angle de vision donne l’impression qu’il va<br />
tomber ; la partition de la viole est comme prête à tomber<br />
elle aussi. Même remarque peut être faite pour l’archet de<br />
la viole. Le cordon du rideau indique également un mouvement<br />
tombant, descendant.<br />
Ce foisonnement, ce triomphe des arts, des savoirs et<br />
des plaisirs humains semble miné. Aux lignes obliques qui<br />
engendrent une impression de mouvement bancal et d’instabilité<br />
s’opposent la ligne verticale / droite tirée par le<br />
sablier et la chandelle. Le temps semble mieux résister que<br />
les occupations humaines. Le temps ne flanche pas ; les<br />
actions humaines passent. Relire le tableau dans une perspective<br />
religieuse : derrière cette expression, cette incarnation<br />
foisonnante des occupations terrestres se cache une<br />
Chapitre 4 - La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du xvi e siècle à nos jours • 85