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BILaN DE PaRCouRS 1 - Editions Bréal

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tion est de montrer aux élèves comment le metteur en scène<br />

se saisit de possibilités offertes par le texte et de ce qu’il ne<br />

dit pas pour proposer sa propre interprétation.<br />

Si le texte suggère fortement, sur le mode incantatoire<br />

et onirique, l’égarement de Phèdre, dont les répliques en<br />

forme de distiques ou de quatrains s’adressent beaucoup<br />

plus à un ailleurs – son ancêtre le Soleil, la nature où elle<br />

imagine Hippolyte à la chasse – qu’à la nourrice inquiète<br />

qui la presse de questions, il laisse une large place à l’interprétation<br />

du metteur en scène.<br />

Du texte de Racine à la « réécriture » d’Antoine Vitez<br />

(Studio d’Ivry, 1975)<br />

Il conviendra d’abord de faire repérer dans le texte<br />

racinien les éléments sur lesquels Vitez prend appui pour<br />

construire sa propre interprétation. Racine montre une Phèdre<br />

à bout de forces, dont les genoux se dérobent, et dont le<br />

corps semble écrasé physiquement par la tenue vestimentaire<br />

qui connote sa condition de reine. C’est surtout cet<br />

égarement physique, le relâchement du corps sous l’effet<br />

de la passion que retient principalement Vitez, qui semble<br />

faire de cet état physique la cause des visions et du trouble<br />

de Phèdre : « Elle est au comble de la faiblesse » (ligne 4),<br />

« elle parle d’une voix suraiguë » (ligne 5), « elle marche<br />

en tous sens » (ligne 8). Cet état conditionne son invocation<br />

à la nature et au soleil, que le metteur en scène présente<br />

comme une sorte de transe, de dépossession de soi (lignes<br />

30-39). Parallèlement, Vitez émet l’hypothèse qu’Œnone<br />

sait déjà ce que Phèdre va lui dire et fait preuve à l’égard de<br />

sa maîtresse d’une forme de méchanceté (ligne 10), d’une<br />

dureté qui montre sous un jour ambigu et préfigure son rôle<br />

d’accélérateur dans la « catastrophe » tragique, ce que le<br />

texte de Racine ne suggère pas : Œnone y apparaît dans sa<br />

fonction de nourrice aimant passionnément sa maîtresse.<br />

Mais Vitez – et on pourra commenter sa formule – estime<br />

que dans la poésie tragique « même si les personnages ne<br />

savent rien, le poète sait pour eux et anticipe et distribue<br />

dans le texte de la récitation les mots annonciateurs ». Son<br />

interprétation est parfaitement cohérente : elle est contraire<br />

à une tradition encore très vivace en 1975, qui attribuait le<br />

rôle de Phèdre à une femme déjà mûre – après Sarah Bernhardt,<br />

Marguerite Jamois dans la mise en scène de Gaston<br />

Baty, Marie Bell puis Maria Casarès avaient incarné des<br />

héroïnes plus âgées que le jeune Hippolyte, très « royales<br />

», parfois hiératiques dans leur obsession amoureuse,<br />

ce qui ne pouvait qu’accentuer la transgression propre à<br />

cette passion et rendre exemplaire son impossibilité, dans<br />

une perspective morale proche de l’esprit du théâtre classique.<br />

En choisissant de faire de sa Phèdre une très jeune<br />

femme, Vitez donne plus de crédit à une passion qui cesse<br />

d’être « contre nature » et surtout il laisse plus de place<br />

à la possibilité d’une réciprocité. On pourra travailler sur<br />

les photos de plateau (agence Enguerand) de cette mise ne<br />

scène de 1975 où l’on voit Nada Strancar, alors très jeune,<br />

dans une robe d’intérieur et un état d’égarement extrêmes<br />

et les comparer à celles de deux mises en scène plus récentes<br />

(page 101 du livre de l’élève) qui adoptent une solution<br />

moyenne : la Phèdre de Luc Bondy, incarnée par Valérie<br />

Dréville en 1998 est encore une jeune femme ; son égarement<br />

est très visible mais il ne dépasse pas certaines limites,<br />

sa tenue reste aristocratique et son rapport avec Hippolyte<br />

reste marqué par sa situation de pouvoir. Dans la mise<br />

en scène de Patrice Chéreau (2003), Dominique Blanc, un<br />

peu plus âgée sans être une femme mûre donne à voir toute<br />

la déréliction d’un personnage dont le corps se défait et<br />

qui avance sans héroïsme particulier ni faiblesse excessive<br />

vers sa mort annoncée. Des trois metteurs en scène, Vitez<br />

est sans doute celui qui se détache le plus de tous les éléments<br />

de contexte qui surdéterminent le genre, l’Antiquité,<br />

les règles et les finalités de la tragédie classique.<br />

Cette émancipation en forme de réappropriation passe<br />

par la production d’un texte tout à fait original : il ne s’agit<br />

pas à proprement parler de notes de mise en scène qui sont<br />

toujours plus techniques et qui décrivent avec plus de précision<br />

les mouvements et les choix interprétatifs mais d’une<br />

sorte de réécriture poétique qui adopte un style imagé, et<br />

s’organise typographiquement comme un monologue.<br />

Pour interpréter le texte racinien, Vitez se le réapproprie en<br />

recourant à sa propre écriture.<br />

BIBLIOGRAPHIE<br />

Éditions des textes<br />

• Lagarce, Juste la fin du monde, Les Solitaires intempestifs,<br />

1999.<br />

• Marivaux, Théâtre complet, volume 1, édition de M. Gillot,<br />

Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1993.<br />

Ouvrages critiques<br />

• Michel Deguy, La Machine matrimoniale ou Marivaux,<br />

Paris, Gallimard, 1981.<br />

• Frédéric Deloffre, Une préciosité nouvelle : Marivaux et le<br />

marivaudage, Slatkine, 1993.<br />

• Europe, n° 969-970, janvier-février 2010 (un numéro entièrement<br />

consacré à Jean-Luc Lagarce).<br />

• Juste la fin du monde et Nous les héros, SCEREN-CRDP,<br />

2007 (un ouvrage collectif consacré à deux pièces de Jean-Luc<br />

Lagarce, destiné aux élèves passant l’option théâtre au bac).<br />

• Lire un classique du XX e siècle : Jean-Luc Lagarce, Les<br />

Solitaires intempestifs, 2007.<br />

• Éric Négrel, Le Jeu de l’amour et du hasard, Bréal,<br />

« Connaissance d’une œuvre », 1999.<br />

• Patrice Pavis, Marivaux à l’épreuve de la scène, Publications<br />

de la Sorbonne, 1986.<br />

• Jean-Pierre Thibaudat, Le Roman de Jean-Luc Lagarce, Les<br />

Solitaires intempestifs, 2007.<br />

Films et sites internet<br />

• Le Jeu de l’amour et du hasard, mise en scène Jean Liermier,<br />

2009<br />

• La Fausse suivante, Benoît Jacquot, 2000<br />

• L’Esquive, Abdellatif Kechiche, 2004<br />

• www.lagarce.net<br />

Chapitre 2 - Le théâtre : texte et représentation • 35

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