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BILaN DE PaRCouRS 1 - Editions Bréal

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lieu, mais loin d’en être l’esclave, il l’exploite à des fins<br />

dramaturgiques. Le lieu unique dans lequel se déroule la<br />

tragédie contribue à l’oppression dont sont victimes les<br />

personnages. C’est un lieu souvent à part, coupé du monde,<br />

dans lequel nulle aide extérieure n’est possible. C’est également<br />

un lieu mystérieux, dans lequel les personnages ne<br />

peuvent pas plus se retrouver que dans le labyrinthe de leur<br />

conscience. Les personnages sont le plus souvent prisonniers<br />

de ce lieu unique, qui les menace sans cesse.<br />

L’unité de temps.<br />

Elle consiste à exiger que l’intrigue se déroule sur une<br />

durée inférieure à vingt-quatre heures. Cette règle se justifie<br />

souvent en référence à la règle de vraisemblance : pour<br />

que le spectateur adhère à ce qui est représenté, il ne faut<br />

pas qu’il y ait une trop grande distorsion entre la durée de<br />

la représentation et celle de l’intrigue. Pourtant, nombreux<br />

sont ceux qui ont souligné l’invraisemblance d’une grande<br />

accumulation d’actions en une durée si courte (« Et quelle<br />

vraisemblance y a-t-il qu’il arrive en un jour une multitude<br />

de choses qui pourraient à peine arriver en plusieurs<br />

semaines ? », Préface de Bérénice). Il faut donc plutôt lier<br />

l’unité de temps à l’efficacité dramatique. Racine montre le<br />

même respect vis-à-vis de l’unité de temps que vis-à-vis de<br />

l’unité de lieu. Les tragédies commencent le matin pour se<br />

terminer le soir. Racine, loin de considérer l’unité de temps<br />

comme une contrainte matérielle, souligne la brièveté du<br />

présent scénique pour la rendre plus efficace. Le présent est<br />

d’abord présenté comme le résultat d’un long passé, durant<br />

lequel les menaces ont été ignorées, les décisions à prendre<br />

repoussées. Dans le temps de la tragédie, il n’y a plus<br />

de temporisation possible. Les personnages doivent prendre<br />

des décisions dans l’urgence, sans réfléchir. Le temps<br />

presse.<br />

L’unité d’action.<br />

Même si Aristote prônait déjà « une action une et formant<br />

un tout 3 », la notion a suscité de nombreux débats.<br />

Nous suivrons donc la définition qu’en donne J. Scherrer<br />

4 : une pièce respecte l’unité d’action quand toutes les<br />

intrigues secondaires sont nécessaires à la compréhension<br />

de la pièce et influent sur l’action principale, quand elles<br />

prennent naissance dès le début de la pièce et se poursuivent<br />

jusqu’au dénouement (ce qui exclut l’intervention tardive<br />

d’événements dus au hasard). Racine pratique l’unité<br />

d’action et choisit parfois des intrigues simples. L’intrigue<br />

se développe selon un cheminement continu, programmé<br />

depuis l’exposition, ce qui n’exclut pas des moments d’hésitation.<br />

La vraisemblance<br />

L’exigence de vraisemblance remonte à Aristote : « Le<br />

rôle du poète est de dire non pas ce qui a réellement eu lieu<br />

mais ce à quoi on peut s’attendre, ce qui peut se produire<br />

conformément à la vraisemblance ou à la nécessité 5 ». Cet<br />

avertissement pose d’abord la différence entre le vrai et le<br />

vraisemblable. En effet la vraisemblance se définit dans le<br />

3 Aristote, La Poétique, chapitre VII.<br />

4 Jacques Scherrer, La Dramaturgie classique en France, Paris, Nizet,<br />

1986.<br />

5 Aristote, La Poétique, chapitre IX,<br />

rapport à un public donné : le dramaturge, s’il veut être<br />

vraisemblable, doit être en conformité avec les opinions et<br />

les connaissances de son public. Le vraisemblable exclut<br />

aussi le vrai au nom de la nécessité, de la cohésion de l’intrigue.<br />

Ne sont pas vraisemblables tous les incidents dus au<br />

hasard qui interviennent pour changer le cours de l’action.<br />

Les bienséances<br />

Tandis que la vraisemblance constitue une « exigence<br />

intellectuelle 6 » (accorder le caractère des personnages à<br />

l’idée que l’on s’en fait), la bienséance constitue une « exigence<br />

morale » : « elle demande que la pièce de théâtre ne<br />

choque pas les goûts, les idées morales, ou […] les préjugés<br />

du public ». On limite en général les bienséances à la<br />

question de la représentation scénique de la violence. Il est<br />

vrai que cette question fait particulièrement débat dans les<br />

ouvrages théoriques et permet de distinguer très nettement<br />

les tragédies du début du XVII e siècle des tragédies classiques.<br />

Les théoriciens s’interrogent sur le rapport entre les<br />

bienséances et l’instruction morale et se trouvent devant un<br />

dilemme : l’image, la représentation scénique de la mort,<br />

des souffrances, des tortures, est plus efficace que le discours<br />

quand il s’agit de faire comprendre au spectateur<br />

qu’il faut renoncer aux vices, mais l’image risque de fasciner,<br />

de séduire, ce qui porterait préjudice au discours moral<br />

sous-jacent. Mais les bienséances ne concernent pas seulement<br />

la violence. Tout ce qui a trait à la vie physique (et en<br />

particulier la vie sexuelle) et matérielle (les nobles doivent<br />

être libérés de ces contingences) est également considéré<br />

comme inconvenant et doit être banni de la scène théâtrale.<br />

On assiste, dans cette perspective à la christianisation de<br />

certains comportements. On se moque bien souvent des<br />

bienséances aujourd’hui, mais elles ont pourtant eu un double<br />

avantage 7 . D’une part, elles ont encouragé les dramaturges,<br />

qui se voyaient interdire l’utilisation d’un langage<br />

cru et direct, à un travail stylistique subtil, jouant sur le<br />

symbole et la litote. De plus, les règles de bienséances font<br />

évoluer la notion de tragique, qui était d’abord associé au<br />

spectacle de la représentation de la mort et de ses souffrances,<br />

et qui s’intériorise. Le plus bel exemple de cette évolution<br />

est Bérénice, au cours de laquelle aucun personnage ne<br />

meurt. Racine souligne lui-même le caractère innovant de<br />

ce choix dramaturgique dans la Préface : « Ce n’est point<br />

une nécessité qu’il y ait du sang et des morts dans une tragédie<br />

: il suffit que l’action en soit grande, que les acteurs<br />

en soient héroïques, que les passions y soient excitées, et<br />

que tout s’y ressentent de cette tristesse majestueuse qui<br />

fait tout le plaisir de la tragédie. »<br />

La dimension morale de la tragédie<br />

Aristote, et la question de la catharsis<br />

La réflexion sur la mimèsis et la catharsis hante les<br />

traités théoriques de l’âge classique, et trouve son origine<br />

dans les ouvrages aristotéliciens. Il convient donc de revenir<br />

brièvement à cette source. Aristote distingue l’intelligible,<br />

simple, immuable et transcendant, du sensible, associé<br />

au mouvement, à la multiplicité et au désordre. L’homme<br />

6 Scherrer, op. cit.<br />

7 Alain Couprie, La Tragédie racinienne, Profil histoire littéraire,<br />

118 • Chapitre 6 - Du modèle aux réécritures, du xvii e siècle à nos jours

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