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BILaN DE PaRCouRS 1 - Editions Bréal

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et l’écrivain est confirmé. L’autofiction refuse de fabriquer<br />

narrativement un temps de vie linéaire et préfère une juxtaposition<br />

de moments qui ne sont pas classés chronologiquement.<br />

L’autofiction refuse de projeter une cohérence<br />

rétrospective. Elle ne juge pas sa relation et ne dresse pas<br />

de bilan. L’autofiction refuse de définir la personnalité. Le<br />

ou les personnages reste(nt) mystérieux. Ces autofictions<br />

durassiennes présentent des caractéristiques récurrentes :<br />

la présence de l’« ombre interne » (partie de la mémoire<br />

dont il est impossible d’avoir une conscience claire), le<br />

choix d’une écriture « courante » (prosaïsme et fulgurance<br />

sont recherchés), la translation générique (faire d’un même<br />

texte l’objet de pratiques esthétiques différentes).<br />

Texte 1 (manuel de l’élève p. 340)<br />

Le roman fondateur<br />

Un barrage contre le Pacifique, 1950<br />

Le passage dans l’économie générale de l’œuvre<br />

Une mère et ses deux enfants viennent d’acheter une<br />

propriété à l’État français. Cette acquisition s’avère être<br />

une escroquerie puisque les champs de riz ne cessent d’être<br />

inondés par les flots, ruinant tout espoir de récolte. Dans le<br />

passage étudié, désespérée et au bord de la faillite, la mère<br />

espère marier sa fille Suzanne avec Monsieur Jo, un riche<br />

héritier indigène qui vient danser chaque soir avec sa fille.<br />

Caractérisation du passage<br />

La situation du passage est profondément pathétique.<br />

En effet, on y voit une famille (une mère et un frère aîné)<br />

« marchander » la cession de la jeune sœur à un riche protecteur<br />

afin de sauver la famille de la faillite. Néanmoins, au<br />

lieu de verser dans le registre émotionnel, la scène s’inscrit<br />

plutôt sous le signe de la distance et de la froideur, comme<br />

si chaque personnage était une marionnette désenchantée.<br />

Plan de lecture analytique<br />

I. Une atmosphère vespérale<br />

A. L’absence de joie<br />

- Tristesse. Le lexique de la tristesse domine : « s’attrister<br />

» ; « raté-là » ; « s’assombrit »… La peine accable les<br />

cœurs.<br />

- Absence de mouvement. Statisme des personnages :<br />

« ne dansait pas », « regardait », « se fut assis ». Verbes de<br />

perception plus que verbes de mouvement. Récurrence de<br />

la négation (« ne dansait pas », « n’en était pas sûre », « ça<br />

n’a rien à voir ». Scène figée.<br />

- Une lascivité perverse. Le couple formé par Suzanne<br />

et M. Jo n’est même pas l’image d’un couple heureux. Lascivité<br />

malsaine (« dansait avec Suzanne de façon plus libre<br />

que d’habitude »).<br />

B. L’ennui<br />

- La réitération. Faits et gestes sont devenus machinaux<br />

: « comme d’habitude », « tous les soirs », « tous les<br />

soirs à Ram »... Petite comédie qui ne prend jamais fin.<br />

- Les expédients pour oublier l’ennui. Évocation de<br />

deux expédients : le champagne pour la mère et la danse<br />

pour Joseph. Mais les deux expédients sont impuissants en<br />

cette soirée. Lassitude totale et absolue.<br />

- L’impuissance des actes. Opposition entre la volonté<br />

d’agir (M. Jo est invité de manière pressante à faire sa<br />

déclaration) et le triomphe malgré tout de la passivité (on<br />

regarde, on parle dans l’extrait, mais on n’agit pas).<br />

II. Des êtres désincarnés<br />

A. Une mère dépressive<br />

- Portrait très pathétique de la mère. Topos durassien.<br />

Cf L’Amant ou la vie même de Duras. Élément autobiographique.<br />

- Constat d’échec sur l’existence. La mère fait une sorte<br />

de bilan de sa vie : échec total (« je suis ce qu’il y a de plus<br />

raté »). Absurdité de l’existence « ça ne veut rien dire »).<br />

- Une victime tragique. La mère est présentée comme<br />

broyée par les éléments et les événements : les flots (« pour<br />

les barrages ») et l’absence de fortune (« hypothèque de<br />

cinq hectares »). Seul recours : l’attente (« On en a marre<br />

d’attendre »). Victime impuissante qui est condamnée à être<br />

spectatrice de son destin. Cf Beckett, En attendant Godot<br />

(attente comme modalité de l’existence).<br />

B. Un frère grossier<br />

- Parole brutale. Le niveau de langue est familier (« on<br />

s’emmerde ») voire grossier ; indécence de la parole (« ce<br />

n’était pas sain d’avoir envie de coucher comme ça avec<br />

ma sœur »). Il gêne M. Jo par ses paroles franches et impolies<br />

(« on s’emmerde » ; « rougit jusqu’aux yeux »).<br />

- Réification de la jeune sœur. Le personnage manipulateur<br />

du frère transforme Suzanne en objet d’une négociation<br />

: « Tout ce qui compte, c’est que vous l’épousiez »).<br />

- Un personnage blasé. Joseph s’est lassé de la danse<br />

(« peut-être en avait-il assez de danser tous les soirs ») ;<br />

de M. Jo et de sa fortune (« Il y a trop longtemps que ça<br />

dure »). Le frère est ainsi dominé par la « tristesse » et le<br />

« dégoût » (de soi ? de la vie ?).<br />

C. Un couple improbable et mal accordé<br />

- Un couple mal assorti. Différence d’âge, différence de<br />

condition sociale, différence de sentiments (« un sentiment<br />

très profond » // « aucun sentiment pour lui »).<br />

- Suzanne s’est absentée d’elle-même. Opposition entre<br />

les marques toniques de la première personne (« Moi je me<br />

passe… ») et la vacuité du cœur dite de manière hyperbolique<br />

(« aucun sentiment »).<br />

- Un homme sans âme. M. Jo est privé de paroles et de<br />

consistance (« Je m’excuse », « rougit jusqu’aux yeux »).<br />

Il ne forme pas un couple avec Suzanne. Le lecteur ne peut<br />

que se représenter que deux corps qui, par hasard, se fréquentent.<br />

III. Une écriture de la distance<br />

A. Absence de pathos<br />

- Neutralité du ton. Le refus de toute déploration se lit<br />

dans l’absence de ponctuation expressive ; le désespoir est<br />

contenu et fait surtout place à la lassitude. La neutralité est<br />

redoublée par l’importance en volume des paroles rapportées<br />

(les personnages ne livrent pas directement leurs sentiments).<br />

126 • Chapitre 6 - Du modèle aux réécritures, du xvii e siècle à nos jours

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