BILaN DE PaRCouRS 1 - Editions Bréal
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Chapitre 4<br />
La question de l’homme dans les genres de l’argumentation<br />
du xvi e siècle à nos jours<br />
<strong>PaRCouRS</strong> 1<br />
L’homme à la rencontre de l’autre<br />
Manuel de l’élève pp. 196-205<br />
PROBLÉMATIQUE<br />
Cet ensemble de textes tente de cerner, à travers la littérature,<br />
la conception que les hommes se font d’eux-mêmes<br />
lorsqu’ils se trouvent confrontés à d’autres hommes qui,<br />
tout en étant leurs semblables, leur donnent toutes les apparences<br />
d’une complète étrangeté.<br />
Le XVI e siècle a vu l’expansion des expéditions européennes<br />
en Afrique et dans l’Amérique récemment découverte.<br />
Dans le texte 1, Montaigne est un spectateur attentif<br />
et engagé non pas tant des relations qui se construisent<br />
entre différents peuples que des représentations auxquelles<br />
donnent lieu ces rencontres inégales. Fidèle à sa méthode<br />
constante, il prend à rebrousse-poil, en appuyant son analyse<br />
sur des réflexions de bon sens, les opinions largement<br />
répandues à son époque. C’est ainsi que, même si son information<br />
proprement anthropologique est limitée, il réussit<br />
à comprendre le sens symbolique que peut avoir l’anthropophagie<br />
chez les peuples qui la pratiquent : rendre d’une<br />
certaine manière hommage à l’ennemi que l’on mange en<br />
s’assimilant ses vertus par la consommation de sa chair.<br />
La fin du texte introduit certaines des phrases les plus belles<br />
qui aient été écrites au sujet des guerres de religion qui<br />
déchirent alors l’Europe. Le scepticisme de Montaigne ou,<br />
pour parler plus précisément, son relativisme culturel était<br />
peut-être moins rare qu’on ne pense chez les hommes cultivés<br />
de son temps, mais il lui revient d’avoir donné à cette<br />
valeur, quelle que soit la complication introduite pour le<br />
lecteur moderne par son usage immodéré des citations latines,<br />
son expression définitive.<br />
Passant par-dessus le XVII e siècle, moins riche en<br />
problématiques de cet ordre, le texte 2 est un des passages<br />
les plus célèbres condamnant l’esclavage. Il faut être<br />
attentif au fait qu’aujourd’hui le refus de l’esclavage est<br />
une évidence, et la lecture de ce texte doit nous interroger<br />
sur notre capacité à détecter et à apprécier une argumentation<br />
exprimée dans un contexte qui n’est pas le nôtre. Il<br />
est souhaitable de laisser, lors d’une première lecture, bon<br />
nombre des élèves penser que le texte constitue une véritable<br />
apologie de l’esclavage, et s’en indigner. C’est ensuite<br />
seulement qu’il faut repérer les indices d’ironie, en fournissant<br />
au besoin les indications culturelles nécessaires (en<br />
montrant par exemple l’absurdité qu’il y a à appeler les<br />
Égyptiens « les meilleurs philosophes du monde » quand<br />
on sait qu’en plusieurs millénaires de civilisation brillante<br />
ils ont produit moins de réflexion philosophique que les<br />
Athéniens en quelques décennies). Et enfin on peut tâcher<br />
de montrer le danger qu’il y a à prendre au pied de la lettre<br />
une opinion si évidemment imbécile que l’intention ne peut<br />
qu’en être différente. On peut à la limite, en contextualisant<br />
le texte au deuxième degré, expliquer à quel point il serait<br />
impensable qu’un texte de cet ordre, s’il exprimait naïvement<br />
ce qu’il dit exprimer, et sans même de vigueur polémique<br />
pour lui donner une valeur stylistique ajoutée, figure<br />
dans un manuel de littérature d’aujourd’hui. C’est donc<br />
une excellente occasion de montrer à quel point, malgré les<br />
apparences, notre sensibilité et celles de Montesquieu sont<br />
proches, et à quel point donc notre conception de l’homme<br />
s’élabore dans la littérature depuis plusieurs siècles.<br />
Le texte 3, qui semble un successeur direct du passage<br />
de Montesquieu, doit être replacé dans le projet général de<br />
Candide, qui est de se moquer de l’optimisme béat. Aussi<br />
bien du point de vue quasi métaphysique, du point de vue<br />
des mœurs, et d’un point de vue social, Voltaire met à nu<br />
tout ce qui ne va pas. Ce qui est abominable dans le sort de<br />
l’esclave, c’est peut-être avant tout que ce qui lui est arrivé<br />
est la norme dans ce pays ; c’est aussi que ces mauvais<br />
traitements s’accompagnent d’une pseudo-évangélisation<br />
(Voltaire ne manque jamais une occasion de critiquer les<br />
religions établies). Il n’est pas pour autant dupe des bons<br />
sentiments : on peut remarquer que c’est sa propre mère qui<br />
a vendu le petit Noir pour dix écus, et que le pauvre homme<br />
ne semble pas animé d’un esprit de révolte que justifierait<br />
pourtant amplement l’iniquité de sa situation.<br />
À l’aube du romantisme, c’est sous l’angle d’une sensibilité<br />
et d’une humanité partagées que Chateaubriand, dans<br />
le texte 4, place les aventures qu’il situe en Amérique. Ne<br />
reculant pas devant ce qu’on pourrait trouver d’un pathétique<br />
facile si le style n’en était si riche et si dense, il nous<br />
place face à une situation archétypique : une mère dont<br />
l’enfant meurt ; le fait que ceci se déroule de l’autre côté<br />
du monde ne saurait rien changer à la compassion qu’on<br />
ne peut qu’éprouver pour ce deuil. De manière peut-être<br />
plus inattendue, la faute directe de cette mort est imputée<br />
aux Blancs qui ont repoussé les Indiens loin de leurs terres<br />
ancestrales. Bien avant même que les cultures amérindiennes<br />
soient quasi anéanties en Amérique du Nord tout au long<br />
du XIX e siècle par l’expansion de la culture européenne, et<br />
même si c’est peut-être au nom de la douteuse théorie du<br />
« bon sauvage » de Rousseau, Chateaubriand fait ici preuve<br />
d’une capacité à remettre en question la prééminence de sa<br />
propre culture qui fait honneur à son discernement.<br />
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