BILaN DE PaRCouRS 1 - Editions Bréal
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Martin (Le Magazine littéraire, p. 45, voir bibliographie)<br />
écrit que la préposition est chez lui : « Omniprésente. Indicatrice<br />
d’un mouvement, d’une recherche infinie, d’une<br />
déprise, d’une incomplétude, d’une intranquillité, d’un<br />
incirconscrit, d’une indirection, d’une fable du sujet, d’un<br />
lieu mien, d’un lieu autre. »<br />
Dans « Nous autres », cette voix devient collective dans<br />
un « nous » qui semble réunir tous ceux qui sont, comme<br />
le poète, réfractaires aux habitudes apprises et aux valeurs<br />
acquises. Entre confession et déploration, Michaux chante<br />
l’expérience du vide et la promesse d’une plénitude en<br />
forme de renaissance qui ne sera vécue que par d’autres.<br />
Éléments pour une lecture comparée des deux poèmes<br />
I. Les points de convergence entre les deux poèmes<br />
Une continuité énonciative<br />
- Dans « Contre », grammaticalement identifiable à<br />
une préposition, le titre fait l’ellipse du syntagme nominal<br />
qu’il est censé introduire. Le titre et le traitement de<br />
ce mot-clef réaffirment donc le statut de la notion de lutte<br />
dans le recueil : une manière d’être au monde, de réagir à<br />
son environnement comme à ses démons intérieurs. Et ce<br />
d’autant plus que, dans la suite du poème, le mot « contre »<br />
devient (vers 17), par deux fois, un verbe à la 1 re personne<br />
du singulier.<br />
- C’est donc l’absolu du refus qui s’affirme ici, dans un<br />
texte vengeur, où l’on a l’impression que le « je » tente de<br />
se constituer contre ce avec quoi il lutte sur le mode prophétique,<br />
un « vous » d’abord énigmatique puis progressivement<br />
élucidé. Puis, dans les deux dernières strophes,<br />
l’apparition de l’impératif (v. 23) introduit une relation de<br />
proximité entre le poète et les destinataires de son anathème<br />
et fait glisser l’énonciation d’un « je » vers un « vous »,<br />
avant l’apparition d’un « nous » tout aussi énigmatique.<br />
- Le « nous autres » qui donne son titre au poème suivant<br />
renvoie évidemment à l’image diffractée de lui-même<br />
que le poète transmet au lecteur mais certainement aussi<br />
à tous les révoltés radicaux. Michaux se situe ici dans la<br />
filiation de Rimbaud et de Lautréamont. Par ailleurs, du<br />
futur prophétique qui oriente le poète vers l’action et la<br />
conquête d’un avoir, on passe à un présent qui est tantôt de<br />
vérité générale (v. 6-13), tantôt d’énonciation (v. 15) tandis<br />
que l’alternance avec le passé composé (v. 1-3) confirme la<br />
scission entre les conquérants du monde réel (v. 27) et ceux<br />
qui s’arrêtent devant les portes de la « Ville-qui-compte ».<br />
La régularité d’une prosodie et d’une métrique… irrégulières<br />
Alors que dans les deux premiers textes du parcours, le<br />
système de la prose l’emportait, ces deux poèmes se caractérisent<br />
par une irrégularité elle-même systématique :<br />
- Ce sont les strophes, hétérométriques constituées de<br />
vers non rimés, qui constituent des unités de sens progressivement<br />
de plus en plus longues.<br />
- La variété de ces strophes – longueur et nombre de<br />
vers – organise l’aspect décousu du poème. Dans les deux<br />
premières strophes, l’unité apparente est réalisée par la présence<br />
d’une seule phrase. Puis le rythme s’accélère et les<br />
trois dernières comportent deux ou trois phrases dans un<br />
système de relance. La disposition est à peine différente<br />
dans « Nous autres »<br />
– On pourra prendre l’exemple de la première strophe<br />
de « Contre » pour montrer comment le rythme de l’invocation<br />
suit les variations de la voix du poète, ses reprises,<br />
ses digressions : l’équilibre du vers est miné par les répétitions<br />
qui créent des rythmes binaires en produisant un effet<br />
d’accélération haletante dans la formulation de l’anathème.<br />
La reprise de « vous » sous l’accent souligne la pression<br />
exercée sur les destinataires ; l’équilibre syntaxique est<br />
brisé par la distribution hétérogène des compléments.<br />
Ainsi, la répétition de « Je vous construirai » face à l’antithèse<br />
« loques » et au rythme binaire « sans plan et sans<br />
ciments » rend-elle pathétique et dérisoire ce combat contre<br />
l’ordre établi. La rage – éprouvée physiquement – de celui<br />
qui prophétise la construction d’un mur pour « contrer »<br />
la civilisation, se manifeste concrètement par des marques<br />
d’oralité et l’image de « l’écumante évidence », par<br />
la métonymie qui transforme la voix du poète en « braiement<br />
d’âne et par l’association d’images triviales avec les<br />
monuments emblématiques des civilisations occidentale et<br />
orientale (vers 6) qui seront évoqués de façon plus radicale,<br />
dans la strophe suivante comme le symbole d’un « ordre<br />
multimillénaire » que le poème entreprend de détruire. Ce<br />
travail sur la première strophe peut être poursuivi dans les<br />
suivantes, en vue de montrer comment la protestation enfle<br />
jusqu’à l’image finale.<br />
Le chaos des images<br />
- On pourra également travailler avec les élèves dans<br />
les deux poèmes sur les métaphores, inattendues mais rares<br />
chez Michaux qui, surgissant à l’intérieur d’une strophe<br />
parfaitement explicite, se chargent d’un sens très puissant.<br />
C’est le cas dans « Contre » de « Foi, semelle inusable<br />
pour qui n’avance pas » : en assimilant l’idée de foi à<br />
une marche immobile, le poète concrétise son nihilisme.<br />
De même dans la dernière strophe « l’image de la poulie<br />
gémissante » situe le poème dans la filiation du Bateau ivre<br />
de Rimbaud et du vers fameux : « Ô que ma quille éclate !<br />
Ô que j’aille à la mer ! ».<br />
- Dans « Nous autres », on pourra étudier la métaphore<br />
filée, apparemment classique, qui compare le vide à un animal<br />
et se développe dans la deuxième strophe (v. 6-13): elle<br />
convoque les éléments d’un bestiaire familier pour présenter<br />
l’expérience du vide comme une accumulation d’expériences,<br />
un nouveau combat.<br />
III. Des thèmes et des motifs complémentaires<br />
Au futur de l’imprécation, au cri de colère proférant,<br />
dans le texte 3, la volonté destructrice du poète qui éprouve<br />
comme une jouissance la traduction d’une ancienne souffrance<br />
en révolte violente contre les apparences et les<br />
fausses valeurs, répond dans le texte 4 un constat amer : la<br />
première strophe prend acte d’une aliénation définitive qui<br />
interdit à ce moi collectif ou à ce peuple de révoltés d’aller<br />
jusqu’au bout de sa sédition et d’en recueillir les fruits. Les<br />
deux strophes suivantes, qui commencent chacune par un<br />
infinitif à valeur injonctive (« prendre le vide », « dire »)<br />
se présentent comme un « credo » qui fait écho à la « foi »<br />
immobile du texte précédent. Au vain espoir de trouver<br />
Chapitre 3 - Écriture poétique et quête du sens • 67