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BILaN DE PaRCouRS 1 - Editions Bréal

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grecque, dont la définition par Aristote a servi de fondement<br />

aux théoriciens du théâtre dramatique, contenait, ne<br />

serait-ce qu’avec la présence d’un chœur, des traits épiques.<br />

Le théâtre médiéval, qu’il soit de l’ordre du batelage<br />

forain ou qu’il s’agisse des mystères, imposait une<br />

théâtralité ostensiblement narrative (ainsi la frontalité<br />

des monologues dramatiques comiques, ou le régime de<br />

représentation symbolique des mystères, leur nature de<br />

spectacle-parcours, ou leur utilisation de scènes simultanées…).<br />

La dramaturgie élisabéthaine, telle qu’elle<br />

s’incarne par exemple dans l’œuvre de Shakespeare,<br />

est également souvent caractérisée par la discontinuité<br />

(temporelle, de registre…) – sans parler de l’usage, dans<br />

certains cas, de personnages allégoriques comme « Le<br />

Temps » (Le Conte d’hiver) pour indiquer narrativement<br />

une saute temporelle de plusieurs années. Plus largement<br />

encore, c’est un fait que tout le théâtre dit « dramatique »,<br />

tel qu’il s’élabore théoriquement et textuellement du<br />

XVII e au XX e siècle, se révèle, dès qu’on l’aborde du<br />

point de vue des conditions matérielles de sa représentation,<br />

fonctionner sur des principes finalement narratifs<br />

en ce que la théâtralité de l’époque prend ostensiblement<br />

en compte, nous l’avons vu, le spectateur, et ne joue<br />

jamais sur une production continue de l’illusion et de la<br />

tension empathique : le théâtre occidental ne s’est en fait<br />

jamais départi concrètement des traits épiques propres<br />

à la monstration scénique, même si la dramaturgie du<br />

texte d’efforçait de les dissimuler. Quant aux dramaturgies<br />

orientales, leur caractère rituel et/ou codé a toujours<br />

participé d’une conception non dramatique du théâtre –<br />

elles seront d’ailleurs revendiquées comme modèles par<br />

Brecht (en particulier le jeu de l’acteur chinois Mei Lei<br />

Fang, vu en tournée en 1935, qui inspirera au dramaturge<br />

allemand nombre de ses réflexions sur l’acteur épique et<br />

sur la distanciation).<br />

La révolution brechtienne ne sort donc pas de nulle<br />

part. (…) Mais la démarche brechtienne, qui contribue à<br />

fixer ce que nous appelons ici le théâtre épique, se distingue<br />

par sa systématicité, et surtout par l’horizon politique<br />

(…) et théorique qui la sous-tend : c’est essentiellement<br />

parce que le système dramatique, en ce qu’il ne s’attache<br />

qu’aux conflits entre individus, est incapable de représenter<br />

comment ces individus sont avant tout pris, au<br />

XX e siècle, dans des systèmes économiques et politiques<br />

plus larges qu’il importe d’imposer une forme théâtrale<br />

pouvant représenter une sphère plus vaste tout en désaliénant<br />

le spectateur dans sa relation à la représentation,<br />

pour lui faire apparaître le réel comme transformable et<br />

non comme immuable. »<br />

Qu’est-ce que le théâtre ?<br />

Gallimard, Folio, p. 255-257<br />

Texte 4 (manuel de l’élève p. 80)<br />

Le théâtre créateur de son propre monde<br />

Antonin Artaud, Le Théâtre et son double, 1938<br />

Éléments pour une analyse informelle du texte<br />

Antonin Artaud veut dans son manifeste pour un « Théâtre<br />

de la cruauté » rendre au théâtre son autonomie, le libérer<br />

de la littérature et définir son langage propre, qui, selon<br />

lui, n’est pas le texte, mais un mélange organique de mouvements,<br />

de sons et d’images qui doivent mettre le spectateur<br />

dans un état de transe et de révélation. Comme on le<br />

voit avec ce texte, le théâtre n’est plus considéré comme<br />

une construction littéraire, mais avant tout comme un spectacle<br />

conçu comme un rituel, une cérémonie, qui s’adresse<br />

non pas à l’intelligence (la tête) mais à la sensibilité (le<br />

corps). Le théâtre oriental (en particulier le théâtre balinais,<br />

masqué) lui sert de modèle.<br />

L’influence d’Artaud fut décisive dans l’histoire du<br />

théâtre, mais n’apparaît sur la scène que dans les années<br />

1960, d’abord en dehors de la France (notamment aux<br />

Etats-Unis), puis en France à partir des années 1970-80. Il<br />

s’agit avant tout d’expériences scéniques, et non de textes<br />

mis en scène. L’influence des arts plastiques et de l’émergence<br />

de la performance dans les années 1960 joue un rôle<br />

moteur dans cette relecture des textes théoriques d’Antonin<br />

Artaud. Parmi les metteurs en scène contemporains dont le<br />

travail porte la trace de cette réflexion, citons :<br />

- l’Italien Romeo Castellucci avec notamment Inferno,<br />

Purgatorio, Paradiso (Festival d’Avignon 2008, spectacles<br />

disponibles en dvd chez ARTE Video, 2009) ;<br />

- le jeune Français Vincent Macaigne avec Requiem 3<br />

(Théâtre des Bouffes du Nord, 2011) et Au moins j’aurai<br />

laissé un beau cadavre d’après Hamlet (Festival d’Avignon,<br />

2011) (voir sur le site http://vincentmacaignefriche2266.com).<br />

On peut également mettre la réflexion d’Artaud en<br />

rapport avec le travail des metteurs en scène Bob Wilson<br />

(voir arrêt sur image) ou François Tanguy (Le Théâtre du<br />

Radeau).<br />

- Bob Wilson fait appel à une mémoire enfouie pour<br />

déployer des rituels obsédants, parfois indéchiffrables,<br />

d’une grande perfection plastique.<br />

« L’image, permanence et métamorphose, le mouvement,<br />

lenteur et répétition, sont le langage de ce théâtre<br />

qui bannit à peu près complètement le discours articulé.<br />

Le spectacle par lequel il se révèle au public français, à<br />

Nancy en 1971, ne s’intitule-t-il pas, significativement,<br />

Le Regard du sourd ? Ancien danseur, Wilson travaille<br />

avec prédilection sur le geste. Il l’inscrit dans une temporalité<br />

si différente, et de la durée vécue, et du temps<br />

stylisé du théâtre, qu’elle en acquiert une étrangeté radicale.<br />

Des figures étirent des gestes d’une telle lenteur que<br />

le mouvement, quoique bien réel, est à peine saisissable.<br />

Ou bien, dans une sorte de perpetuum mobile, un coureur<br />

traverse et retraverse le plateau. Minutes comme figées,<br />

et qui cependant s’écoulent, modifiant subtilement le sens<br />

même du temps chez le spectateur. Le Regard du sourd<br />

enchevêtre des images hiératiques et secrètes sept heures<br />

durant ! Quant au mot, comme le préconise déjà Artaud,<br />

il est utilisé en fonction de l’énergie physique qu’il diffuse,<br />

et non pour dire ou pour montrer. Cris ou psalmodies,<br />

il fournit une musique primordiale qui s’ajoute à<br />

l’utilisation de compositions instrumentales dont les<br />

potentialités répétitives et hallucinatoires jouent un rôle<br />

essentiel. Enfin, l’univers wilsonien est peuplé de figures<br />

Chapitre 2 - Le théâtre : texte et représentation • 27

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