BILaN DE PaRCouRS 1 - Editions Bréal
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en livrant des documents secrets aux Allemands. L’affaire<br />
Dreyfus divise la France et Zola prend parti en faveur des<br />
dreyfusards en publiant son célèbre « J’accuse ». L’antisémitisme<br />
est alors une valeur de droite, liée à des convictions<br />
religieuses mais surtout au nationalisme et au racisme. Toutefois,<br />
l’antisémitisme de gauche, nourri d’anticapitalisme,<br />
existe également.<br />
L’antisémitisme dans l’entre-deux-guerres<br />
Les Juifs ayant participé à l’Union sacrée qui a permis<br />
la victoire, l’antisémitisme s’apaise un temps : il n’est plus<br />
revendiqué que par une extrême-droite virulente et anti-bolchévik.<br />
Toutefois, le krach de 1929, la crise économique et le<br />
chômage qui en résultent, l’immigration allemande accélérée<br />
par l’accession au pouvoir d’Hitler, ravivent ce sentiment de<br />
haine dans les années 1930. L’affaire Stavisky entraîne une<br />
nouvelle poussée d’antisémitisme, liée à un fort sentiment<br />
antiparlementaire. Stavisky, issu d’une famille juive, est un<br />
escroc notoire, dont les liens avec la police, la presse, la<br />
justice et un certain nombre de membres du gouvernement<br />
sont brutalement mis au jour. La mort mystérieuse de Stavisky<br />
entraîne la chute du gouvernement Chautemps et une<br />
émeute en février 1934 au cours de laquelle on entend de<br />
nombreux slogans antisémites. Le Front Populaire et l’arrivée<br />
au pouvoir de Léon Blum en 1936 marquent encore<br />
un pallier dans la recrudescence de l’antisémitisme et l’on<br />
n’hésite pas à affirmer dans les rangs de l’extrême-droite<br />
que Hitler est préférable à Blum. Ce climat n’empêche pas<br />
les Juifs d’Europe de l’Est, chassés par le nazisme, surtout<br />
après la nuit de Cristal, d’affluer en France, ce qui ne fait<br />
qu’attiser les tensions.<br />
De la genèse à la réception<br />
Albert Cohen a toujours pris soin de détruire ses<br />
brouillons, ce qui compromet toute étude génétique de ses<br />
textes. Toutefois, il a publié des avant-textes de Ô vous,<br />
frères humains. En effet, depuis Londres, où il réside alors,<br />
il publie dans La France libre, en juillet et en août 1945,<br />
un récit autobiographique en deux parties intitulé « Jour de<br />
mes dix ans ». Une version abrégée de ce texte est ensuite<br />
publiée dans la revue Esprit en septembre 1945. Après la<br />
publication des Valeureux en 1970, il reprend ce texte pour<br />
composer Ô vous, frères humains, ouvrage qu’il confie aux<br />
éditions Gallimard en décembre 1970 et qui sera publié en<br />
mai 1972. Outre ces avant-textes, il convient de rappeler<br />
que certains passages de ce récit apparaissaient déjà dans<br />
Le Livre de ma mère : ainsi, la description du « secret autel<br />
à la France » qui apparaît au chap. XXI avait déjà été faite<br />
au chap. V du Livre de ma mère. On peut ainsi sans hésiter<br />
souligner l’importance de ce souvenir du jour de ses dix<br />
ans pour l’auteur.<br />
L’auteur hésite sur le titre de l’ouvrage. Il emprunte<br />
d’abord à Villon, poète qu’il admire, le titre Ô vous, frères<br />
humains, avant d’envisager un titre qui traduise plus explicitement<br />
son projet : « Ô frères en la mort ». Gallimard<br />
lui conseille, pour des raisons commerciales, de revenir au<br />
titre initial.<br />
Le récit remporte un franc succès dans des milieux très<br />
divers mais tout particulièrement dans les milieux catholiques.<br />
Deux lectures analytiques<br />
Texte 1. Manuel de l’élève p. 228<br />
La mémoire, souffrance et recours<br />
I. Un texte inclassable<br />
Un incipit renseigne généralement le lecteur sur le genre<br />
et le ton de l’ouvrage qu’il va lire. La première page de Ô<br />
vous, frères humains est à cet égard déroutante.<br />
A. Une autobiographie ?<br />
a. L’instance narrative. Emploi de la première personne,<br />
caractéristique de l’écriture autobiographique (« je veux ce<br />
soir te raconter et me raconter », « du jour où j’eus dix<br />
ans »),<br />
b. Pacte de sincérité. Le narrateur affirme vouloir raconter<br />
« une histoire […] vraie de [s]on enfance ».<br />
B. Mise à distance des codes de l’autobiographie<br />
a. Distinction entre l’auteur (champ lexical de l’écriture :<br />
« Page blanche », « raconter », « plume »), l’homme (« cet<br />
homme qui me regarde dans cette glace que je regarde »)<br />
et l’enfant.<br />
b. Prise de distance ironique à l’égard d’autres autobiographies.<br />
Négation (« Mais il ne s’agit ni du jour […] »).<br />
Registre satirique à l’égard des autobiographies bourgeoises<br />
qui se nourrissent de clichés : emploi de l’article<br />
indéfini (« quelque convenable amourette avec une fille de<br />
bonne et rentée famille ») et du pluriel (« aux vieilles générales<br />
tyranniques et sourdes »).<br />
C. Les enjeux<br />
a. Un récit dans l’intimité. Adresse à la « page blanche »<br />
et à la « fidèle plume d’or », qui suggère un récit intime, de<br />
soi pour soi.<br />
b. Un texte engagé. L’adresse aux « antisémites » au<br />
contraire donne une portée générale et engagée au récit.<br />
II. La méfiance à l’égard de l’amour<br />
Sur un plan thématique au contraire, le texte présente<br />
une plus grande unité. Il traduit une grande méfiance à<br />
l’égard de l’amour sous toutes ses formes.<br />
A. La hiérarchie des valeurs bourgeoises<br />
a. Un apparent débordement d’amour.<br />
Champ lexical de l’amour très important dans le paragraphe<br />
consacré à la bourgeoisie (« adorent », « fort aimée »,<br />
« chérissent », « embrasse », « s’attendrissent »,…).<br />
b. Un amour subordonné à une autre valeur, l’argent.<br />
En réalité, l’amour est second dans la hiérarchie des<br />
valeurs bourgeoises. Ce qui vient d’abord, c’est l’argent<br />
(antithèse : « fort aimée mais peu payée », jeux de<br />
mots : « une riche grand-mère bourrue et par conséquent<br />
proclamée cœur d’or », « bonne et rentée famille ») et son<br />
corolaire, le confort (champ lexical du confort : « confort »,<br />
« stabilité », « sécurité », « confortablement »).<br />
c. Le sourire comme symbole de l’hypocrisie.<br />
Les bourgeois « sourient » (répétition du verbe « sourire<br />
» un très grand nombre de fois) pour exprimer un<br />
amour qui, en réalité, n’existe pas. Le sourire se déforme<br />
en une grimace (« squelette de bouche », « message dentaire<br />
d’amour du prochain »).<br />
Chapitre 4 - La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du xvi e siècle à nos jours • 89