America is hard to seeConscience d’une nationRemerciements : Bruce Posner, Dario Marchiori, Jérôme Moland
Thanks for the American dream,To vulgarize and to falsify until the bare lies shine through.William S. Burroughs, The Thanksgiving PrayerL’ Amérique, au début des années trente : le gouvernement nie les effetsdévastateurs de la Grande Dépression et cache les chiffres alarmants <strong>du</strong>chômage : seize millions d’Américains sont sans travail et vivent dansun état de misère totale ; la petite bourgeoisie et les paysans ont été ruinéspar le krach boursier. Un groupe de jeunes artistes et intellectuelss’organise en collectif sous l’égide de la toute nouvelle Film and PhotoLeague, issue de la Workers’ International Relief, organisation proche<strong>du</strong> Parti communiste américain. Ils passent à l’offensive en témoignantà travers une série de ciné-tracts des conditions de vie et de l’expressiondes luttes à travers le pays. Leur devise est : « movie must become ourweapon ». Avec pour référence la leçon esthétique des deux grands pionniersde la photographie sociale américaine – Jacob Riis et Lewis Hine– et comme horizon idéologique un marxisme teinté d’humanisme, legroupe de la Film and Photo League développe la contre-informationà travers le documentaire, rompant avec le silence coupable des Actualitésfilmées par les Majors d’Hollywood et dévoilant l’immobilismeéconomique et la répression politique mise en œuvre par le présidentHerbert Hoover. C’ est ainsi que naissent des dizaines de films quienregistrent les moments les plus importants de la lutte politique etsyndicale – grandes manifestations, marches prolétariennes, grèvesgénérales – et qui en restent aujourd’hui les seules archives. Leo Seltzer,Samuel Brody, Robert Del Duca et Lester Balog sont à l’origine <strong>du</strong>projet, mais c’est avant tout un esprit de collaboration collective qui voitles membres de la League s’investir ensemble dans toutes les phases dela pro<strong>du</strong>ction. De cette première importante expérience, dont la limiteest peut-être de ne voir dans le cinéma qu’un outil pour pro<strong>du</strong>ire desdocuments filmés utilisables dans la lutte contre l’Etat capitaliste, uncertain nombre de figures marquantes commence à se dégager quidonneront naissance en 1934 à la coopérative new-yorkaise Nykino :ce sont Leo Hurwitz, Irving Lerner et Ralph Steiner, suivis par WillardVan Dyke. Influencés par le cinéma soviétique, compagnons de routede certaines figures de l’avant garde cinématographique new-yorkaise(Lewis Jacobs et Jay Leyda en particulier), partisans convaincus d’uncinéma documentaire où recherche esthétique et impact politique vontde pair, ils professent un cinéma d’idées et de montage, libre de croiserfiction et documentaire, improvisation et écriture. Des projets innovantset divers voient le jour : une tentative d’Actualités « de gauche »est lancée : The World Today, dont on ne compte que deux numéros ; ilsentreprennent de collaborer avec de jeunes collectifs théâtraux – c’estPie in the Sky, réalisé avec le Group Theatre d’Elia Kazan ; ils entrent encontact avec des cinéastes et des photographes fondamentaux – JorisIvens et Paul Strand. En 1937, l’expérimentation formelle et politiquede Nykino se transforme en maison de pro<strong>du</strong>ction radicale (maistoujours à but strictement non-lucratif) : Frontier Films, qui se posed’emblée comme une alternative théorico-pratique à Hollywood et àses codes. Aux membres de Nykino viennent se greffer d’importantesfigures comme Ben Maddow, Lionel Berman, Henri Cartier-Bressonet Sidney Meyers. L’ objectif commun est de réaliser un cinéma formellementlibre, narrativement efficace et politiquement engagé dansles luttes nationales et internationales. C’ est ainsi que sont pro<strong>du</strong>itsdes films qui défendent des causes politiques au Mexique (The Wave),en Chine (China Strikes Back) et en Espagne (Heart of Spain) et ques’enclenche le laborieux passage au long-métrage qui se concrétiseraentre 1938 et 1941 avec Native Land. Un chef-d’œuvre qui résume toutel’expérience esthétique et politique de la décennie précédente, un filmà la fois prophétique (quelles allaient être les conséquences sociales dela crise) et en retard sur les événements historiques (l’entrée en guerredes Etats-Unis en 1942 occulte la sortie en salle et condamne le film àtrente ans d’oubli). Par la suite, l’héritage de Frontier Films est reprispar son représentant le plus significatif, Leo Hurwitz, qui deviendrale plus important, le plus persécuté et aujourd’hui le plus injustementoublié des documentaristes américains. Mais si les graines semées parFrontier Films donnent naissance à d’autres chef-d’œuvres isolés (TheQuiet One, In the Street, The Savage Eye), le documentaire politiqueaméricain s’oriente à partir de l’après-guerre vers une longue agonie,tandis que s’écroule l’idéologie marxiste chez les intellectuels qui enavaient été les fers de lance. Il faudra attendre plus de vingt ans pourvoir renaître en Amérique un collectif avec des idées vraiment novatricessur le cinéma et le réel : ce seront les légendaires Newsreels.Avec ces films pour la plupart peu connus et qui peuvent nous semblerlointains, il s’agit de raconter une histoire oubliée, un modèle qui jetteune lumière puissante et révélatrice sur notre présent.Federico RossinTra<strong>du</strong>it de l’italien par Lili Hinstin105Americais hard to see
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