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Cinéma du réel 2011

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Gianfranco Rosi7273En trois longs métrages longuement mûris, Gianfranco Rosi a imposéla droiture limpide de son regard. Habitué à voyager (né en Erythrée deparents italiens, il vit à Istanbul et Rome avant de s’installer à New York,où il étudie le cinéma à la New York University), il fait preuve d’unecapacité rare à « faire monde » où qu’il pose sa caméra. Qu’il filme leGange à Bénarès (Boatman), une communauté retirée dans le désert californien(Below Sea Level) ou le récit d’un ancien tueur à gages (El Sicario),il parvient à échapper au dilemme entre empathie et neutralité, à trouverun point d’ écoute rendant inutile tout commentaire.Avant El Sicario, on pouvait être tenté d’attribuer la force humaine deses films à leur ancrage dans des lieux eux-mêmes exceptionnels, que lecinéaste fréquente très longuement avant d’y tourner. Ainsi des abords<strong>du</strong> fleuve dans Boatman où toute la vie – et les rituels de mort – deshabitants de Bénarès s’organise, et que Rosi faillit quitter sans y avoirtourné la moindre image, des semaines <strong>du</strong>rant. La veille de son départ,il abandonne son projet de film et s’ offre une journée de tourisme. C’ estce jour-là qu’ il rencontre le batelier de Boatman et décide de structurerle film autour de sa journée de travail (en fait composée de plusieursannées de rushes)…Cette étonnante genèse va au-delà de l’anecdote d’un film qui a manquéde peu de ne pas exister. Elle caractérise tous les projets de Rosi, quitirent leur pertinence de leur survivance : il y a film parce que quelquechose, dans le réel, insiste puissamment. A force de parcourir le mondesans sujet préconçu (le sujet étant la matière première de la standardisationdocumentaire), Rosi se met à l’ écoute, et quelque chose s’impose.Below Sea Level, par exemple, est l’aboutissement d’un parcours de tousles déserts des Etats-Unis : Nevada, Utah, Californie, qu’il a filmés enpellicule super-16 jusqu’à épuisement de ses moyens. Là encore, c’estseulement de retour à Los Angeles qu’informé de l’existence d’une communautéde drop-outs à quelques centaines de kilomètres de la ville, iltrouve enfin en elle la synthèse de son périple.D’ où l’impression, chez Gianfranco Rosi, que chaque film, bien quecommencé sans savoir où il ira, s’offre à la fin comme une œuvre à partentière, un point d’arrivée. Dans son cinéma, rien n’ est laissé à l’état debrouillon que l’on serait invité, en spectateur in<strong>du</strong>lgent, à compléter parnos propres moyens. Sa démarche, jamais puisée dans des référencescinématographiques antérieures, se fonde sur des rencontres, commecelles <strong>du</strong> journaliste d’investigation américain Charles Bowden, et à traverslui, de l’ex-tueur <strong>du</strong> narcotrafic d’El Sicario. Mais la rencontre n’ estpas l’enjeu <strong>du</strong> film : elle le prépare, lui souffle son dispositif – tel le carnetoù l’ex-tueur raconte en des schémas tracés au feutre vingt ans d’enlèvements,de tortures et de meurtres. Inutile d’identifier les croquis <strong>du</strong>bourreau repenti à un documentaire pédagogique : ces tracés semblentplutôt lui permettre d’avoir la force morale de se rappeler, dans le détail,ses barbaries passées – tout en les stylisant assez pour ne pas devenirfou de honte. Avec le batelier de Boatman et les refusés de la société deconsommation de Below Sea Level, El Sicario partage peut-être une mêmepassion – à la fois souffrance et désir : celle de tenir à distance la violence<strong>du</strong> monde en le racontant. Pour cela, les longs métrages de GianfrancoRosi sont aussi de grands films de fiction.Charlotte Garson

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