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Cinéma du réel 2011

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¹surgissent quand on les a cherchés, poursuivis ou invoqués pendant silongtemps. Mitchourine, par exemple, n’est pas à proprement parler unfilm invisible, bien que le Mitchourine que j’ai vu en octobre 1998 fût marquéd’une « visibilité » impossible à réitérer. J’ai vu pour la première foisMitchourine d’Alexandre Dovjenko un après-midi, fin octobre 1998, à LaHavane. Le même jour, la télévision annonçait l’arrivée de l’ouragan Mitchà l’ouest de l’île. En sortant de la projection, le Malecon était coupé à lacirculation par des vagues déferlant d’une mer en furie et le ciel annonçaitune tempête terrible. Le visage le plus sauvage et obscur de la nature,comme il se manifesta cette nuit-là, se heurtait dans mon esprit avec lesimages <strong>du</strong> paysage bucolique des pommiers en fleur que je venais de voirau cinéma, avec l’Hortus Soviéticus de Mitchourine, avec les cartes postalesédéniques de Dovjenko, ou avec la nature rationnelle et obéissantedécrite dans le film. Projeté pendant la tempête Mitch, le Mitchourinede Dovjenko renvoyait d’une manière douloureuse, trop réelle, involontairementprovocante – comme si l’ouragan était la réponse au film – lascission entre culture et nature qui parcourt souvent tout le cinéma russe.Des pommiers de Dovjenko je passe à un autre « arbre » : le cinéma quele sculpteur Jorge Oteiza n’a jamais filmé. Parmi les nombreux manuscritsinédits qui sont conservés dans les archives de l’artiste basque, il y aquelques courtes notes pour un film qu’il ne réalisa jamais (il ne réalisad’ailleurs aucun film) et qui est intitulé Documentaire de l’arbre.Au début des années soixante <strong>du</strong> XXe siècle, le sculpteur imaginaitceci : « La caméra fait un tour autour d’un arbre, puis tête baissée enparcourt le tronc et commence à y grimper. La caméra représente ce quevoit l’homme. Celui-ci se jette sur l’ombre et la prend dans les bras ». Lemouvement décrit dans cette note trouve un certain écho avec quelquesbobines Super 8 filmées par le sculpteur, à mi-chemin entre la pirouetted’amateur et l’expérimentation « à la façon de Val del Omar » (pour citerl’artiste), qui fait ainsi référence à son ami José Val del Omar, le réalisateurde Fuego en Castilla y Aguaespejo granadino. Ces bobines de Super8 étaient conservées dans les archives de la Fondation Oteiza à Alzuza(Navarre). Dans l’immense talent, souvent intuitif, de Jorge Oteiza, nousdécouvrons l’un des grands penseurs hétérodoxes de l’histoire <strong>du</strong> cinémaespagnol. Ses idées sur le vacillement de l’espace, l’expérience extatiquede la contemplation et sur l’« écran-mur » n’ont jamais trouvé leur formeconcrète dans un film. Bien qu’ayant abandonné la sculpture, Oteiza asérieusement envisagé de porter ses idées au cinéma, il ne l’a jamais fait.Mais il semble chaque jour plus évident et nécessaire d’intégrer ce cinéastesans film à l’histoire <strong>du</strong> cinéma espagnol le plus audacieux. Précisémentpour son cinéma invisible.Tra<strong>du</strong>it de l’espagnol par Javier Packer-ComynThomas Ordonneau Pro<strong>du</strong>cteur et distributeurJe pense à Keep it for Yourself de Claire Denis, film de commande réalisépour une marque de voitures japonaises, tourné à New York, dans un noiret blanc de pellicule optique éclairé par Agnès Godard. Vincent Gallosurgit dans l’appartement désert dans lequel s’est réfugiée l’héroïne <strong>du</strong>film. Il est en fuite, c’est un voleur de voitures, et il va l’emmener à l’extérieur,dans la ville, dans le monde, elle qui, étrangère aux lieux et seule,n’osait profiter de sa liberté. Le véhicule objet de la commande fait unetrès courte apparition dans mon souvenir. Le film est nimbé de brouillardégalement. Je me souviens d’un aspect factice, et aussi d’un souffle. Lapro<strong>du</strong>ction exécutive de ce film de 40 minutes avait été faite par unesociété hollandaise dont la faillite a bloqué les droits jusqu’à ce jour.Je pense aussi à La Matiouette d’André Téchiné, d’après le magnifiquetexte de Jacques Nolot, que celui-ci remettra en jeu dans son premierlong métrage, L’Arrière-Pays, mais je ne crois pas qu’il soit si rare queça… En tout cas pas disparu.Je pense à Young Soul Rebel, réalisé par Isaac Julien, vu au cinéma en1990, dont la bande-son m’accompagne encore. Une magnifique bandesoul funk. Un film d’une grande justesse sur une génération anglaiseen prise avec la réalité <strong>du</strong> conservatisme, mais en même temps prêteà éclore. Jamais plus enten<strong>du</strong> parler <strong>du</strong> film jusqu’à ce que, en visitechez un ami pro<strong>du</strong>cteur, je ne découvre des post-it marqués <strong>du</strong> logotitre <strong>du</strong> film. Un reste d’une impression promotionnelle réalisée 20auparavant… Ecrire ce texte me fait me rendre compte qu’Isaac Juliena bien enten<strong>du</strong> continué de travailler, et qu’il a notamment réalisé unfilm sur Frantz Fanon… Il faut que je redécouvre cet auteur !Et il y a bien sûr Lettre à la prison, le film de Marc Scialom, tourné avecses économies il y a 40 ans, puis abandonné, faute de moyens, fautede soutien, faute de tout. L’association qui héberge Shellac à Marseille,Film Flamme, dont fait partie alors la fille de Marc, Chloé Scialom,exhume à l’occasion d’un déménagement les bobines d’un coffre oubliésous un lit, par dépit. Projection, stupéfaction, il y a une œuvre, et quiplus est marquée aujourd’hui par le temps car le positif découvert, seulélément restant <strong>du</strong> film, est un positif de travail qui a servi à monterle film à l’époque. Film flamme saura trouver les moyens financiers ethumains pour restaurer le film à la cinémathèque de Bologne. Nousnous associons à eux pour faire connaître l’existence <strong>du</strong> film en le distribuantdans les salles de cinéma : au beau milieu des autres films de cettesemaine-là, un oublié, endormi, revenu d’une parenthèse de plusieursdécennies nous envoie sa modernité, et une vérité inchangée sur l’exil,le sentiment d’étrangeté.Les Invisibles

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