| <strong>Manuel</strong> européen <strong>sur</strong> <strong>les</strong> données <strong>relatives</strong> à l’égalitéQuoi qu'il en soit, toute collecte de donnée doit veillerprioritairement à minimiser le risque d’un usage abusifdes données, notamment par un strict respect des loiset principes relatifs à la protection de la vie privée et desdonnées à caractère personnel. Cela étant dit, l'Europene doit pas laisser <strong>les</strong> abus passés l'empêcher de combattre<strong>les</strong> abus actuels.«Nos différences ne devraient pas nous importer. La collectede données renforce <strong>les</strong> différences et <strong>les</strong> stéréotypes»L'une des préoccupations fréquentes en la matière porte<strong>sur</strong> une question de principe: si nous nous battons pourune société qui juge <strong>les</strong> gens <strong>sur</strong> leurs mérites individuelset non <strong>sur</strong> leur origine ethnique, leur religion ou une quelconqueautre caractéristique, ne devrions-nous pas rejetertoute pratique qui utilise, et donc renforce, <strong>les</strong> différences?Ne devrions-nous pas nous opposer au traitement de donnéespersonnel<strong>les</strong> sensib<strong>les</strong> au lieu de l'approuver?Cette conception se justifie habituellement par référenceau même objectif qui justifie la collecte de données:l'égalité et la lutte contre la discrimination. Ses originesremontent aussi aux expériences négatives passées,quand différence de traitement rimait toujours avec traitementdéfavorable. C'est pourquoi l'éradication detoutes <strong>les</strong> formes de traitements différents a été considéréecomme objectif prioritaire. Aujourd'hui, cetteconception de l'égalité est toutefois dépassée. La législationde lutte contre <strong>les</strong> discriminations moderne,comme l'expriment notamment <strong>les</strong> directives de l'UE<strong>relatives</strong> à l'égalité de traitement, va au-delà de cetteconception en affirmant que <strong>les</strong> différences humainesdoivent parfois être reconnues et prises en compte. Leconcept de discrimination indirecte, l'obligation de prévoirdes aménagements raisonnab<strong>les</strong> pour <strong>les</strong> personneshandicapées, et l'adoption de me<strong>sur</strong>es d'actionpositive en faveur de certains groupes souffrant de désavantagesactuels ou passés, sont <strong>les</strong> exemp<strong>les</strong> <strong>les</strong> plusévidents de situations où l'égalité de traitement ne signifiepas traitement identique mais requiert une actiontenant compte des différences humaines. De plus, celan'a pas de sens de traiter toutes <strong>les</strong> personnes commes’il n’y avait pas, entre el<strong>les</strong>, de différences <strong>sur</strong> le plan del'origine ethnique, de l'âge, de la religion, de l'orientationsexuelle ou du handicap. Cela n'a pas de sens parce quede tel<strong>les</strong> différences existent bien évidemment etqu'el<strong>les</strong> sont souvent à l'origine d'un traitement défavorable.Pour pouvoir enquêter <strong>sur</strong> <strong>les</strong> discriminations etensuite prendre des me<strong>sur</strong>es destinées à <strong>les</strong> contrer, ilfaut établir certaines distinctions. Cet argument a étédéveloppé par le philosophe du droit Ronald Dworkindans le contexte de la discrimination raciale ( 57 ):À juste titre, nous nous méfions tous des classificationsracia<strong>les</strong>, qui ont été utilisées pour refuser, et nonpour respecter, le droit à l'égalité. Nous sommes tousconscients de l'injustice qui en résulte. Toutefois, sinous nous méprenons <strong>sur</strong> la nature de cette injusticeparce que nous ne faisons pas <strong>les</strong> simp<strong>les</strong> distinctionsnécessaires pour la comprendre, nous risquons d'aggraverencore cette injustice.D'aucuns prétendent parfois que la collecte de donnéesa pour effet de renforcer <strong>les</strong> stéréotypes. En réalité,c'est tout le contraire qui se passe. Les données statistiquespeuvent contribuer à balayer <strong>les</strong> préjugés et <strong>les</strong>stéréotypes profondément enracinés, <strong>les</strong> mythes et <strong>les</strong>croyances sans fondement concernant <strong>les</strong> groupesconcernés, <strong>sur</strong>tout si l'on évite <strong>les</strong> généralisations superfluesau moment de faire état des résultats de la collectede données. En l'absence des données nécessaires, cesquestions seront ouvertes à la controverse, une situationdont certaines personnes profitent pour répandredes préjugés et de fausses croyances.«La collecte de données entraîne des charges financières excessives»Bien que la mise en œuvre de me<strong>sur</strong>es ponctuel<strong>les</strong> decollecte de données ne soit pas nécessairement coûteuse,le développement et l'exploitation d'un systèmede collecte de données efficace et complet peut demanderun financement substantiel. Il faut cependant savoirque le fait de ne pas recueillir de données entraîne aussides coûts, tant matériels qu'immatériels. Ces donnéessont essentiel<strong>les</strong> pour prévenir, établir et combattre ladiscrimination. La persistance de pratiques discriminatoiresest coûteuse non seulement pour <strong>les</strong> personnesvisées, qui sont matériellement défavorisées et susceptib<strong>les</strong>d'engager des procédures judiciaires pouvant leurcoûter cher, mais aussi pour la société dans son ensemble.La discrimination mine l'objectif de réalisation desociétés fondées <strong>sur</strong> la cohésion et la sécurité, entraîneun gaspillage de ressources humaines et finit même paraccroître <strong>les</strong> dépenses de sécurité sociale. Ainsi, selondes estimations réalisées au Royaume-Uni, le faibleniveau d'emploi des travailleurs âgés, conséquence à lafois de facteurs structurels et d'une flagrante discriminationfondée <strong>sur</strong> l'âge, coûte chaque année à l'économiede ce pays entre 19 et 31 milliards de GBP en pertesde production et de taxes ainsi qu'en <strong>sur</strong>croît de paiementsde sécurité sociale ( 58 ).( 57 ) Dworkin, Ronald, Taking Rights Seriously (Cambridge, Harvard University Press, 1978), p. 238.( 58 ) National Audit Office, Welfare to Work: Tackling the Barriers to the Employment of Older People, septembre 2004.http://www.nao.org.uk/publications/nao_reports/03-04/03041026.pdf28 |
1 | Principes essentiels des données <strong>sur</strong> l’égalitéPuisque l'information a tendance à entraîner l'action, i<strong>les</strong>t très probable que la production de statistiques <strong>sur</strong>l'égalité génère des bénéfices économiques – sans parlerdes autres types de bénéfices – de loin supérieursaux coûts de mise en œuvre de systèmes statistiques.1.5. | Sources de données:panorama et évaluationPlusieurs types de sources de données, basés <strong>sur</strong> différentsmécanismes de collecte de données, peuvent êtreutilisés pour la compilation de statistiques <strong>sur</strong> l'égalité. Ilconvient de faire la distinction entre <strong>les</strong> sources de donnéeset <strong>les</strong> méthodes qui permettent l'analyse de cesdonnées. Tout ensemble de données peut être analyséau moyen de diverses méthodes. Par exemple, <strong>les</strong> donnéesdes systèmes judiciaires peuvent être une sourcepour l'élaboration de statistiques quantitatives annuel<strong>les</strong><strong>sur</strong> la criminalité déclarée mais également pour l'analysequalitative de cette criminalité. Toute étude peut sebaser soit <strong>sur</strong> des données existant auparavant (auquelcas il s’agira d’une collecte secondaire de données), soit<strong>sur</strong> des données recueillies spécialement pour l'étude enquestion (collecte primaire de données).Trois grands processus permettent la collecte de données:• Enquêtes. Les données d'enquête sont recueilliesau moyen de questionnaires et d'entretiens, puiscompilées pour former des statistiques et/ou pourpermettre la réalisation de recherches qualitatives ouquantitatives. Les recensements, enquêtes auprèsdes ménages et enquêtes auprès des victimes sontdes exemp<strong>les</strong> d'enquêtes.• Procédures administratives. Les données sontrecueillies dans l'exercice de nombreuses fonctionsas<strong>sur</strong>ées par l'administration. Par exemple, dèsqu'une personne introduit une demande de prestationsociale, s'inscrit auprès d’un service de placement oudans un établissement d'enseignement, communiqueun changement d'adresse aux autorités ou porteplainte à la police pour un fait criminel, <strong>les</strong> donnéesconcernant ces actes sont en général recueillies etenregistrées dans <strong>les</strong> fichiers tenus par l'autoritéconcernée. L'analyse de ces fichiers au moyen deméthodes statistiques peut révéler des irrégularitéséventuellement dues à une discrimination.• Observation. L'observation peut, en théorie, apporterde précieuses données, mais souvent diffici<strong>les</strong> àobtenir en pratique. La discrimination, phénomènerépandu mais souvent subtil, n'est généralement paspratiquée de façon ouverte. Par conséquent, sonobservation directe ne constitue pas une méthodepratique pour recueillir des données <strong>sur</strong> ce phénomène,sauf dans <strong>les</strong> deux situations suivantes:– la discrimination peut être observée au moyend'expériences contrôlées tel<strong>les</strong> que <strong>les</strong> tests desituation;– <strong>les</strong> agences chargées du respect de la loi ou <strong>les</strong>chercheurs, entre autres, peuvent conduire desenquêtes <strong>sur</strong> place pour observer la compositionethnique d'un lieu de travail ou d'une école, parexemple, dans le but de révéler une éventuelle <strong>sur</strong>représentationou sous-représentation ( 59 ).Il existe plusieurs manières (différentes sources, différentesméthodes d'analyse) de produire des données <strong>sur</strong>l'égalité. L'utilité que présente chacune de ces manièresaux fins de contribuer à la construction d'un socle nationalde connaissances <strong>sur</strong> la discrimination peut être évaluéeen fonction des quatre facteurs suivants:• Fiabilité. Une me<strong>sur</strong>e de la discrimination est fiablepour autant que la procédure utilisée pour l'obtenirdonne <strong>les</strong> mêmes résultats au terme d'essais répétés.Aucune me<strong>sur</strong>e n'étant totalement fiable, la fiabilitéest toujours une question de degré.• Validité. Une me<strong>sur</strong>e de la discrimination est validepour autant qu'elle me<strong>sur</strong>e réellement la discriminationet rien d'autre. Aucune me<strong>sur</strong>e n'est parfaitementvalide mais certaines me<strong>sur</strong>es sont plusvalides que d'autres.• Champ d'application. Certaines procédures sontapplicab<strong>les</strong> à plus grande échelle pour me<strong>sur</strong>erdivers types de discrimination (discrimination directeou indirecte, harcèlement), de la discrimination dansdivers domaines de la vie et de la discrimination fondée<strong>sur</strong> différents motifs.• Coût-efficacité. En pratique, une procédure utile doitêtre viable aussi du point de vue de ses implicationsfinancières.Nous allons à présent présenter et évaluer <strong>les</strong> principa<strong>les</strong>sources de données <strong>sur</strong> l'égalité, notamment à la( 59 ) Pour quelques exemp<strong>les</strong> de tel<strong>les</strong> situations, voir Makkonen, Timo, Mea<strong>sur</strong>ing Discrimination: Data Collection and EU Equality Law, Réseau européen desexperts indépendants en matière de non-discrimination (Luxembourg, Office des publications officiel<strong>les</strong> des Communautés européennes, 2007).| 29