Sans vigilance - Global Witness
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7. La Deutsche Bank et le Turkménistan : relations d’affaires avec un<br />
individu qui transgresse les droits de l’homme<br />
Ce chapitre est consacré au Turkménistan, et aux relations entre la Deutsche Bank et le<br />
dictateur turkmène et Président à vie, Saparmourad Niazov, décédé en décembre 2006. Ce<br />
récit soulève une question malheureusement ignorée de la réglementation bancaire à l’heure<br />
actuelle : comment les banques doivent-elles traiter un gouvernement théoriquement<br />
souverain alors qu’en réalité, il est contrôlé par un seul individu qui exploite les pouvoirs et<br />
les fonds publics pour opprimer son propre peuple ? Il soulève également la question de<br />
savoir quelles informations sur les comptes publics devraient faire partie du domaine public.<br />
Lors de ses travaux d’enquête sur la destination de la fortune colossale du Turkménistan en<br />
gaz naturel, <strong>Global</strong> <strong>Witness</strong> s’est étonnée de découvrir que la Deutsche Bank tenait des<br />
comptes de la Banque centrale turkmène qui semblaient placés sous le contrôle effectif du<br />
défunt Président, Saparmourad Niazov.<br />
Sous la domination exercée pendant quinze ans par Niazov, qui s’est achevée à sa mort en<br />
décembre 2006, le Turkménistan est devenu l’un des régimes les plus répressifs, les plus<br />
corrompus et les plus secrets du monde.<br />
Niazov a accédé au pouvoir en 1991. La Deutsche Bank tenait dans ses caisses des fonds<br />
publics turkmènes depuis 1995, selon un ancien gouverneur de la Banque centrale turkmène<br />
interviewé par <strong>Global</strong> <strong>Witness</strong>. 262 Pour le Financial Times, la Deutsche Bank tenait des<br />
comptes turkmènes depuis le début des années 1990. 263<br />
Cela signifie donc que la Deutsche Bank, pendant la majorité du règne de Niazov, proposait<br />
ses services à ce régime. Cette relation n’était aucunement passive : Niazov s’est en effet<br />
rendu en Allemagne en 1997, où il a notamment rencontré des hauts représentants de la<br />
Deutsche Bank. 264 Dès 1998, voire avant, la Deutsche Bank s’était dotée d’un bureau dans la<br />
capitale turkmène, Achgabat. 265 En 2000, un membre du conseil d’administration de la<br />
Deutsche Bank, Tessen von Heydebreck, s’était rendu à Achgabat pour rencontrer Niazov. 266<br />
Le régime de Niazov gérait la richesse en ressources naturelles du pays dans le plus grand<br />
secret, et a par ailleurs commis d’épouvantables atteintes aux droits de l’homme – citons<br />
notamment de nombreux actes de torture systématique ainsi qu’une censure totale des médias.<br />
Amnesty International a décrit à de nombreuses reprises la manière dont le régime de Niazov<br />
« réprimait impitoyablement toute forme de désaccord pacifique. Les dissidents étaient<br />
torturés et emprisonnés à l’issue d’un procès dénué d’équité ou condamnés à l’exil. Les<br />
individus perdaient leur emploi et leur droit de se rendre à l’étranger pour avoir compté dans<br />
leur famille un dissident, et les autorités ciblaient les défenseurs des droits de l’homme,<br />
qualifiant leurs activités de ‘trahison’ et d’‘espionnage’ ». Amnesty a rendu compte du cas<br />
d’Ogulsapar Muradova, militante en faveur des droits de l’homme qui a été arrêtée en juin<br />
2006 et condamnée en août à six ans de prison à l’issue d’un procès arbitraire ; elle est morte<br />
dans des circonstances suspectes peu de temps après. 267<br />
Tous les ans depuis le milieu des années 1990, Freedom House, une organisation non<br />
gouvernementale américaine, octroie au Turkménistan la note la plus basse en matière de<br />
droits politiques et de libertés civiles. Cette mauvaise note est attribuée aux pays « dans<br />
lesquels le contrôle exercé par l’État sur la vie quotidienne est vaste et omniprésent, les<br />
organisations indépendantes et l’opposition politique sont interdites ou réprimées, et la peur<br />
des représailles en cas de réflexion et d’action indépendantes fait partie du quotidien ». Le<br />
rapport publié en 2007, qui donnait le classement des pays pour l’année 2006, la dernière<br />
année du régime de Niazov, a classé le Turkménistan aux côtés de la Birmanie, de Cuba, de la<br />
Libye, de la Corée du Nord, de la Somalie, du Soudan et de l’Ouzbékistan. 268<br />
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