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Profil de la politique linguistique éducative Vallée d'Aoste Rapport ...

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lorsqu’il s’agit <strong>de</strong> pério<strong>de</strong>s historiques marquées par <strong>de</strong> très gran<strong>de</strong>s inégalités sociales, une très<br />

faible alphabétisation, une circu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s communications et <strong>de</strong> <strong>la</strong> culture pratiquement inexistantes<br />

ainsi que par une économie “fermée”. Au-<strong>de</strong>là du poids et <strong>de</strong> l’attraction exercée par le français sur<br />

toute <strong>la</strong> culture “<strong>la</strong>ïque” médiévale européenne, 21 l’adoption en <strong>Vallée</strong> d’Aoste <strong>de</strong> cette <strong>la</strong>ngue comme<br />

variété véhicu<strong>la</strong>ire “haute” pour <strong>la</strong> communication écrite (et probablement même orale, dans <strong>de</strong>s<br />

contextes déterminés) à vaste échelle commença probablement déjà à partir du XIV e siècle, même si<br />

ce<strong>la</strong> s’est fait selon <strong>de</strong>s dynamiques caractérisés par une diffusion par le haut (c'est-à-dire, en<br />

casca<strong>de</strong> : les ducs <strong>de</strong> Savoie, <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse sociale <strong>de</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> noblesse féodale représentée dans <strong>la</strong><br />

<strong>Vallée</strong> par les familles nobles <strong>de</strong>s Chal<strong>la</strong>nt et <strong>de</strong>s Val<strong>la</strong>ise ; puis progressivement les ramifications <strong>de</strong>s<br />

c<strong>la</strong>sses nobles inférieures ; cf. Schüle 1990, pp. 11-12), ce phénomène étant motivé par le maintien<br />

<strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions <strong>politique</strong>s entre les pouvoirs féodaux supra-locaux et locaux. Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> <strong>la</strong> présence <strong>de</strong>s<br />

textes français dans les inventaires <strong>de</strong>s bibliothèques monastiques et <strong>la</strong>ïques du XIV e et XV e siècle,<br />

au sujet <strong>de</strong>squels il est difficile d’évaluer <strong>la</strong> différence entre <strong>la</strong> situation valdôtaine et celle <strong>de</strong>s autres<br />

bibliothèques seigneuriales <strong>de</strong> l’Italie septentrionale, on peut du moins remarquer cette pénétration à<br />

travers les inscriptions murales en français retrouvées dans les châteaux <strong>de</strong> Quart (XIII e siècle) et <strong>de</strong><br />

Fénis (XV e siècle). En <strong>la</strong> même <strong>la</strong>ngue, enfin, sont aussi les premières œuvres d’écrivains valdôtains,<br />

comme les Chroniques <strong>de</strong> <strong>la</strong> Maison <strong>de</strong> Chal<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> Pierre du Bois (1460) et l’anonyme Mystère <strong>de</strong><br />

Saint-Bernard (voir Marazzini 1992, p. 12, même en ce qui concerne les réserves faites sur <strong>la</strong> réelle<br />

origine du Mystère), attestant l’option en direction francophone <strong>de</strong> <strong>la</strong> zone.<br />

À partir <strong>de</strong> <strong>la</strong> fin du XV e siècle, le français commence à être présent même dans les actes<br />

administratifs locaux (tels que <strong>la</strong> comptabilité du château d’Issogne cité par Schüle 1999, pp. 15-16),<br />

jusqu’à substituer au fur et à mesure le <strong>la</strong>tin après l’édit <strong>de</strong> 1561, qui semble offrir une impulsion<br />

décisive à l’affirmation <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue <strong>de</strong> France ; celle-ci à partir <strong>de</strong> 1578 <strong>de</strong>vient <strong>la</strong>ngue obligatoire et<br />

exclusive, dans les édits concernant <strong>la</strong> <strong>Vallée</strong>, même pour le gouvernement <strong>de</strong> Turin. 22 Pendant <strong>la</strong><br />

même pério<strong>de</strong>, c’est au tour du clergé valdôtain <strong>de</strong> décréter l’utilisation du français lors <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

prédication ; en 1604, l’institution du Collège Saint-Benin introduit un nouveau type <strong>de</strong> formation,<br />

<strong>de</strong>stinée aux représentants <strong>de</strong>s c<strong>la</strong>sses sociales supérieures, prévoyant l’enseignement du français<br />

(Favre 2002, p. 144).<br />

La diffusion du français vers <strong>de</strong>s couches plus vastes <strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion survient par contre un<br />

siècle après et elle est reliée à l’institution, vers <strong>la</strong> fin du XVII e siècle, <strong>de</strong>s Écoles <strong>de</strong> hameau (<strong>la</strong><br />

première étant probablement celle <strong>de</strong> Fontainemore, en 1678 ; cf. Shule 1999, p. 13), où le français<br />

était utilisé comme instrument d’alphabétisation primaire généralisé en lien étroit avec l’éducation<br />

chrétienne. C’est uniquement à partir <strong>de</strong> cette époque, et en rapport direct avec <strong>la</strong> pensée <strong>politique</strong><br />

exposée par Albert Bailly évêque d’Aoste (1605-1691) dans son L’état intramontain (considérée<br />

l’oeuvre fondatrice du particu<strong>la</strong>risme valdôtain), que le français se lie <strong>de</strong> façon stable avec l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> <strong>Vallée</strong> et en même temps abandonne le créneau diastratique élitaire dans lequel il se trouvait<br />

confiné jusqu’alors (du moins au niveau <strong>de</strong> compétence active) et entre progressivement à faire<br />

partie, en tant que variété “haute” (<strong>la</strong>ngue <strong>de</strong> l’administration, <strong>la</strong>ngue <strong>de</strong> l’église, <strong>la</strong>ngue <strong>de</strong> <strong>la</strong> culture<br />

et <strong>de</strong> <strong>la</strong> littérature, <strong>la</strong>ngue <strong>de</strong> communication orale quotidienne dans les familles <strong>de</strong>s c<strong>la</strong>sses sociales<br />

les plus élevées ; ensuite, <strong>la</strong>ngue <strong>de</strong> <strong>la</strong> presse écrite et du journalisme), du répertoire <strong>de</strong>s valdôtains<br />

sco<strong>la</strong>risés. 23<br />

La pério<strong>de</strong> 1860-1861, correspondant à <strong>la</strong> cession complète <strong>de</strong> <strong>la</strong> Savoie à <strong>la</strong> France et à<br />

l’Unification <strong>de</strong> l’Italie, est habituellement considérée <strong>la</strong> date charnière marquant le début du<br />

processus qui détermina rapi<strong>de</strong>ment le changement du panorama <strong>linguistique</strong> valdôtain. Un<br />

changement qui a lieu, bien entendu, dans le cadre d’une confrontation entre le français et l’italien et à<br />

travers les dynamiques <strong>de</strong> compétition <strong>linguistique</strong>, enclenchées par le changement <strong>de</strong> situation<br />

21 Il suffit <strong>de</strong> penser, pour l’Italie, aux personnages <strong>de</strong>s toscans Brunetto Latini et Rustichello <strong>de</strong> Pisa qui écrivirent en<br />

français, ainsi qu’à toute <strong>la</strong> culture franco-vénitienne du XIV e siècle, ou enfin à <strong>la</strong> circu<strong>la</strong>tion italienne très documentée <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

littérature épique et romanesque et <strong>de</strong>s modèles humains et culturels qu’elle véhicu<strong>la</strong>it.<br />

22 Ce sont les Lettres Patentes <strong>de</strong> 1578 à établir que les édits du duché re<strong>la</strong>tifs à <strong>la</strong> <strong>Vallée</strong> d’Aoste <strong>de</strong>vaient être<br />

publiés en français et non pas en italien (cf. Marazzini 1992, p. 16). L’introduction du français administratif détermine, parmi<br />

d’autres, l’adaptation <strong>de</strong>s nombreux toponymes et anthroponymes familiers valdôtains selon <strong>de</strong>s règles <strong>de</strong> correspondance<br />

sémantique et phonétique qui déterminent progressivement le passage <strong>de</strong>s formes francoprovençales d’origine (Cormeyàou,<br />

San Cretoublo, Tsenéy, Tsevré, Tsachàou) aux noms correspondants français (Courmayeur, Saint-Christophe, Cheney,<br />

Chevrier, Chasseur), officialisés ensuite dans <strong>la</strong> toponymie et dans le registre <strong>de</strong> l’État civil.<br />

23 Parmi les écrivains valdôtains <strong>de</strong> l’époque mo<strong>de</strong>rne, nous pouvons citer Jean-Baptiste <strong>de</strong> Tillier (1678-1744), père<br />

<strong>de</strong> l’historiographie valdôtaine, et Joseph-Auguste Duc (1835-1922), auteur <strong>de</strong> l’Histoire <strong>de</strong> l’Eglise d’Aoste. Le premier journal<br />

valdôtain est La Feuille d’Annonces d’Aoste, publié à partir <strong>de</strong> 1841.<br />

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