Le charme inédit du passage cité consiste dans la tension entre <strong>le</strong> lyrisme de lamélodie et <strong>le</strong> rythme, mécanique et en même temps bizarrement irrégulier; si ce rythmen’est pas observé exactement, avec une précision d’horloge, si on <strong>le</strong> rubatise, si à la finde chaque phrase on prolonge la dernière note (ce que fait Bernstein), la tensiondisparaît et <strong>le</strong> passage se banalise.Je pense aux sarcasmes d’Ansermet. Je préfère cent fois l’interprétation précisede Stravinski, même s’il « serre son pupitre contre <strong>le</strong> podium de peur de tomber etcompte <strong>le</strong>s temps ».Dans sa monographie de Janacek, Jaroslav Vogel, lui-même chef d’orchestre,s’arrête sur <strong>le</strong>s retouches qu’a apportées Kovarovic à la partition de Jenufa. Il <strong>le</strong>sapprouve et <strong>le</strong>s défend. Attitude étonnante; car même si <strong>le</strong>s retouches de Kovarovicétaient efficaces, bonnes, raisonnab<strong>le</strong>s, el<strong>le</strong>s sont inacceptab<strong>le</strong>s par principe, et l’idéemême de faire l’arbitrage entre la version d’un créateur et cel<strong>le</strong> de son correcteur(censeur, adaptateur) est perverse. Sans aucun doute, on pourrait écrire mieux tel<strong>le</strong> outel<strong>le</strong> phrase d’A la recherche du temps perdu. Mais où trouver ce fou qui voudrait lire unProust amélioré ?En plus, <strong>le</strong>s retouches de Kovarovic sont tout sauf bonnes ou raisonnab<strong>le</strong>s.Comme preuve de <strong>le</strong>ur justesse, Vogel cite la dernière scène où après la découverte deson enfant assassiné, après l’arrestation de sa marâtre, Jenufa se trouve seu<strong>le</strong> avecLaca. Jaloux de Steva, Laca avait autrefois, par vengeance, balafré <strong>le</strong> visage deJenufa; maintenant, Jenufa lui pardonne : c’est par amour qu’il l’avait b<strong>le</strong>ssée; de mêmequ’el<strong>le</strong> aussi avait péché par amour :Ce « comme moi autrefois », allusion à son amour pour Steva, est dit trèsrapidement, comme un petit cri, sur <strong>le</strong>s notes aiguës qui montent et s’interrompent;comme si Jenufa évoquait quelque chose qu’el<strong>le</strong> voudrait oublier immédiatement.Kovarovic élargit la mélodie de ce passage (il « la fait s’épanouir », comme <strong>le</strong> dit Vogel)en la transformant ainsi :
N’est-ce pas, dit Vogel, que <strong>le</strong> chant de Jenufa devient plus beau sous la plumede Kovarovic ? N’est-ce pas qu’en même temps <strong>le</strong> chant reste tout à fait janacékien ?Oui, si on voulait pasticher Janacek, on ne pourrait faire mieux. N’empêche que lamélodie ajoutée est une absurdité. Tandis que chez Janacek Jenufa rappel<strong>le</strong>rapidement, avec une horreur retenue, son « péché », chez Kovarovic el<strong>le</strong> s’attendrit àce souvenir, el<strong>le</strong> s’attarde sur lui, el<strong>le</strong> en est émue (son chant prolonge <strong>le</strong>s mots :amour, moi et autrefois). Ainsi, face à Laca, el<strong>le</strong> chante la nostalgie de Steva, rival deLaca, el<strong>le</strong> chante l’amour pour Steva qui est la cause de tout son malheur ! CommentVogel, partisan passionné de Janacek, a-t-il pu défendre un tel non-senspsychologique ? Comment a-t-il pu <strong>le</strong> sanctionner en sachant que la révolte esthétiquede Janacek a sa racine précisément dans <strong>le</strong> refus de l’irréalisme psychologique courantdans la pratique de l’opéra ? Comment est-il possib<strong>le</strong> d’aimer quelqu’un et en mêmetemps à tel point de <strong>le</strong> mécomprendre ?Pourtant, et là Vogel a raison : ce sont <strong>le</strong>s retouches de Kovarovic qui, rendantl’opéra un peu plus conventionnel, ont participé à son succès. « Laissez-nous un peuvous déformer, Maître, et on vous aimera. » Mais vient <strong>le</strong> moment où <strong>le</strong> Maître refused’être aimé à ce prix et préfère être détesté et compris.Quels sont <strong>le</strong>s moyens que possède un auteur pour se faire comprendre tel qu’i<strong>le</strong>st ? Pas très nombreux, pour Hermann Broch dans <strong>le</strong>s années trente et dansl’Autriche coupée de l’Al<strong>le</strong>magne devenue fasciste, ni plus tard, dans la solitude de sonémigration : quelques conférences, où il exposait son esthétique du roman; puis, des<strong>le</strong>ttres aux amis, à ses <strong>le</strong>cteurs, aux éditeurs, aux traducteurs; il n’a rien négligé étant,par exemp<strong>le</strong>, extrêmement soucieux des petits textes publiés sur la jaquette de ses<strong>livre</strong>s. Dans une <strong>le</strong>ttre à son éditeur, il proteste contre la proposition de quatrième pagede couverture pour Les Somnambu<strong>le</strong>s qui met son roman en comparaison avec Hugovon Hofmannsthal et Italo Svevo. Il avance une contre-proposition : <strong>le</strong> mettre enparallè<strong>le</strong> avec Joyce et Gide.Arrêtons-nous sur cette proposition : quel<strong>le</strong> est, en fait, la différence entre <strong>le</strong>contexte Broch-Svevo-Hofmannsthal et <strong>le</strong> contexte Broch-Joyce-Gide ? Le premiercontexte est littéraire dans <strong>le</strong> sens large et vague du mot; <strong>le</strong> second est spécifiquementromanesque (c’est du Gide des Faux-Monnayeurs que Broch se réclame). Le premiercontexte est un petit contexte, c’est-à-dire local, centre-européen. Le deuxième est ungrand contexte, c’est-à-dire international, mondial. En se plaçant à côté de Joyce et deGide, Broch insiste pour que son roman soit perçu dans <strong>le</strong> contexte du romaneuropéen; il se rend compte que Les Somnambu<strong>le</strong>s, de même qu’Ulysse ou Les Faux-Monnayeurs, est une œuvre qui révolutionne la forme romanesque, qui crée une autreesthétique du roman, et que cel<strong>le</strong>-ci ne peut être comprise que sur la toi<strong>le</strong> de fond del’histoire du roman en tant que tel.
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