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Lire le livre - Bibliothèque

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omanciers anciens : ils par<strong>le</strong>nt de ce qu’ils trouvent fascinant et ils s’arrêtent quand lafascination s’arrête. Leur liberté de composition m’a fait rêver : écrire sans fabriquer unsuspense, sans construire une histoire et simu<strong>le</strong>r sa vraisemblance, écrire sans décrireune époque, un milieu, une vil<strong>le</strong>; abandonner tout cela et n’être au contact que del’essentiel; ce qui veut dire : créer une composition où des ponts et des remplissagesn’auraient aucune raison d’être et où <strong>le</strong> romancier ne serait pas obligé, pour satisfaire laforme et ses diktats, de s’éloigner, même d’une seu<strong>le</strong> ligne, de ce qui lui tient à cœur,de ce qui <strong>le</strong> fascine.L’art moderne : une révolte contre l’imitation de la réalité au nom des loisautonomes de l’art. L’une des premières exigences pratiques de cette autonomie : quetous <strong>le</strong>s moments, toutes <strong>le</strong>s parcel<strong>le</strong>s d’une œuvre aient une éga<strong>le</strong> importanceesthétique.L’impressionnisme : <strong>le</strong> paysage conçu comme simp<strong>le</strong> phénomène optique, desorte que l’homme qui s’y trouve n’a pas plus de va<strong>le</strong>ur qu’un buisson. Les peintrescubistes et abstraits sont allés encore plus loin en supprimant la troisième dimensionqui, inévitab<strong>le</strong>ment, scindait <strong>le</strong> tab<strong>le</strong>au en des plans d’importance différente.En musique, même tendance vers l’égalité esthétique de tous <strong>le</strong>s moments d’unecomposition : Satie, dont la simplicité n’est qu’un refus provocateur de la rhétoriquemusica<strong>le</strong> héritée. Debussy, l’enchanteur, <strong>le</strong> persécuteur des araignées savantes.Janacek supprimant toute note qui n’est pas indispensab<strong>le</strong>. Stravinski qui se détournede l’héritage du romantisme et du classicisme et cherche ses précurseurs parmi <strong>le</strong>smaîtres du premier temps de l’histoire de la musique. Webern qui revient à unmonothématisme sui generis (c’est-à-dire dodécaphonique) et atteint un dépouil<strong>le</strong>mentqu’avant lui personne ne pouvait imaginer.Et <strong>le</strong> roman : la mise en doute de la fameuse devise de Balzac « <strong>le</strong> roman doitconcurrencer l’état civil »; cette mise en doute n’a rien d’une bravade d’avant-gardistesse plaisant à exhiber <strong>le</strong>ur modernité pour qu’el<strong>le</strong> soit perceptib<strong>le</strong> aux sots; el<strong>le</strong> ne faitque rendre (discrètement) inuti<strong>le</strong> (ou quasi inuti<strong>le</strong>, facultatif, non-important) l’appareil àfabriquer l’illusion du réel. À ce propos cette petite observation :Si un personnage doit concurrencer l’état civil, il faut qu’il ait d’abord un vrai nom.De Balzac à Proust, un personnage sans nom est impensab<strong>le</strong>. Mais <strong>le</strong> Jacques deDiderot n’a aucun patronyme et son maître n’a ni nom ni prénom. Panurge, est-ce unnom ou un prénom ? Les prénoms sans patronymes, <strong>le</strong>s patronymes sans prénoms nesont plus des noms mais des signes. Le protagoniste du Procès n’est pas un JosephKaufmann ou Krammer ou Kohi, mais Joseph K. Celui du Château perdra jusqu’à sonprénom pour se contenter d’une seu<strong>le</strong> <strong>le</strong>ttre. Les Schuldlosen de Broch : un desprotagonistes est désigné par la <strong>le</strong>ttre A. Dans Les Somnambu<strong>le</strong>s, Esch et Huguenaun’ont pas de prénoms. Le protagoniste de L’Homme sans qualités, Ulrich, n’a pas depatronyme. Dès mes premières nouvel<strong>le</strong>s, instinctivement, j’ai évité de donner desnoms aux personnages. Dans La vie est ail<strong>le</strong>urs, <strong>le</strong> héros n’a qu’un prénom, sa mèren’est désignée que par <strong>le</strong> mot « maman », sa petite amie comme « la rousse » etl’amant de cel<strong>le</strong>-ci comme « <strong>le</strong> quadragénaire ». Était-ce du maniérisme ? J’agissaisalors dans une tota<strong>le</strong> spontanéité dont plus tard seu<strong>le</strong>ment j’ai compris <strong>le</strong> sens :j’obéissais à l’esthétique du troisième temps : je ne voulais pas faire croire que mespersonnages sont réels et possèdent un <strong>livre</strong>t de famil<strong>le</strong>.

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