mora<strong>le</strong>). L’homme, égocentrique (rien ne permet de qualifier l’homme d’égocentrique),tota<strong>le</strong>ment imperméab<strong>le</strong> aux sentiments de la femme (rien ne permet de <strong>le</strong> dire), essaiede la pousser à avorter pour qu’ils puissent être exactement comme ils étaient avant.[…] La femme, pour qui l’avortement est tota<strong>le</strong>ment contre nature, a très peur de tuerl’enfant (el<strong>le</strong> ne peut tuer l’enfant étant donné que celui-ci n’est pas ne) et de se faire dumal. Tout ce que dit l’homme est faux (non : tout ce que dit l’homme ce sont de bana<strong>le</strong>sparo<strong>le</strong>s de consolation, <strong>le</strong>s seu<strong>le</strong>s possib<strong>le</strong>s dans une tel<strong>le</strong> situation); tout ce que dit lafemme est ironique (il y a beaucoup d’autres possibilités pour expliquer <strong>le</strong>s propos de lajeune fil<strong>le</strong>). Il l’oblige à consentir à cette opération (“je ne voudrais pas que tu <strong>le</strong> fassessi tu ne veux pas”, dit-il à deux reprises et rien ne prouve qu’il n’est pas sincère) afinqu’el<strong>le</strong> reconquière son amour (rien ne prouve ni qu’el<strong>le</strong> a eu l’amour de cet homme niqu’el<strong>le</strong> l’a perdu), mais <strong>le</strong> fait même qu’il puisse lui demander une tel<strong>le</strong> chose impliquequ’el<strong>le</strong> ne pourra plus jamais l’aimer (rien ne permet de dire ce qui va se passer aprèsla scène à la gare). El<strong>le</strong> accepte cette forme d’autodestruction (la destruction du fœtuset la destruction de la femme ce n’est pas la même chose) après avoir atteint, commel’homme dans un souterrain peint par Dostoïevski ou <strong>le</strong> Joseph K. de Kafka, un point dedédoub<strong>le</strong>ment de sa personnalité qui ne fait que refléter l’attitude de son mari : “Alors je<strong>le</strong> ferai. Parce que moi, ça m’est égal.” (Refléter l’attitude de quelqu’un d’autre n’est pasun dédoub<strong>le</strong>ment, sinon tous <strong>le</strong>s enfants qui obéissent à <strong>le</strong>urs parents seraientdédoublés et ressemb<strong>le</strong>raient à Joseph K.; puis, l’homme dans la nouvel<strong>le</strong> n’est nul<strong>le</strong>part désigné comme mari; il ne peut d’ail<strong>le</strong>urs pas être mari puisque <strong>le</strong> personnageféminin chez Hemingway est partout girl, jeune fil<strong>le</strong>; si <strong>le</strong> professeur américain l’appel<strong>le</strong>systématiquement “woman” c’est une méprise intentionnel<strong>le</strong> : il laisse entendre que <strong>le</strong>sdeux personnages sont Hemingway lui-même et son épouse.) Puis, el<strong>le</strong> s’éloigne de luiet […] trouve un réconfort dans la nature; dans <strong>le</strong>s champs de blé, <strong>le</strong>s arbres, la rivièreet <strong>le</strong>s collines lointaines. Sa contemplation paisib<strong>le</strong> (nous ne savons rien dessentiments que la vue de la nature éveil<strong>le</strong> chez la jeune fil<strong>le</strong>; mais en aucun cas ils nesont paisib<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s mots qu’el<strong>le</strong> prononce immédiatement après étant amers), lorsqu’el<strong>le</strong>lève <strong>le</strong>s yeux vers <strong>le</strong>s collines pour chercher de l’aide, rappel<strong>le</strong> <strong>le</strong> psaume 121 (plus <strong>le</strong>sty<strong>le</strong> de Hemingway est dépouillé, plus <strong>le</strong> sty<strong>le</strong> de son commentateur est ampoulé).Mais cet état d’esprit est détruit par l’homme qui s’obstine à poursuivre la discussion(lisons attentivement la nouvel<strong>le</strong> : ce n’est pas l’Américain, c’est la jeune fil<strong>le</strong> qui, aprèsson bref éloignement, se met à par<strong>le</strong>r la première et poursuit la discussion; l’homme necherche pas une discussion, il veut seu<strong>le</strong>ment apaiser la jeune fil<strong>le</strong>) et l’amène au bordde la crise nerveuse. El<strong>le</strong> lui lance alors un appel frénétique : “Pourrais-tu faire quelquechose pour moi ? […] Akir, tais-toi. Je t’en supplie !” qui fait penser au “Jamais, jamais,jamais, jamais” du roi Lear (l’évocation de Shakespeare est vide de sens commel’étaient cel<strong>le</strong>s de Dostoïevski et de Kafka). »Résumons <strong>le</strong> résumé :1) Dans l’interprétation du professeur américain, la nouvel<strong>le</strong> est transformée enune <strong>le</strong>çon de mora<strong>le</strong> : <strong>le</strong>s personnages sont jugés selon <strong>le</strong>urs rapports à l’avortementqui est considéré a priori comme un mal : ainsi la femme (« imaginative », « émue par<strong>le</strong> paysage ») représente <strong>le</strong> naturel, <strong>le</strong> vivant, l’instinctif, la réf<strong>le</strong>xion; l’homme(« égocentrique », « terre à terre ») représente l’artificiel, <strong>le</strong> rationnel, <strong>le</strong> bavardage, <strong>le</strong>morbide (notons au passage que dans <strong>le</strong> discours moderne de la mora<strong>le</strong> <strong>le</strong> rationnel
eprésente <strong>le</strong> mal et l’instinctif représente <strong>le</strong> bien) ;2) <strong>le</strong> rapprochement avec la biographie de l’auteur (et la transformationinsidieuse de girl en woman) laisse entendre que <strong>le</strong> héros négatif et immoral estHemingway lui-même qui, par l’intermédiaire de la nouvel<strong>le</strong>, fait une sorte d’aveu; en cecas <strong>le</strong> dialogue perd tout son caractère énigmatique, <strong>le</strong>s personnages sont sansmystère et, pour qui a lu la biographie de Hemingway, parfaitement déterminés etclairs ;3) <strong>le</strong> caractère esthétique original de la nouvel<strong>le</strong> (son a-psychologisme,l’occultation intentionnel<strong>le</strong> du passé des personnages, <strong>le</strong> caractère non-dramatique,etc.) n’est pas pris en considération; pis, ce caractère esthétique est annulé ;4) à partir des données élémentaires de la nouvel<strong>le</strong> (un homme et une femmepartent pour un avortement), <strong>le</strong> professeur invente sa propre nouvel<strong>le</strong> : un hommeégocentrique est en train de forcer son épouse à se faire avorter; l’épouse méprise sonmari qu’el<strong>le</strong> ne pourra plus jamais aimer ;5) cette autre nouvel<strong>le</strong> est absolument plate et tout en clichés; pourtant,comparée successivement à Dostoïevski, à Kafka, à la Bib<strong>le</strong> et à Shakespeare (<strong>le</strong>professeur a réussi à rassemb<strong>le</strong>r dans un seul paragraphe <strong>le</strong>s plus grandes autorités detous <strong>le</strong>s temps), el<strong>le</strong> garde son statut de grande œuvre et justifie ainsi l’intérêt que,malgré l’indigence mora<strong>le</strong> de son auteur, lui porte <strong>le</strong> professeur.C’est ainsi que l’interprétation kitschifiante met des œuvres d’art à mort. Quelquequarante ans avant que <strong>le</strong> professeur américain n’ait imposé à la nouvel<strong>le</strong> cettesignification moralisatrice, on a traduit en France Collines comme des éléphants blancssous <strong>le</strong> titre Paradis perdu, un titre qui n’est pas de Hemingway (dans aucune langueau monde la nouvel<strong>le</strong> ne porte ce titre) et qui suggère la même signification (paradisperdu : innocence de l’avant-avortement, bonheur de la maternité promise, etc., etc.).L’interprétation kitschifiante, en effet, ce n’est pas la tare personnel<strong>le</strong> d’unprofesseur américain ou d’un chef d’orchestre praguois du début du sièc<strong>le</strong> (après lui,d’autres et d’autres chefs d’orchestre ont entériné ses retouches de Jenufa); c’est uneséduction venue de l’inconscient col<strong>le</strong>ctif; une injonction du souff<strong>le</strong>ur métaphysique; uneexigence socia<strong>le</strong> permanente; une force. Cette force ne vise pas seu<strong>le</strong>ment l’art, el<strong>le</strong>vise avant tout la réalité même. El<strong>le</strong> fait <strong>le</strong> contraire de ce que faisaient Flaubert,Janacek, Joyce, Hemingway. Sur l’instant présent, el<strong>le</strong> jette <strong>le</strong> voi<strong>le</strong> des lieux communsafin que disparaisse <strong>le</strong> visage du réel.Pour que tu ne saches jamais ce que tu as vécu.
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