Stade 1 : Lutte vaine pour la dignité perdue. Un homme absurdement accusé etqui ne doute pas encore de son innocence est gêné de voir qu’il se comporte commes’il était coupab<strong>le</strong>. Se comporter en coupab<strong>le</strong> et ne pas l’être a quelque chosed’humiliant, ce qu’il s’efforce de dissimu<strong>le</strong>r. Cette situation exposée dans la premièrescène du roman est condensée, au chapitre suivant, dans cette blague d’une énormeironie :Une voix inconnue téléphone à K. : il devra être interrogé <strong>le</strong> dimanche suivantdans une maison d’un faubourg. Sans hésiter, il décide d’y al<strong>le</strong>r; par obéissance ? parpeur ? oh non, l’automystification fonctionne automatiquement : il veut y al<strong>le</strong>r pour enfinir vite avec <strong>le</strong>s casse-pieds qui lui font perdre son temps avec <strong>le</strong>ur procès stupide(« <strong>le</strong> procès se nouait et il fallait lui faire face, pour que cette première séance soit aussila dernière »). Tout de suite après, son directeur l’invite chez lui pour <strong>le</strong> mêmedimanche. L’invitation est importante pour la carrière de K. Renoncera-t-il donc à laconvocation grotesque ? Non; il décline l’invitation du directeur puisque, sans vouloir sel’avouer, il est déjà subjugué par <strong>le</strong> procès.Donc, <strong>le</strong> dimanche il y va. Il se rend compte que la voix qui lui a donné l’adresseau téléphone a oublié d’indiquer l’heure. Peu importe; il se sent pressé et il court (oui,littéra<strong>le</strong>ment, il court, en al<strong>le</strong>mand : er lief) à travers toute la vil<strong>le</strong>. Il court pour arriver àtemps, bien qu’aucune heure ne lui ait été indiquée. Admettons qu’il ait des raisonsd’arriver <strong>le</strong> plus tôt possib<strong>le</strong>; mais en ce cas, au lieu de courir, pourquoi ne pas prendreun tramway qui passe d’ail<strong>le</strong>urs dans la même rue ? Voilà la raison : il refuse deprendre <strong>le</strong> tramway car « il n’avait nul<strong>le</strong> envie de s’abaisser devant la commission enfaisant preuve d’une ponctualité excessive ». Il court vers <strong>le</strong> tribunal, mais il y court entant qu’homme fier qui ne s’abaisse jamais.Stade 2 : Épreuve de force. Enfin, il arrive dans une sal<strong>le</strong> où il est attendu.« Vous êtes donc artisan peintre », dit <strong>le</strong> juge, et K., devant <strong>le</strong> public qui remplit la sal<strong>le</strong>,réagit avec brio à la ridicu<strong>le</strong> méprise : « Non, je suis premier fondé de pouvoir dans unegrande banque », et puis, dans un long discours, il fustige l’incompétence du tribunal.Encouragé par des applaudissements, il se sent fort et, selon <strong>le</strong> cliché bien connu del’accusé devenu accusateur (Wel<strong>le</strong>s, admirab<strong>le</strong>ment sourd à l’ironie kafkaïenne, s’estlaissé avoir par ce cliché), il défie ses juges. Le premier choc arrive quand il aperçoit <strong>le</strong>sinsignes sur <strong>le</strong> col de tous <strong>le</strong>s participants et comprend que <strong>le</strong> public qu’il pensaitséduire n’est composé que de « fonctionnaires du tribunal […] réunis ici pour écouter etespionner ». Il s’en va et, à la porte, <strong>le</strong> juge d’instruction l’attend pour l’avertir : « Vousvous êtes privé vous-même de l’avantage qu’un interrogatoire représente toujours pourun accusé. » K. s’exclame : « Bande de crapu<strong>le</strong>s ! Tous vos interrogatoires, je vous enfais cadeau ! »On ne comprendra rien à cette scène sans la voir dans ses rapports ironiquesavec ce qui succède immédiatement à l’exclamation révoltée de K. par laquel<strong>le</strong> finit <strong>le</strong>chapitre. Voilà <strong>le</strong>s premières phrases du chapitre suivant : « K. attendit de jour en jourla semaine suivante une nouvel<strong>le</strong> convocation; il n’arrivait pas à imaginer qu’on eût prisà la <strong>le</strong>ttre son refus d’être interrogé, et, n’ayant encore rien reçu <strong>le</strong> samedi soir, ilsupposa qu’il était tacitement convoqué pour la même heure dans <strong>le</strong> même bâtiment.C’est pourquoi il s’y rendit de nouveau <strong>le</strong> dimanche… »Stade 3 : Socialisation du procès. L’onc<strong>le</strong> de K. arrive un jour de la campagne,alarmé par <strong>le</strong> procès qu’on mène contre son neveu. Fait remarquab<strong>le</strong> : <strong>le</strong> procès est on
ne peut plus secret, clandestin, dirait-on, et pourtant tout <strong>le</strong> monde est au courant. Autrefait remarquab<strong>le</strong> : personne ne doute que K. soit coupab<strong>le</strong>. La société a déjà adoptél’accusation en y ajoutant <strong>le</strong> poids de son approbation (ou de son non-désaccord) tacite.On s’attendrait à un étonnement indigné : « Comment a-t-on pu t’accuser ? Pour quelcrime, au fait ? » Or, l’onc<strong>le</strong> ne s’étonne pas. Il est seu<strong>le</strong>ment effrayé à l’idée desconséquences que <strong>le</strong> procès aura pour toute la parenté.Stade 4 : Autocritique. Pour se défendre contre <strong>le</strong> procès qui refuse de formu<strong>le</strong>rl’accusation, K. finit par chercher lui-même la faute. Où s’est-el<strong>le</strong> cachée ?Certainement, quelque part dans son curriculum vitae. « Il lui fallait se remémorer toutesa vie, jusque dans <strong>le</strong>s actes et <strong>le</strong>s événements <strong>le</strong>s plus infimes, puis l’exposer etl’examiner sous tous <strong>le</strong>s aspects. »La situation est loin d’être irréel<strong>le</strong> : c’est ainsi, en effet, qu’une femme simp<strong>le</strong>,traquée par la malchance, se demandera : qu’ai-je fait de mal ? et commencera àfouil<strong>le</strong>r son passé, en examinant non seu<strong>le</strong>ment ses actes mais aussi ses paro<strong>le</strong>s etses pensées secrètes pour comprendre la colère de Dieu.La pratique politique du communisme a créé pour cette attitude <strong>le</strong> motautocritique (mot utilisé en français, dans son sens politique, vers 1930; Kafka nel’utilisait pas). L’usage que l’on a fait de ce mot ne répond pas exactement à sonétymologie. Il ne s’agit pas de se critiquer (séparer <strong>le</strong>s bons côtés des mauvais avecl’intention de corriger <strong>le</strong>s défauts), il s’agit de trouver sa faute pour pouvoir aiderl’accusateur, pour pouvoir accepter et approuver l’accusation.Stade 5 : Identification de la victime à son bourreau. Dans <strong>le</strong> dernier chapitre,l’ironie de Kafka atteint son horrib<strong>le</strong> sommet : deux messieurs en redingote viennentpour K. et l’emmènent dans la rue. Il se rebiffe d’abord, mais bientôt il se dit : « La seu<strong>le</strong>chose que je puisse faire maintenant […] c’est de garder jusqu’à la fin la clarté de monraisonnement […] dois-je montrer maintenant que je n’ai rien appris pendant une annéede procès ? Dois-je partir comme un imbéci<strong>le</strong> qui n’a rien pu comprendre ?… »Puis, il voit de loin des sergents de vil<strong>le</strong> en train de faire <strong>le</strong>s cent pas. L’un d’euxs’approche de ce groupe qui lui paraît suspect. À ce moment, K., de sa propre initiative,entraîne de force <strong>le</strong>s deux messieurs, se mettant même à courir avec eux afind’échapper aux sergents qui, pourtant, pourraient perturber et, peut-être, qui sait ?empêcher l’exécution qui l’attendait.Enfin, ils arrivent à destination; <strong>le</strong>s messieurs se préparent à l’égorger et à cemoment une idée (son ultime autocritique) traverse la tête de K. : « Son devoir eût étéde prendre lui-même ce couteau […] et de se l’enfoncer dans <strong>le</strong> corps. » Et il déplore safaib<strong>le</strong>sse : « Il ne pouvait pas faire ses preuves complètement, il ne pouvait décharger<strong>le</strong>s autorités de tout <strong>le</strong> travail; la responsabilité de cette dernière faute incombait à celuiqui lui avait refusé <strong>le</strong> reste de force nécessaire. »Pendant combien de temps l'homme peut-il être considéré comme identique à luimême?L’identité des personnages de Dostoïevski réside dans <strong>le</strong>ur idéologie personnel<strong>le</strong>qui, d’une façon plus ou moins directe, détermine <strong>le</strong>ur comportement. Kirilov, desDémons, est complètement absorbé par sa philosophie du suicide qu’il considèrecomme la manifestation suprême de la liberté. Kirilov : une pensée devenue homme.
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