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Lire le livre - Bibliothèque

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porte. » Faut-il faire un procès de cruauté à cette vieil<strong>le</strong> blague tchèque de monenfance ? La grande œuvre fondatrice de Cervantes a été animée par l’esprit du nonsérieux,esprit qui, depuis, fut rendu incompréhensib<strong>le</strong> par l’esthétique romanesque dela deuxième mi-temps, par son impératif de la vraisemblance.La deuxième mi-temps a non seu<strong>le</strong>ment éclipsé la première, el<strong>le</strong> l’a refoulée; lapremière mi-temps est devenue la mauvaise conscience du roman et surtout de lamusique. L’œuvre de Bach en est l’exemp<strong>le</strong> <strong>le</strong> plus célèbre : la renommée de Bach deson vivant; oubli de Bach après sa mort (oubli long d’un demi-sièc<strong>le</strong>); la <strong>le</strong>nteredécouverte de Bach pendant tout <strong>le</strong> XIX e sièc<strong>le</strong>. Beethoven est <strong>le</strong> seul qui a presqueréussi vers la fin de sa vie (c’est-à-dire soixante-dix ans après la mort de Bach) àintégrer l’expérience de Bach dans la nouvel<strong>le</strong> esthétique de la musique (ses essaisréitérés pour insérer la fugue dans la sonate), tandis que, après Beethoven, plus <strong>le</strong>sromantiques adoraient Bach, et plus, par <strong>le</strong>ur pensée structurel<strong>le</strong>, ils s’éloignaient de lui.Pour <strong>le</strong> rendre plus accessib<strong>le</strong> on l’a subjectivisé, sentimentalisé (<strong>le</strong>s célèbresarrangements de Busoni); puis, en réaction à cette romantisation, on a voulu retrouversa musique tel<strong>le</strong> qu’el<strong>le</strong> avait été jouée à son époque, ce qui a donné naissance à desinterprétations d’une remarquab<strong>le</strong> insipidité. Une fois passée par <strong>le</strong> désert de l’oubli, lamusique de Bach, me semb<strong>le</strong>-t-il, garde son visage toujours mi-voilé.Histoire comme paysage qui surgit des brumesAu lieu de par<strong>le</strong>r de l’oubli de Bach, je pourrais retourner mon idée et dire : Bachest <strong>le</strong> premier grand compositeur qui, par l’immense poids de son œuvre, a obligé <strong>le</strong>public à prendre en considération sa musique bien qu’el<strong>le</strong> appartînt déjà au passé.Événement sans précédent car, jusqu’au XIX e sièc<strong>le</strong>, la société vivait presqueexclusivement avec la seu<strong>le</strong> musique contemporaine. El<strong>le</strong> n’avait pas de contact vivantavec <strong>le</strong> passé musical : même si <strong>le</strong>s musiciens avaient étudié (rarement) la musiquedes époques précédentes, ils n’avaient pas l’habitude de l’exécuter publiquement. C’estdurant <strong>le</strong> XIX e sièc<strong>le</strong> que la musique du passé commence à revivre à côté de lamusique contemporaine et à prendre progressivement de plus en plus de place, si bienqu’au XX e sièc<strong>le</strong> <strong>le</strong> rapport entre <strong>le</strong> présent et <strong>le</strong> passé se renverse : on écoute lamusique des époques anciennes beaucoup plus qu’on n’écoute la musiquecontemporaine qui, aujourd’hui, a fini par quitter presque complètement <strong>le</strong>s sal<strong>le</strong>s deconcert.Bach fut donc <strong>le</strong> premier compositeur qui s’imposa à la mémoire de la postérité;avec lui, l’Europe du XIX e sièc<strong>le</strong> a alors découvert non seu<strong>le</strong>ment une partie importantedu passé de la musique, el<strong>le</strong> a découvert l’histoire de la musique. Car Bach n’était paspour el<strong>le</strong> un passé quelconque, mais un passé radica<strong>le</strong>ment distinct du présent; ainsi <strong>le</strong>temps de la musique s’est-il révélé d’emblée (et pour la première fois) non pas commeune simp<strong>le</strong> succession d’œuvres, mais comme une succession de changements,d’époques, d’esthétiques différentes.Je l’imagine souvent, l’année de sa mort, exactement au milieu du XVIII e sièc<strong>le</strong>,penché, sa vue s’opacifiant, sur L’Art de la fugue, une musique dont l’orientationesthétique représente dans son œuvre (qui comporte des orientations multip<strong>le</strong>s) latendance la plus archaïque, étrangère à son époque laquel<strong>le</strong> s’est déjà complètementdétournée de la polyphonie vers un sty<strong>le</strong> simp<strong>le</strong>, voire simpliste, qui frise souvent la

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