Gesicht » - « ils se passaient parfois largement la langue sur <strong>le</strong> visage »; cetteconstatation précise et neutre se transforme chez David en cette métaphoreexpressionniste : « ils se fouaillaient <strong>le</strong> visage à coups de langue ».)Richesse du vocabulaireExaminons <strong>le</strong>s verbes de la phrase : vergehen (passer - de la racine gehen =al<strong>le</strong>r); haben (avoir); sich verirren (s’égarer); sein (être); haben (avoir); erstickenmussen (devoir étouffer); tun kônnen (pouvoir faire); gehen (al<strong>le</strong>r); sich verirren(s’égarer). Kafka choisit donc <strong>le</strong>s verbes <strong>le</strong>s plus simp<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s plus élémentaires : al<strong>le</strong>r (2fois), avoir (2 fois), s’égarer (2 fois), être, faire, étouffer, devoir, pouvoir.Les traducteurs ont tendance à enrichir <strong>le</strong> vocabulaire : « ne pas cesserd’éprouver » (au lieu d’« avoir »); « s’enfoncer », « s’avancer », « faire du chemin » (aulieu d’« être »); « faire suffoquer » (au lieu de « devoir étouffer »); « retrouver » (au lieud’« avoir »).(Signalons la terreur qu’éprouvent tous <strong>le</strong>s traducteurs du monde entier devant<strong>le</strong>s mots « être » et « avoir » ! Ils feront n’importe quoi pour <strong>le</strong>s remplacer par un motqu’ils considèrent comme moins banal.)Cette tendance est compréhensib<strong>le</strong> : d’après quoi <strong>le</strong> traducteur sera-t-ilapprécié ? D’après sa fidélité au sty<strong>le</strong> de l’auteur ? C’est exactement ce que <strong>le</strong>s<strong>le</strong>cteurs de son pays n’auront pas la possibilité de juger. En revanche, la richesse duvocabulaire sera automatiquement ressentie par <strong>le</strong> public comme une va<strong>le</strong>ur, commeune performance, une preuve de la maîtrise et de la compétence du traducteur.Or, la richesse du vocabulaire en el<strong>le</strong>-même ne représente aucune va<strong>le</strong>ur.L’étendue du vocabulaire dépend de l’intention esthétique qui organise l’œuvre. Levocabulaire de Carlos Fuentes est riche jusqu’au vertige. Mais <strong>le</strong> vocabulaire deHemingway est extrêmement limité. La beauté de la prose de Fuentes est liée à larichesse, cel<strong>le</strong> de Hemingway à la limitation du vocabulaire.Le vocabulaire de Kafka aussi est relativement restreint. Cette restriction asouvent été expliquée comme une ascèse de Kafka. Comme son anesthétisme.Comme son indifférence à l’égard de la beauté. Ou bien comme <strong>le</strong> tribut payé à lalangue al<strong>le</strong>mande de Prague qui, arrachée au milieu populaire, se desséchait.Personne n’a voulu admettre que ce dépouil<strong>le</strong>ment du vocabulaire exprimait l’intentionesthétique de Kafka, était un des signes distinctifs de la beauté de sa prose.Remarque généra<strong>le</strong> sur <strong>le</strong> problème de l'autoritéL’autorité suprême, pour un traducteur, devrait être <strong>le</strong> sty<strong>le</strong> personnel de l’auteur.Mais la plupart des traducteurs obéissent à une autre autorité : à cel<strong>le</strong> du sty<strong>le</strong> commundu « beau français » (du bel al<strong>le</strong>mand, du bel anglais, etc.), à savoir du français (del’al<strong>le</strong>mand, etc.) tel qu’on l’apprend au lycée. Le traducteur se considère commel’ambassadeur de cette autorité auprès de l’auteur étranger. Voilà l’erreur : tout auteurd’une certaine va<strong>le</strong>ur transgresse <strong>le</strong> « beau sty<strong>le</strong> » et c’est dans cette transgression quese trouve l’originalité (et, partant, la raison d’être) de son art. Le premier effort dutraducteur devrait être la compréhension de cette transgression. Ce n’est pas diffici<strong>le</strong>lorsque cel<strong>le</strong>-ci est évidente, comme, par exemp<strong>le</strong>, chez Rabelais, chez Joyce, chez
Céline. Mais il y a des auteurs dont la transgression du « beau sty<strong>le</strong> » est délicate, àpeine visib<strong>le</strong>, cachée, discrète; en ce cas, il n’est pas faci<strong>le</strong> de la saisir. N’empêche quec’est d’autant plus important.RépétitionDie Stunden (des heures) trois fois - répétition gardée dans toutes <strong>le</strong>straductions ; gemeinsamen (communs) deux fois - répétition éliminée dans toutes <strong>le</strong>straductions ; sich verirren (s’égarer) deux fois - répétition gardée dans toutes <strong>le</strong>straductions ; die Fremde (l’étranger) deux fois, puis une fois die Fremdheit (l’étrangeté) -chez Vialatte : « étranger » une seu<strong>le</strong> fois, « étrangeté » remplacé par « exil »; chezDavid et chez Lortholary : une fois « étranger » (adjectif), une fois « étrangeté » ; dieLuft (l’air) deux fois - répétition gardée chez tous <strong>le</strong>s traducteurs ; haben (avoir) deuxfois - la répétition n’existe dans aucune traduction ; weiter (plus loin) deux fois - cetterépétition est remplacée chez Vialatte par la répétition du mot « continuer »; chez Davidpar la répétition (de faib<strong>le</strong> résonance) du mot « toujours »; chez Lortholary, la répétitiona disparu ; gehen, vergehen (al<strong>le</strong>r, passer) - cette répétition (d’ail<strong>le</strong>urs diffici<strong>le</strong> à garder)a disparu chez tous <strong>le</strong>s traducteurs.En général, on constate que <strong>le</strong>s traducteurs (obéissant aux professeurs de lycée) onttendance à limiter <strong>le</strong>s répétitions.Sens sémantique d'une répétitionDeux fois die Fremde, une fois die Fremdheit : par cette répétition l’auteurintroduit dans son texte un mot qui a <strong>le</strong> caractère d’une notion-clé, d’un concept. Sil’auteur, à partir de ce mot, développe une longue réf<strong>le</strong>xion, la répétition du même motest nécessaire du point de vue sémantique et logique. Imaginons que <strong>le</strong> traducteur deHeidegger, pour éviter <strong>le</strong>s répétitions, utilise à la place du mot « das Sein » une fois« l’être », ensuite « l’existence », puis « la vie », puis encore « la vie humaine » et, à lafin, « l’être-là ». Ne sachant jamais si Heidegger par<strong>le</strong> d’une seu<strong>le</strong> chose différemmentdénommée ou de choses différentes on aura, à la place d’un texte scrupu<strong>le</strong>usementlogique, un gâchis. La prose du roman (je par<strong>le</strong>, bien sûr, des romans dignes de cemot) exige la même rigueur (surtout dans <strong>le</strong>s passages qui ont un caractère réf<strong>le</strong>xif oumétaphorique).Autre remarque sur la nécessité de garer la répétitionUn peu plus loin dans la même page du Château : « … Stimme nach Friedagerufen wurde. “Frieda”, sagte K. in Friedas Ohr und gab so den Ruf weiter. »Ce qui veut dire mot à mot : « … une voix a appelé Frieda. “Frieda”, dit K. àl’oreil<strong>le</strong> de Frieda, transmettant ainsi l’appel. »Les traducteurs veu<strong>le</strong>nt éviter la trip<strong>le</strong> répétition du nom Frieda :Vialatte : « “Frieda !” dit-il à l’oreil<strong>le</strong> de la bonne, transmettant ainsi… »Et David : « “Frieda”, dit K. à l’oreil<strong>le</strong> de sa compagne, en lui transmettant… »Comme <strong>le</strong>s mots remplaçant <strong>le</strong> nom Frieda sonnent faux ! Remarquez bien queK., dans <strong>le</strong> texte du Château, n’est jamais que K. Dans <strong>le</strong> dialogue, <strong>le</strong>s autres peuvent
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progressivement (mais avec une rage
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grande que les autres. Ainsi en a d
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en livre les notes destinées à sa
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