mélodique remonte plusieurs fois pour immédiatement retomber comme si el<strong>le</strong> aussiétait frappée de paralysie; el<strong>le</strong> est bel<strong>le</strong>, el<strong>le</strong> est émouvante, sans pour autant cesserd’être exacte.Novak, <strong>le</strong> compositeur tchèque <strong>le</strong> plus influent de l’époque, s’est moqué de cettescène : « C’est comme si Jenufa regrettait la mort de son perroquet. » Tout est là, dansce sarcasme imbéci<strong>le</strong>. Bien sûr, ce n’est pas ainsi qu’on imagine une femme qui est entrain d’apprendre la mort de son enfant ! Mais un événement, tel qu’on l’imagine, n’apas grand-chose à voir avec ce même événement tel qu’il est quand il se passe.Janacek a écrit ses premiers opéras à partir de pièces de théâtre dites réalistes;en son temps, cela bou<strong>le</strong>versait déjà <strong>le</strong>s conventions; mais en raison de sa soif deconcret, même la forme de drame en prose lui parut bientôt artificiel<strong>le</strong> : aussi écrivit-illui-même <strong>le</strong>s <strong>livre</strong>ts de ses deux opéras <strong>le</strong>s plus audacieux, l’un, La Renarde rusée,d’après un feuil<strong>le</strong>ton publié dans un quotidien, l’autre d’après Dostoïevski; pas d’aprèsun roman (il n’y a pas plus grands pièges du non-naturel et du théâtral que <strong>le</strong>s romansde Dostoïevski !) mais d’après son « reportage » du camp sibérien : Souvenirs de lamaison des morts.Comme Flaubert, Janacek fut fasciné par la coexistence des différents contenusémotionnels dans une seu<strong>le</strong> scène (il connaissait la fascination flaubertienne des« motifs antithétiques »); ainsi l’orchestre, chez lui, ne souligne pas mais, très souvent,contredit <strong>le</strong> contenu émotif du chant. Une scène de La Renarde rusée m’a toujoursparticulièrement ému : dans une auberge forestière, un garde-chasse, un instituteur devillage et l’épouse de l’aubergiste bavardent : ils se souviennent de <strong>le</strong>urs amis absents,de l’aubergiste qui, ce jour-là, est en vil<strong>le</strong>, du curé qui a déménagé, d’une femme dontl’instituteur a été amoureux et qui vient de se marier. La conversation est tout à faitbana<strong>le</strong> (jamais avant Janacek on n’avait vu sur une scène d’opéra une situation si peudramatique et tel<strong>le</strong>ment bana<strong>le</strong>), mais l’orchestre est p<strong>le</strong>in d’une nostalgie à peinesoutenab<strong>le</strong>, si bien que la scène devient l’une des plus bel<strong>le</strong>s élégies jamais écrites surla fugacité du temps.Pendant quatorze ans, <strong>le</strong> directeur de l’opéra de Prague, un certain Kovarovic,chef d’orchestre et sous-médiocre compositeur, a refusé Jenufa. S’il a fini par céder (en1916 c’est lui-même qui dirige la première praguoise de Jenufa), il n’a pas cessé pourautant d’insister sur <strong>le</strong> di<strong>le</strong>ttantisme de Janacek, et a apporté à la partition beaucoup dechangements, de corrections dans l’orchestration, et même de très nombreusesratures.Janacek ne se révoltait pas ? Si, bien sûr, mais, comme on sait, tout dépend durapport de forces. Et c’était lui <strong>le</strong> faib<strong>le</strong>. Il avait soixante-deux ans et était presqueinconnu. S’il s’était rebiffé trop, il aurait pu attendre la première de son opéra pendantencore dix autres années. D’ail<strong>le</strong>urs, même ses partisans, que <strong>le</strong> succès inattendu de<strong>le</strong>ur maître avait rendus euphoriques, étaient tous d’accord : Kovarovic a fait unmagnifique travail ! Par exemp<strong>le</strong>, la dernière scène !La dernière scène : Après qu’on a trouvé l’enfant naturel de Jenufa noyé, aprèsque la marâtre a avoué son crime et que la police l’a emmenée, Jenufa et Laca restentseuls. Laca, l’homme à qui Jenufa en avait préféré un autre et qui l’aime toujours,décide de rester avec el<strong>le</strong>. Rien n’attend ce coup<strong>le</strong> sauf la misère, la honte, l’exil.Atmosphère inimitab<strong>le</strong> : résignée, triste et pourtant éclairée d’une immense
compassion. Harpe et cordes, la douce sonorité de l’orchestre; <strong>le</strong> grand drame se clôt,d’une façon inattendue, par un chant calme, touchant et intimiste.Mais peut-on donner une tel<strong>le</strong> fin à un opéra ? Kovarovic la transforma en unevraie apothéose d’amour. Qui oserait s’opposer à une apothéose ? D’ail<strong>le</strong>urs, uneapothéose, c’est tel<strong>le</strong>ment simp<strong>le</strong> : on ajoute des cuivres qui soutiennent la mélodie enimitation contrapuntique. Procédé efficace, mil<strong>le</strong> fois vérifié. Kovarovic connaissait sonmétier.Snobé et humilié par ses compatriotes tchèques, Janacek a trouvé chez MaxBrod un soutien ferme et fidè<strong>le</strong>. Mais quand Brod étudie la partition de La Renarderusée, il n’est pas satisfait de la fin. Les derniers mots de l’opéra : une blagueprononcée par une petite grenouil<strong>le</strong> qui, en bégayant, s’adresse au forestier : « Ce quevous vous vous prétendez voir ce n’est pas pas pas moi, c’est mon mon mon grandpapa.» Mit dem Frosch zu schliessen, ist unmôglich. Terminer avec la grenouil<strong>le</strong>, c’estimpossib<strong>le</strong>, proteste Brod dans une <strong>le</strong>ttre, et il propose comme dernière phrase del’opéra une proclamation so<strong>le</strong>nnel<strong>le</strong> que devrait chanter <strong>le</strong> forestier : sur <strong>le</strong>renouvel<strong>le</strong>ment de la nature, sur la force éternel<strong>le</strong> de la jeunesse. Encore uneapothéose.Mais cette fois-ci, Janacek n’obéit pas. Reconnu en dehors de son pays, il n’estplus faib<strong>le</strong>. Avant la première de De la maison des morts, il l’est redevenu, car il estmort. La fin de l’opéra est magistra<strong>le</strong> : <strong>le</strong> héros est relâché du camp. « Liberté !Liberté ! » crient <strong>le</strong>s bagnards. Puis <strong>le</strong> commandant hur<strong>le</strong> : « Au boulot ! » et c’est <strong>le</strong>dernier mot de l’opéra qui se termine sur <strong>le</strong> rythme brutal du travail forcé ponctué par <strong>le</strong>son syncopé des chaînes. La première, posthume, a été dirigée par un élève deJanacek (celui qui a aussi établi, pour l’édition, <strong>le</strong> manuscrit à peine achevé de lapartition). Il a un peu tripatouillé <strong>le</strong>s dernières pages : ainsi <strong>le</strong> cri « Liberté ! Liberté ! »se retrouva-t-il à la fin, élargi en une longue coda surajoutée, coda joyeuse, uneapothéose (encore une). Ce n’est pas un ajout qui, en redondance, prolonge l’intentionde l’auteur; c’est la négation de cette intention; <strong>le</strong> mensonge terminal dans <strong>le</strong>quel lavérité de l’opéra s’annu<strong>le</strong>.J’ouvre la biographie de Hemingway écrite en 1985 par Jeffrey Meyers,professeur de littérature dans une université américaine, et je lis <strong>le</strong> passage concernantCollines comme des éléphants blancs. Première chose que j’apprends : la nouvel<strong>le</strong>« dépeint peut-être la réaction de Hemingway à la deuxième grossesse de Had<strong>le</strong>y »(première épouse de Hemingway). Suit ce commentaire que j’accompagne entreparenthèses de mes propres remarques :« La comparaison des collines avec des éléphants blancs, animaux irréels quireprésentent des éléments inuti<strong>le</strong>s, comme <strong>le</strong> bébé non désiré, est crucia<strong>le</strong> pour <strong>le</strong> sensde l’histoire (la comparaison, un peu forcée, des éléphants avec des bébés non désirésn’est pas de Hemingway mais du professeur; el<strong>le</strong> doit préparer l’interprétationsentimenta<strong>le</strong> de la nouvel<strong>le</strong>). El<strong>le</strong> devient un sujet de discussion et suscite l’oppositionentre la femme imaginative, émue par <strong>le</strong> paysage, et l’homme à l’esprit terre à terre, quirefuse d’adhérer à son point de vue. […] Le thème de la nouvel<strong>le</strong> se développe à partird’une série de polarités : <strong>le</strong> naturel opposé à l’artificiel, l’instinctif opposé au rationnel, laréf<strong>le</strong>xion opposée au bavardage, <strong>le</strong> vivant opposé au morbide (l’intention du professeurdevient claire : faire de la femme <strong>le</strong> pô<strong>le</strong> positif, de l’homme <strong>le</strong> pô<strong>le</strong> négatif de la
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grande que les autres. Ainsi en a d
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