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Lire le livre - Bibliothèque

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testament dans <strong>le</strong>quel je <strong>le</strong> priais d’anéantir certaines choses (dieses und jenesvemichten), d’en revoir d’autres, etc. Là-dessus, Kafka, me montrant <strong>le</strong> bil<strong>le</strong>t écrit àl’encre qu’on a trouvé plus tard dans son bureau, me dit : “Mon testament à moi serabien simp<strong>le</strong> : je te prie de tout brû<strong>le</strong>r.” Je me rappel<strong>le</strong> encore exactement la réponseque je lui fis : “[…] je te préviens d’avance que je ne <strong>le</strong> ferai pas.” » Par l’évocation dece souvenir, Brod justifie sa désobéissance au souhait testamentaire de son ami; Kafka,continue-t-il, « connaissait la vénération fanatique que j’avais pour chacun de sesmots »; il savait donc bien qu’il ne serait pas obéi et il « aurait dû choisir un autreexécuteur testamentaire si ses propres dispositions avaient été d’un sérieux ultime etinconditionnel ». Mais est-ce si sûr ? Dans son propre testament Brod demandait àKafka « d’anéantir certaines choses »; pourquoi donc Kafka n’aurait-il pas trouvénormal de demander <strong>le</strong> même service à Brod ? Et si Kafka savait vraiment qu’il neserait pas obéi, pourquoi aurait-il écrit encore cette deuxième <strong>le</strong>ttre au crayon,postérieure à <strong>le</strong>ur conversation de 1921, où il développe et précise ses dispositions ?Mais passons : on ne saura jamais ce que ces deux amis se sont dit sur ce sujet qui,d’ail<strong>le</strong>urs, n’était pas pour eux <strong>le</strong> plus urgent, vu qu’aucun d’eux, et Kafka notamment,ne pouvait se considérer alors comme particulièrement menacé par l’immortalité.On dit souvent : si Kafka voulait vraiment détruire ce qu’il a écrit, il l’aurait détruitlui-même. Mais comment ? Ses <strong>le</strong>ttres étaient la possession de ses correspondants.(Lui-même n’a gardé aucune des <strong>le</strong>ttres qu’il avait reçues.) Quant aux journaux, il estvrai, il aurait pu <strong>le</strong>s brû<strong>le</strong>r. Mais c’étaient des journaux de travail (plutôt des carnets quedes journaux), ils lui étaient uti<strong>le</strong>s tant qu’il écrivait, et il écrivit jusqu’à ses derniersjours. On peut dire la même chose de ses proses inachevées. Irrémédiab<strong>le</strong>mentinachevées, el<strong>le</strong>s ne l’étaient qu’en cas de mort; durant sa vie, il pouvait toujours yrevenir. Même une nouvel<strong>le</strong> qu’il trouve ratée n’est pas inuti<strong>le</strong> pour un écrivain, el<strong>le</strong> peutservir de matériau pour une autre nouvel<strong>le</strong>. L’écrivain n’a aucune raison de détruire cequ’il a écrit tant qu’il n’est pas mourant. Mais quand il est mourant Kafka n’est plus chezlui, il est au sanatorium et il ne peut rien détruire, il peut seu<strong>le</strong>ment compter sur l’aided’un ami. Et n’ayant pas beaucoup d’amis, n’en ayant fina<strong>le</strong>ment qu’un seul, il comptesur lui.On dit aussi : vouloir détruire sa propre œuvre, c’est un geste pathologique. Ence cas, la désobéissance à la volonté du Kafka destructeur devient fidélité à l’autreKafka, créateur. Là, on touche au plus grand mensonge de la légende entourant sontestament : Kafka ne voulait pas détruire son œuvre. Il s’exprime dans la deuxième deces <strong>le</strong>ttres avec une tota<strong>le</strong> précision : « De tout ce que j’ai écrit, sont valab<strong>le</strong>s (gelten)seu<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s <strong>livre</strong>s : Le Verdict, Le Chauffeur, La Métamorphose, La Coloniepénitentiaire, Un médecin de campagne et une nouvel<strong>le</strong> : Un champion de jeûne. (Lesquelques exemplaires des Méditations peuvent rester, je ne veux donner à personne lapeine de <strong>le</strong>s mettre au pilon, mais il n’en faut rien réimprimer.) » Donc, non seu<strong>le</strong>mentKafka ne renie pas son œuvre, mais il en fait un bilan en essayant de séparer ce quidoit rester (ce qu’on peut réimprimer) de ce qui ne répond pas à ses exigences; unetristesse, une sévérité, mais aucune folie, aucun aveug<strong>le</strong>ment de désespoir dans sonjugement : il trouve valab<strong>le</strong>s tous ses <strong>livre</strong>s imprimés, avec une exception pour sonpremier, Méditations, <strong>le</strong> considérant probab<strong>le</strong>ment comme immature (il serait diffici<strong>le</strong> de<strong>le</strong> contredire). Son refus ne concerne pas automatiquement tout ce qui n’était paspublié puisqu’il range aussi parmi ses ouvrages « valab<strong>le</strong>s » la nouvel<strong>le</strong> Un champion

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