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Lire le livre - Bibliothèque

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moi de l’auteur; aveug<strong>le</strong> à sa volonté esthétique; incompatib<strong>le</strong> avec l’art; dirigée contrel’art; hosti<strong>le</strong> à l’art.L’œuvre de Kafka est éditée en France en quatre volumes. Le deuxièmevolume : récits et fragments narratifs; c’est-à-dire : tout ce que Kafka a publié durant savie, plus tout ce qu’on a trouvé dans ses tiroirs : récits non publiés, inachevés,esquisses, premiers jets, versions supprimées ou abandonnées. Quel ordre donner àtout cela ? L’éditeur observe deux principes : 1) toutes <strong>le</strong>s proses narratives, sansdistinguer <strong>le</strong>ur caractère, <strong>le</strong>ur genre, <strong>le</strong> degré de <strong>le</strong>ur achèvement, sont mises sur <strong>le</strong>même plan et, 2) rangées dans l’ordre chronologique, c’est-à-dire dans l’ordre de <strong>le</strong>urnaissance.C’est pourquoi aucun des trois recueils de nouvel<strong>le</strong>s que Kafka a lui-mêmecomposés et fait éditer (Méditations, Un médecin de campagne, Un champion dejeûne) n’est présenté ici dans la forme que Kafka lui a donnée; ces recueils ont toutsimp<strong>le</strong>ment disparu; <strong>le</strong>s proses particulières <strong>le</strong>s constituant sont dispersées parmid’autres proses (parmi des esquisses, des fragments, etc.) selon <strong>le</strong> principechronologique; huit cents pages de proses de Kafka deviennent ainsi un flot où tout sedissout dans tout, un flot informe comme seu<strong>le</strong> l’eau peut l’être, l’eau qui cou<strong>le</strong> etentraîne avec el<strong>le</strong> bon et mauvais, achevé et non-achevé, fort et faib<strong>le</strong>, esquisse etœuvre.Brod, déjà, avait proclamé la « vénération fanatique » dont il entourait chaquemot de Kafka. Les éditeurs de l’œuvre de Kafka manifestent la même vénérationabsolue pour tout ce que <strong>le</strong>ur auteur a touché. Mais il faut comprendre <strong>le</strong> mystère de lavénération absolue : el<strong>le</strong> est en même temps, et fata<strong>le</strong>ment, <strong>le</strong> déni absolu de la volontéesthétique de l’auteur. Car la volonté esthétique se manifeste aussi bien par ce quel’auteur a écrit que par ce qu’il a supprimé. Supprimer un paragraphe exige de sa partencore plus de ta<strong>le</strong>nt, de culture, de force créatrice que de l’avoir écrit. Publier ce quel’auteur a supprimé est donc <strong>le</strong> même acte de viol que censurer ce qu’il a décidé degarder.Ce qui est valab<strong>le</strong> pour <strong>le</strong>s suppressions dans <strong>le</strong> microcosme d’un ouvrageparticulier est valab<strong>le</strong> pour <strong>le</strong>s suppressions dans <strong>le</strong> macrocosme d’une œuvrecomplète. Là aussi, à l’heure du bilan, l’auteur, guidé par ses exigences esthétiques,écarte souvent ce qui ne <strong>le</strong> satisfait pas. Ainsi, Claude Simon ne permet plus laréimpression de ses premiers <strong>livre</strong>s. Faulkner a proclamé explicitement ne vouloirlaisser comme trace « rien d’autre que <strong>le</strong>s <strong>livre</strong>s imprimés », autrement dit rien de ceque <strong>le</strong>s fouil<strong>le</strong>urs de poubel<strong>le</strong>s allaient trouver après sa mort. Il demandait donc lamême chose que Kafka et il fut obéi comme lui : on a édité tout ce qu’on a pu dénicher.J’achète la Symphonie n o 1 de Mah<strong>le</strong>r sous la direction de Seiji Ozawa. Cettesymphonie en quatre mouvements en comportait d’abord cinq, mais après la premièreexécution Mah<strong>le</strong>r a écarté définitivement <strong>le</strong> deuxième qu’on ne trouve dans aucunepartition imprimée. Ozawa l’a réinséré dans la symphonie; ainsi tout un chacun peutenfin comprendre que Mah<strong>le</strong>r était très lucide en <strong>le</strong> supprimant. Dois-je continuer ? Laliste est sans fin.La façon dont on a édité en France l’œuvre complète de Kafka ne choquepersonne; el<strong>le</strong> répond à l’esprit du temps : « Kafka se lit tout entier, explique l’éditeur;parmi ses différents modes d’expression, aucun ne peut revendiquer une dignité plus

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