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Lire le livre - Bibliothèque

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finit bien. C’est ce qu’on peut appe<strong>le</strong>r la « bêtise de la musique ». Beethoven a comprisque la seu<strong>le</strong> voie pour la dépasser c’est de rendre la composition radica<strong>le</strong>mentindividuel<strong>le</strong>.C’est là la première clause de son testament artistique destiné à tous <strong>le</strong>s arts, àtous <strong>le</strong>s artistes et que je formu<strong>le</strong>rai ainsi : il ne faut pas considérer la composition(l’organisation architectura<strong>le</strong> de l’ensemb<strong>le</strong>) comme une matrice préexistante, prêtée àl’auteur pour qu’il la remplisse de son invention; la composition el<strong>le</strong>-même doit être uneinvention, une invention qui engage toute l’originalité de l’auteur.Je ne saurais dire à quel point ce message a été écouté et compris. MaisBeethoven lui-même a su en tirer toutes <strong>le</strong>s conséquences, magistra<strong>le</strong>ment, dans sesdernières sonates dont chacune est composée d’une façon unique, jamais vue.La sonate opus 111; el<strong>le</strong> n’a que deux mouvements : <strong>le</strong> premier, dramatique, estélaboré d’une façon plus ou moins classique en forme sonate; <strong>le</strong> deuxième, aucaractère méditatif, est écrit en forme de variations (forme, avant Beethoven, plutôtinhabituel<strong>le</strong> dans une sonate) : pas de jeu de contrastes et de diversités, seu<strong>le</strong>ment unegradation continue qui ajoute toujours une nouvel<strong>le</strong> nuance à la variation précédente etdonne à ce long mouvement une exceptionnel<strong>le</strong> unité de ton.Plus chacun des mouvements est parfait dans son unité, plus il s’oppose àl’autre. Disproportion de la durée : <strong>le</strong> premier mouvement (dans l’exécution deSchnabel) : 8 minutes 14; <strong>le</strong> deuxième, 17 minutes 42. La seconde moitié de la sonateest donc plus de deux fois plus longue que la première (cas sans précédent dansl’histoire de la sonate) ! En outre : <strong>le</strong> premier mouvement est dramatique, <strong>le</strong> deuxièmecalme, réf<strong>le</strong>xif. Or, commencer dramatiquement et finir par une si longue méditation,cela semb<strong>le</strong> contredire tous <strong>le</strong>s principes architecturaux et condamner la sonate à laperte de toute tension dramatique si chère, auparavant, à Beethoven.Mais c’est précisément <strong>le</strong> voisinage inattendu de ces deux mouvements qui estéloquent, qui par<strong>le</strong>, qui devient <strong>le</strong> geste sémantique de la sonate, sa significationmétaphorique évoquant l’image d’une vie dure, courte, et du chant nostalgique qui lasuit, sans fin. Cette signification métaphorique, insaisissab<strong>le</strong> par des mots et pourtantforte et insistante, donne à ces deux mouvements une unité. Unité inimitab<strong>le</strong>. (Onpouvait à l’infini imiter la composition impersonnel<strong>le</strong> de la sonate mozartienne; lacomposition de la sonate opus 111 est à tel point personnel<strong>le</strong> que son imitation seraitune contrefaçon.)La sonate opus 111 me fait penser aux Palmiers sauvages de Faulkner. Là,alternent un récit d’amour et celui d’un prisonnier évadé, récits qui n’ont rien encommun, aucun personnage et même aucune parenté perceptib<strong>le</strong> de motifs ou dethèmes. Composition qui ne peut servir de modè<strong>le</strong> pour aucun autre romancier; qui nepeut exister qu’une seu<strong>le</strong> fois; qui est arbitraire, non-recommandab<strong>le</strong>, injustifiab<strong>le</strong>;injustifiab<strong>le</strong> car derrière el<strong>le</strong> on entend un es muss sein qui rend toute justificationsuperflue.Par son refus du système, Nietzsche change en profondeur la façon dephilosopher : comme l’a défini Hannah Arendt, la pensée de Nietzsche est une penséeexpérimenta<strong>le</strong>. Sa première impulsion est de corroder ce qui est figé, de miner dessystèmes communément acceptés, d’ouvrir des brèches pour s’aventurer dans

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