Troisième partieImprovisation en hommage à StavinskiL’appel du passéDans une conférence à la radio, en 1931, Schönberg par<strong>le</strong> de ses maîtres : « inerster Linie Bach und Mozart; in zweiter Beethoven, Wagner, Brahms », « en premierlieu Bach et Mozart, en second lieu, Beethoven, Wagner, Brahms ». Dans des phrasescondensées, aphoristiques, il définit ensuite ce qu’il a appris de chacun de ces cinqcompositeurs.Entre la référence à Bach et cel<strong>le</strong> aux autres il y a, pourtant, une très grandedifférence : chez Mozart, par exemp<strong>le</strong>, il apprend « l’art des phrases de longueursinéga<strong>le</strong>s » ou « l’art de créer des idées secondaires », c’est-à-dire un savoir-faire tout àfait individuel qui n’appartient qu’à Mozart lui-même. Chez Bach, il découvre desprincipes qui avaient été aussi ceux de toute la musique pendant des sièc<strong>le</strong>s avantBach : primo, « l’art d’inventer des groupes de notes tels qu’ils puissent s’accompagnereux-mêmes »; et, secundo, « l’art de créer <strong>le</strong> tout à partir d’un seul noyau », « dieKunst, al<strong>le</strong>s aus einem zu erzeugen ».Par <strong>le</strong>s deux phrases qui résument la <strong>le</strong>çon que Schönberg a retenue de Bach(et de ses prédécesseurs) toute la révolution dodécaphonique pourrait se définir :contrairement à la musique classique et à la musique romantique, composées surl’alternance des différents thèmes musicaux qui se succèdent l’un l’autre, une fugue deBach ainsi qu’une composition dodécaphonique, dès <strong>le</strong> commencement et jusqu’à lafin, sont développées à partir d’un seul noyau, qui est mélodie et accompagnement à lafois.Vingt-trois ans plus tard, quand Roland Manuel demande à Stravinski : « Quel<strong>le</strong>ssont aujourd’hui vos préoccupations majeures ? », celui-ci répond : « Guillaume deMachaut, Heinrich Isaak, Dufay, Pérotin et Webern. » C’est la première fois qu’uncompositeur proclame si nettement l’immense importance de la musique du XII e , duXIV e et du XV e sièc<strong>le</strong> et la rapproche de la musique moderne (de cel<strong>le</strong> de Webern).Quelques années après, G<strong>le</strong>nn Gould donne à Moscou un concert pour <strong>le</strong>sétudiants du conservatoire; après avoir joué Webern, Schönberg et Krenek, il s’adresseà ses auditeurs par un petit commentaire et il dit : « Le plus beau compliment que jepuisse faire à cette musique c’est de dire que <strong>le</strong>s principes qu’on peut y trouver ne sontpas neufs, qu’ils ont au moins cinq cents ans »; puis, il poursuit avec trois fugues deBach. C’était une provocation bien réfléchie : <strong>le</strong> réalisme socialiste, doctrine alorsofficiel<strong>le</strong> en Russie, combattait <strong>le</strong> modernisme au nom de la musique traditionnel<strong>le</strong>;G<strong>le</strong>nn Gould a voulu montrer que <strong>le</strong>s racines de la musique moderne (interdite enRussie communiste) vont beaucoup plus profond que cel<strong>le</strong>s de la musique officiel<strong>le</strong> duréalisme socialiste (qui n’était, en effet, qu’une conservation artificiel<strong>le</strong> du romantismemusical).
Les deux mi-tempsL’histoire de la musique européenne est âgée d’environ un millénaire (si je voisses débuts dans <strong>le</strong>s premiers essais de la polyphonie primitive). L’histoire du romaneuropéen (si je vois son commencement dans l’œuvre de Rabelais et dans cel<strong>le</strong> deCervantes), d’environ quatre sièc<strong>le</strong>s. Quand je pense à ces deux histoires, je ne peuxme libérer de l’impression qu’el<strong>le</strong>s se sont déroulées à des rythmes semblab<strong>le</strong>s, pourainsi dire, en deux mi-temps. Les césures entre <strong>le</strong>s mi-temps, dans l’histoire de lamusique et dans cel<strong>le</strong> du roman, ne sont pas synchrones. Dans l’histoire de la musique,la césure s’étend sur tout <strong>le</strong> XVIII e sièc<strong>le</strong> (l’apogée symbolique de la première moitié setrouvant dans L’Art de la fugue de Bach, <strong>le</strong> commencement de la deuxième dans <strong>le</strong>sœuvres des premiers classiques); la césure dans l’histoire du roman arrive un peu plustard : entre <strong>le</strong> XVIII e et <strong>le</strong> XIX e sièc<strong>le</strong>, à savoir entre, d’un côté, Laclos, Sterne, et del’autre côté, Scott, Balzac. Cet asynchronisme témoigne que <strong>le</strong>s causes <strong>le</strong>s plusprofondes qui régissent <strong>le</strong> rythme de l’histoire des arts ne sont pas sociologiques,politiques, mais esthétiques : liées au caractère intrinsèque de tel ou tel art; comme sil’art du roman, par exemp<strong>le</strong>, contenait deux possibilités différentes (deux façonsdifférentes d’être roman) qui ne pouvaient pas être exploitées en même temps,parallè<strong>le</strong>ment, mais successivement, l’une après l’autre.L’idée métaphorique des deux mi-temps m’est venue autrefois au cours d’uneconversation amica<strong>le</strong> et ne prétend à aucune scientificité; c’est une expérience bana<strong>le</strong>,élémentaire, naïvement évidente : en ce qui concerne la musique et <strong>le</strong> roman, noussommes tous éduqués dans l’esthétique de la deuxième mi-temps. Une messed’Ockeghem ou L’Art de la fugue de Bach sont pour un mélomane moyen aussidiffici<strong>le</strong>s à comprendre que la musique de Webern. Si captivantes que soient <strong>le</strong>urshistoires, <strong>le</strong>s romans du XVIII e sièc<strong>le</strong> intimident <strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur par <strong>le</strong>ur forme, si bien qu’ilssont beaucoup plus connus par des adaptations cinématographiques (qui dénaturentfata<strong>le</strong>ment et <strong>le</strong>ur esprit et <strong>le</strong>ur forme) que par <strong>le</strong> texte. Les <strong>livre</strong>s du romancier <strong>le</strong> pluscélèbre du XVIII e sièc<strong>le</strong>, Samuel Richardson, sont introuvab<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong>s librairies etpratiquement oubliés. Balzac, par contre, même s’il peut paraître vieilli, est toujoursfaci<strong>le</strong> à lire, sa forme est compréhensib<strong>le</strong>, familière au <strong>le</strong>cteur et, bien plus, el<strong>le</strong> est pourlui <strong>le</strong> modè<strong>le</strong> même de la forme romanesque.Le fossé entre <strong>le</strong>s esthétiques des deux mi-temps est la cause d’une multitudede ma<strong>le</strong>ntendus. Vladimir Nabokov, dans son <strong>livre</strong> consacré à Cervantes, donne uneopinion provocativement négative de Don Quichotte : <strong>livre</strong> surestimé, naïf, répétitif etp<strong>le</strong>in d’une insupportab<strong>le</strong> et invraisemblab<strong>le</strong> cruauté; cette « hideuse cruauté » a fait dece <strong>livre</strong> un des « plus durs et plus barbares qu’on ait jamais écrits »; <strong>le</strong> pauvre Sancho,passant d’une bastonnade à l’autre, perd au moins cinq fois toutes ses dents. Oui,Nabokov a raison : Sancho perd trop de dents, mais nous ne sommes pas chez Zola oùune cruauté, décrite exactement et en détail, devient document vrai d’une réalitésocia<strong>le</strong>; avec Cervantes, nous sommes dans un monde créé par <strong>le</strong>s sortilèges duconteur qui invente, qui exagère et qui se laisse emporter par ses fantaisies, par sesoutrances; <strong>le</strong>s cent trois dents cassées de Sancho, on ne peut pas <strong>le</strong>s prendre au piedde la <strong>le</strong>ttre, comme d’ail<strong>le</strong>urs rien dans ce roman. « Madame, un rou<strong>le</strong>au compresseurest passé sur votre fil<strong>le</strong> ! - Bon, bon, je suis dans ma baignoire. Glissez-la-moi sous la
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progressivement (mais avec une rage
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déceler; d’abord à cause du min
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grande que les autres. Ainsi en a d
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en livre les notes destinées à sa
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