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Lire le livre - Bibliothèque

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frivolité ou l’indigence.La situation historique de l’œuvre de Bach révè<strong>le</strong> donc ce que <strong>le</strong>s générationsvenues après étaient en train d’oublier, à savoir que l’Histoire n’est pas nécessairementun chemin qui monte (vers <strong>le</strong> plus riche, <strong>le</strong> plus cultivé), que <strong>le</strong>s exigences de l’artpeuvent être en contradiction avec <strong>le</strong>s exigences du jour (de tel<strong>le</strong> ou tel<strong>le</strong> modernité) etque <strong>le</strong> nouveau (l’unique, l’inimitab<strong>le</strong>, <strong>le</strong> jamais dit) peut se trouver dans une autredirection que cel<strong>le</strong> tracée par ce que tout <strong>le</strong> monde ressent comme étant <strong>le</strong> progrès. Eneffet, l’avenir que Bach a pu lire dans l’art de ses contemporains et de ses cadets devaitressemb<strong>le</strong>r, à ses yeux, à une chute. Quand, vers la fin de sa vie, il se concentraexclusivement sur la polyphonie pure, il tourna <strong>le</strong> dos aux goûts du temps et à sespropres fils-compositeurs; ce fut un geste de défiance envers l’Histoire, un refus tacitede l’avenir.Bach : extraordinaire carrefour des tendances et des problèmes historiques de lamusique. Quelque cent ans avant lui, un pareil carrefour se trouve dans l’œuvre deMonteverdi : cel<strong>le</strong>-ci est <strong>le</strong> lieu de rencontre de deux esthétiques opposées (Monteverdi<strong>le</strong>s appel<strong>le</strong> prima et seconda pratica, l’une fondée sur la polyphonie savante, l’autre,programmatiquement expressive, sur la monodie) et préfigure ainsi <strong>le</strong> passage de lapremière à la deuxième mi-temps.Un autre extraordinaire carrefour des tendances historiques : l’œuvre deStravinski. Le passé millénaire de la musique, qui pendant tout <strong>le</strong> XIX e sièc<strong>le</strong> sortait<strong>le</strong>ntement des brumes de l’oubli, apparut d’emblée, vers <strong>le</strong> milieu de notre sièc<strong>le</strong> (deuxcents ans après la mort de Bach), tel un paysage inondé de lumière, dans toute sonétendue; moment unique où toute l’histoire de la musique est tota<strong>le</strong>ment présente,tota<strong>le</strong>ment accessib<strong>le</strong>, disponib<strong>le</strong> (grâce aux recherches historiographiques, grâce auxmoyens techniques, à la radio, aux disques), tota<strong>le</strong>ment ouverte aux questions scrutantson sens; c’est dans la musique de Stravinski que ce moment du grand bilan mesemb<strong>le</strong> avoir trouvé son monument.Le tribunal des sentimentsLa musique est « impuissante à exprimer quoi que ce soit : un sentiment, uneattitude, un état psychologique », dit Stravinski dans Chronique de ma vie (1935). Cetteaffirmation (certainement exagérée, car comment nier que la musique peut provoquerdes sentiments ?) est précisée et nuancée quelques lignes plus loin : la raison d’être dela musique, dit Stravinski, ne réside pas dans sa faculté d’exprimer <strong>le</strong>s sentiments. Il estcurieux de constater quel<strong>le</strong> irritation a provoquée cette attitude.La conviction qui, contrairement à Stravinski, voyait la raison d’être de lamusique dans l’expression des sentiments existait probab<strong>le</strong>ment depuis toujours, maiss’est imposée comme dominante, communément acceptée et allant de soi, au XVIII esièc<strong>le</strong>; Jean-Jacques Rousseau <strong>le</strong> formu<strong>le</strong> avec une bruta<strong>le</strong> simplicité : la musique,comme tout art, imite <strong>le</strong> monde réel, mais d’une façon spécifique : el<strong>le</strong> « nereprésentera pas directement <strong>le</strong>s choses, mais el<strong>le</strong> excitera dans l’âme <strong>le</strong>s mêmesmouvements qu’on éprouve en <strong>le</strong>s voyant ». Cela exige une certaine structure del’œuvre musica<strong>le</strong>; Rousseau : « Toute la musique ne peut être composée que de cestrois choses : mélodie ou chant, harmonie ou accompagnement, mouvement oumesure. » Je souligne : harmonie ou accompagnement; cela veut dire que tout est

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