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Lire le livre - Bibliothèque

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décrire <strong>le</strong> comique de cette tristesse.Le comique de la sexualité : idée inacceptab<strong>le</strong> pour <strong>le</strong>s puritains ainsi que pour<strong>le</strong>s néo-libertins. Je pense à D.H. Lawrence, à ce chantre d’Éros, à cet évangéliste ducoït qui, dans L’Amant de lady Chatter<strong>le</strong>y, essaie de réhabiliter la sexualité en larendant lyrique. Mais la sexualité lyrique est encore beaucoup plus lisib<strong>le</strong> que lasentimentalité lyrique du sièc<strong>le</strong> passé.Le joyau érotique de L’Amérique est Brunelda. El<strong>le</strong> a fasciné Federico Fellini.Depuis longtemps, il rêve de faire de L’Amérique un film, et dans Intervista il nous a faitvoir la scène du casting pour ce film rêvé : s’y produisent plusieurs incroyab<strong>le</strong>scandidates pour <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> de Brunelda, choisies par Fellini avec ce plaisir exubérant qu’onlui connaît. (Mais j’insiste : ce plaisir exubérant, c’était aussi celui de Kafka. Car Kafkan’a pas souffert pour nous ! Il s’est amusé pour nous !)Brunelda, l’ancienne cantatrice, la « très délicate » qui a « de la goutte dans <strong>le</strong>sjambes ». Brunelda aux petites mains grasses, au doub<strong>le</strong> menton, « démesurémentgrosse ». Brunelda qui, assise, <strong>le</strong>s jambes écartées, « au prix de grands efforts, ensouffrant beaucoup et en se reposant souvent », se penche pour « attraper <strong>le</strong> bordsupérieur de ses bas ». Brunelda qui retrousse sa robe et, avec l’our<strong>le</strong>t, sèche <strong>le</strong>s yeuxde Robinson en train de p<strong>le</strong>urer. Brunelda incapab<strong>le</strong> de monter deux ou trois marcheset qui doit être portée - spectac<strong>le</strong> dont Robinson fut si impressionné que, toute sa viedurant, il soupirera : « Ah ce qu’el<strong>le</strong> était bel<strong>le</strong>, cette femme, ah, grands dieux, qu’el<strong>le</strong>était bel<strong>le</strong> ! » Brunelda debout dans la baignoire, nue, lavée par Delamarche, seplaignant et geignant. Brunelda couchée dans la même baignoire, furieuse et donnantdes coups de poing dans l’eau. Brunelda que deux hommes mettront deux heures àdescendre par l’escalier pour la déposer dans un fauteuil roulant que Karl va pousser àtravers la vil<strong>le</strong> vers un endroit mystérieux, probab<strong>le</strong>ment un bordel. Brunelda qui, dansce véhicu<strong>le</strong>, est entièrement recouverte d’un châ<strong>le</strong>, si bien qu’un flic la prend pour dessacs de pommes de terre.Ce qui est nouveau dans ce dessin de la grosse laideur c’est qu’el<strong>le</strong> est attirante;morbidement attirante, ridicu<strong>le</strong>ment attirante, mais pourtant attirante; Brunelda est unmonstre de sexualité à la frontière du répugnant et de l’excitant, et <strong>le</strong>s cris d’admirationdes hommes ne sont pas seu<strong>le</strong>ment comiques (ils sont comiques, bien sûr, la sexualitéest comique !), mais en même temps tout à fait vrais. On ne s’étonne pas que Brod,adorateur romantique des femmes, pour qui <strong>le</strong> coït n’était pas réalité mais « symbo<strong>le</strong> dusentiment », n’ait pu voir rien de vrai dans Brunelda, pas l’ombre d’une expérienceréel<strong>le</strong>, mais seu<strong>le</strong>ment la description des « horrib<strong>le</strong>s punitions destinées à ceux qui nesuivent pas <strong>le</strong> bon chemin ».7.La plus bel<strong>le</strong> scène érotique que Kafka ait écrite se trouve au troisième chapitredu Château : l’acte d’amour entre K. et Frieda. À peine une heure après avoir vu pour lapremière fois cette « petite blonde insignifiante », K. l’étreint derrière <strong>le</strong> comptoir « dans<strong>le</strong>s flaques de bière et <strong>le</strong>s autres sa<strong>le</strong>tés dont <strong>le</strong> sol était couvert ». La sa<strong>le</strong>té : el<strong>le</strong> estinséparab<strong>le</strong> de la sexualité, de son essence.Mais, immédiatement après, dans <strong>le</strong> même paragraphe, Kafka nous fait entendrela poésie de la sexualité : « Là, s’en allaient des heures, des heures d’ha<strong>le</strong>inescommunes, de battements de cœur communs, des heures durant <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s K. avait

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