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Lire le livre - Bibliothèque

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onheur rare qu’illumine l’humour) était terminée; après la Seconde Guerre mondia<strong>le</strong>,seuls <strong>le</strong>s très vieux maîtres Matisse et Picasso ont su, contre l’esprit du temps, <strong>le</strong>garder encore dans <strong>le</strong>ur art.Dans cette énumération des grandes œuvres du bonheur, je ne peux oublier lamusique de jazz. Tout <strong>le</strong> répertoire de jazz consiste en des variations d’un nombrerelativement limité de mélodies. Ainsi, dans toute la musique de jazz on peut entrevoirun sourire qui s’est faufilé entre la mélodie originel<strong>le</strong> et son élaboration. De même queStravinski, <strong>le</strong>s grands maîtres du jazz aimaient l’art de la transcription ludique, et ilscomposèrent <strong>le</strong>urs propres versions non seu<strong>le</strong>ment des vieux songs nègres, mais ausside Bach, de Mozart, de Chopin; Ellington fait ses transcriptions de Tchaïkovski et deGrieg, et, pour sa Uwis Suite, il compose une variante de polka de village qui, par sonesprit, rappel<strong>le</strong> Petrouchka. Le sourire est non seu<strong>le</strong>ment présent d’une façon invisib<strong>le</strong>dans l’espace qui sépare Ellington de son « portrait » de Grieg, mais il est tout à faitvisib<strong>le</strong> sur <strong>le</strong>s visages des musiciens du vieux Dixieland : quand vient <strong>le</strong> moment de sonsolo (qui est toujours en partie improvisé, c’est-à-dire qui apporte toujours dessurprises), <strong>le</strong> musicien s’avance un peu pour céder ensuite sa place à un autremusicien et s’adonner lui-même au plaisir de l’écoute (au plaisir d’autres surprises).Dans <strong>le</strong>s concerts de jazz on applaudit. Applaudir veut dire : je t’ai écoutéattentivement et maintenant je te dis mon estime. La musique dite de rock change lasituation. Fait important : aux concerts de rock on n’applaudit pas. Ce serait presque unsacrilège d’applaudir et de donner ainsi à voir la distance critique entre celui qui joue etcelui qui écoute; ici, on est non pas pour juger et pour apprécier mais pour se <strong>livre</strong>r à lamusique, pour crier avec <strong>le</strong>s musiciens, pour se confondre avec eux; ici, on cherchel’identification, pas <strong>le</strong> plaisir; l’effusion, pas <strong>le</strong> bonheur. Ici on s’extasie : <strong>le</strong> rythme estbattu très fortement et régulièrement, <strong>le</strong>s motifs mélodiques sont courts et sans cesserépétés, il n’y a pas de contrastes dynamiques, tout est fortissimo, <strong>le</strong> chant préfère <strong>le</strong>sregistres <strong>le</strong>s plus aigus et ressemb<strong>le</strong> au cri. Ici, on n’est plus dans de petits dancings oùla musique enferme <strong>le</strong>s coup<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong>ur intimité; ici on est dans de grandes sal<strong>le</strong>s,dans des stades, serré l’un sur l’autre, et, si on danse en boîte, il n’y a pas de coup<strong>le</strong>s :chacun fait ses mouvements à la fois seul et avec tous. La musique transforme <strong>le</strong>sindividus en un seul corps col<strong>le</strong>ctif : par<strong>le</strong>r ici d’individualisme et d’hédonisme n’est quel’une des automystifications de notre époque qui veut se voir (comme d’ail<strong>le</strong>urs toutes<strong>le</strong>s époques <strong>le</strong> veu<strong>le</strong>nt) différente de ce qu’el<strong>le</strong> est.La scanda<strong>le</strong>use beauté du malCe qui m’irrite chez Adorno, c’est la méthode du court-circuit qui relie avec uneredoutab<strong>le</strong> facilité <strong>le</strong>s œuvres d’art à des causes, à des conséquences ou à dessignifications politiques (sociologiques); <strong>le</strong>s réf<strong>le</strong>xions extrêmement nuancées (<strong>le</strong>sconnaissances musicologiques d’Adorno sont admirab<strong>le</strong>s) conduisent ainsi à desconclusions extrêmement pauvres; en effet, vu que <strong>le</strong>s tendances politiques d’uneépoque sont toujours réductib<strong>le</strong>s à deux seu<strong>le</strong>s tendances opposées, on finit fata<strong>le</strong>mentpar classer une œuvre d’art ou du côté du progrès ou du côté de la réaction; et parceque la réaction c’est <strong>le</strong> mal, l’inquisition peut ouvrir ses procès.Le Sacre du printemps : un bal<strong>le</strong>t qui se termine par <strong>le</strong> sacrifice d’une jeune fil<strong>le</strong>qui doit mourir pour que <strong>le</strong> printemps ressuscite. Adorno : Stravinski est du côté de la

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