13.07.2015 Views

Lire le livre - Bibliothèque

Lire le livre - Bibliothèque

Lire le livre - Bibliothèque

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

en <strong>livre</strong> <strong>le</strong>s notes destinées à sa mise en scène al<strong>le</strong>mande de Fin de partie afin qu’el<strong>le</strong>reste fixée à jamais. Son éditeur et ami, Jérôme Lindon, veil<strong>le</strong>, si nécessaire au prix deprocès, à ce que sa volonté d’auteur soit respectée, même après sa mort.Cet effort maximal pour donner à une œuvre un aspect définitif, complètementachevé et contrôlé par l’auteur, n’a pas son pareil dans l’Histoire. Comme si Stravinskiet Beckett ne voulaient pas seu<strong>le</strong>ment protéger <strong>le</strong>ur œuvre contre la pratique courantedes déformations, mais encore contre un avenir de moins en moins disposé à respecterun texte ou une partition; comme s’ils voulaient donner l’exemp<strong>le</strong>, l’ultime exemp<strong>le</strong> dece qu’est la conception suprême de l’auteur, de l’auteur qui exige la réalisation entièrede ses volontés.Kafka a envoyé <strong>le</strong> manuscrit de sa Métamorphose à une revue dont <strong>le</strong> rédacteur,Robert Musil, fut prêt à la publier sous la condition que l’auteur l’abrégeât. (Ah ! tristesrencontres des grands écrivains !) La réaction de Kafka fut glacia<strong>le</strong> et aussi catégoriqueque cel<strong>le</strong> de Stravinski envers Ansermet. Il pouvait supporter l’idée de ne pas êtrepublié mais l’idée d’être publié et mutilé lui fut insupportab<strong>le</strong>. Sa conception de l’auteurétait aussi absolue que cel<strong>le</strong> de Stravinski et de Beckett, mais si ceux-ci ont plus oumoins réussi à imposer la <strong>le</strong>ur, lui il échoua. Dans l’histoire du droit d’auteur, cet échecest un tournant.Quand Brod a publié, en 1925, dans sa Postface de la première édition duProcès, <strong>le</strong>s deux <strong>le</strong>ttres connues comme étant <strong>le</strong> testament de Kafka, il a expliqué queKafka savait bien que ses souhaits ne seraient pas exaucés. Admettons que Brod ait ditvrai, que vraiment ces deux <strong>le</strong>ttres n’aient été qu’un simp<strong>le</strong> geste d’humeur, et qu’ausujet d’une éventuel<strong>le</strong> (très peu probab<strong>le</strong>) publication posthume de ce que Kafka avaitécrit tout ait été clair entre <strong>le</strong>s deux amis; en ce cas, Brod, exécuteur testamentaire,pouvait prendre sur lui toute responsabilité et publier ce que bon lui semblait; en ce cas,il n’avait aucun devoir moral de nous informer de la volonté de Kafka qui, selon lui,n’était pas valab<strong>le</strong> ou était dépassée.Il s’est pourtant hâté de publier ces <strong>le</strong>ttres « testamentaires » et de <strong>le</strong>ur donnertout <strong>le</strong> retentissement possib<strong>le</strong>; en effet, il était déjà en train de créer la plus grandeœuvre de sa vie, son mythe de Kafka, dont l’une des pièces maîtresses étaitprécisément cette volonté, unique dans toute l’Histoire, la volonté d’un auteur qui veutanéantir toute son œuvre. Et c’est ainsi que Kafka est gravé dans la mémoire du public.En concordance avec ce que Brod nous fait croire dans son roman mythographe où,sans nuance aucune, Garta-Kafka veut détruire tout ce qu’il a écrit; à cause de soninsatisfaction artistique ? ah non, <strong>le</strong> Kafka de Brod est un penseur religieux; rappelons<strong>le</strong>: voulant non pas proclamer, mais « vivre sa foi », Garta ne prêtait pas grandeimportance à ses écrits, « pauvres échelons qui devaient l’aider à monter vers <strong>le</strong>scimes ». Nowy-Brod, son ami, refuse de lui obéir car même si ce que Garta a écritn’était que « de simp<strong>le</strong>s essais », ceux-ci pouvaient aider des « hommes errant dans lanuit », dans <strong>le</strong>ur quête du « bien supérieur et irremplaçab<strong>le</strong> ».Avec <strong>le</strong> « testament » de Kafka, la grande légende du saint Kafka-Garta est née,et avec el<strong>le</strong> aussi une petite légende de son prophète Brod qui, avec une honnêtetépathétique, rend publique la dernière volonté de son ami en confessant en même tempspourquoi, au nom de très hauts principes (« <strong>le</strong> bien supérieur et irremplaçab<strong>le</strong> »), il s’estdécidé à ne pas lui obéir. Le grand mythographe a gagné son pari. Son acte fut é<strong>le</strong>vé

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!