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historique s’est estompé; el<strong>le</strong> semb<strong>le</strong> inclassab<strong>le</strong>; tel un beau jardin situé à côté del’Histoire; la question de sa place dans l’évolution (mieux : dans la genèse) de lamusique moderne, on ne la pose même pas.Si dans <strong>le</strong> cas de Broch, de Musil, de Gombrowicz, et dans un certain sens deBartók, <strong>le</strong>ur reconnaissance a été tardive à cause des catastrophes historiques(nazisme, guerre), pour Janacek c’est sa petite nation qui s’est entièrement chargéed’assumer <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> des catastrophes.Les petites nations. Ce concept n’est pas quantitatif : il désigne une situation; undestin : <strong>le</strong>s petites nations ne connaissent pas la sensation heureuse d’être là depuistoujours et à jamais; el<strong>le</strong>s sont toutes passées, à tel ou tel moment de <strong>le</strong>ur histoire, parl’antichambre de la mort; toujours confrontées à l’arrogante ignorance des grands, el<strong>le</strong>svoient <strong>le</strong>ur existence perpétuel<strong>le</strong>ment menacée ou mise en question; car <strong>le</strong>ur existenceest question.Dans <strong>le</strong>ur majorité, <strong>le</strong>s petites nations européennes se sont émancipées et sontarrivées à <strong>le</strong>ur indépendance au cours des XIX e et XX e sièc<strong>le</strong>s. Leur rythme d’évolutionest donc spécifique. Pour l’art, cette asynchronie historique a souvent été ferti<strong>le</strong> enpermettant l’étrange té<strong>le</strong>scopage d’époques différentes : ainsi Janacek et Bartokparticipèrent-ils avec ardeur à la lutte nationa<strong>le</strong> de <strong>le</strong>urs peup<strong>le</strong>s; c’est <strong>le</strong>ur côté XIX esièc<strong>le</strong> : un sens extraordinaire du réel, un attachement aux classes populaires, à l’artpopulaire, un rapport plus spontané au public; ces qualités, alors disparues de l’art desgrands pays, se lièrent avec l’esthétique du modernisme en un mariage surprenant,inimitab<strong>le</strong>, heureux.Les petites nations forment une « autre Europe » dont l’évolution est encontrepoint à cel<strong>le</strong> des grandes. Un observateur peut être fasciné par l’intensité souventétonnante de <strong>le</strong>ur vie culturel<strong>le</strong>. Là, se manifeste l’avantage de la petitesse : la richesseen événements culturels est à la « mesure humaine »; tout <strong>le</strong> monde est capab<strong>le</strong>d’embrasser cette richesse, de participer à la totalité de la vie culturel<strong>le</strong>; c’est pourquoi,dans ses meil<strong>le</strong>urs moments, une petite nation peut évoquer la vie d’une cité grecqueantique.Cette participation possib<strong>le</strong> de tous à tout peut évoquer autre chose : la famil<strong>le</strong>;une petite nation ressemb<strong>le</strong> à une grande famil<strong>le</strong> et el<strong>le</strong> aime se désigner ainsi. Dans lalangue du plus petit peup<strong>le</strong> européen, en islandais, la famil<strong>le</strong> se dit : fjöl-skylda;l’étymologie est éloquente : skylda veut dire : obligation ;fjöl veut dire : multip<strong>le</strong>. Lafamil<strong>le</strong> est donc une obligation multip<strong>le</strong>. Les Islandais ont un seul mot pour dire : <strong>le</strong>sliens familiaux : fjöl-skyldubönd : <strong>le</strong>s ficel<strong>le</strong>s (bond) des obligations multip<strong>le</strong>s. Dans lagrande famil<strong>le</strong> d’une petite nation, l’artiste est donc ligoté de multip<strong>le</strong>s façons, par demultip<strong>le</strong>s ficel<strong>le</strong>s. Quand Nietzsche malmène bruyamment <strong>le</strong> caractère al<strong>le</strong>mand, quandStendhal proclame qu’il préfère l’Italie à sa patrie, aucun Al<strong>le</strong>mand, aucun Français nes’en offense; si un Grec ou un Tchèque osait dire la même chose, sa famil<strong>le</strong>l’anathématiserait comme un détestab<strong>le</strong> traître.Dissimulées derrière <strong>le</strong>urs langues inaccessib<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s petites nationseuropéennes (<strong>le</strong>ur vie, <strong>le</strong>ur histoire, <strong>le</strong>ur culture) sont très mal connues; on pense, toutnaturel<strong>le</strong>ment, que là réside <strong>le</strong> handicap principal pour la reconnaissance internationa<strong>le</strong>de <strong>le</strong>ur art. Or, c’est <strong>le</strong> contraire : cet art est handicapé parce que tout <strong>le</strong> monde (lacritique, l’historiographie, <strong>le</strong>s compatriotes comme <strong>le</strong>s étrangers) <strong>le</strong> col<strong>le</strong> sur la grande

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