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L'exigence d'égalité - Rencontres Internationales de Genève

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L’exigence d’égalité<br />

moins que ce que me présente autrui que je me sens élevé. Oui,<br />

paradoxalement, je ne suis pas dépossédé <strong>de</strong> moi parce que je suis dans une<br />

relation absolument dissymétrique. Je dirais même qu’à la limite, peu importe<br />

ce que j’admire ou l’auteur <strong>de</strong> ce que j’admire, l’essentiel étant qu’il y ait un peu<br />

plus <strong>de</strong> beauté ou <strong>de</strong> courage dans le mon<strong>de</strong>. Et une fois <strong>de</strong> plus, je ne vois pas<br />

ce que l’égalité viendrait y faire.<br />

Mais je ne voulais pas tenir <strong>de</strong> propos aussi philosophiques et j’aurais voulu<br />

me livrer, plutôt, à une rêverie scolaire, pédagogique. J’aurais voulu montrer,<br />

par exemple, qu’une école primaire comme celle que j’ai fréquentée — et que<br />

vous avez peut-être aussi fréquentée — était certes une école hautement<br />

hiérarchisée, ritualisée, mais qu’elle respectait pourtant au mieux l’être humain.<br />

Voilà donc un nouveau paradoxe, sorte <strong>de</strong> contre-utopie à l’égard <strong>de</strong>s modèles<br />

qu’on nous présente. Car comment se présentait cette école ? Il y avait le<br />

maître, le maître au singulier, dans sa singularité superbe et terrible, il n’y avait<br />

que lui. Il possédait tout le savoir. Les maîtres que j’ai connus n’avaient pas<br />

l’humilité actuelle <strong>de</strong> ceux qui disent connaître très peu <strong>de</strong> choses. Et il était très<br />

beau qu’ils s’i<strong>de</strong>ntifient ainsi au savoir, connaissant aussi bien la géographie <strong>de</strong><br />

la Bessarabie que le calcul algébrique. Le maître terrible. Il pouvait nous faire<br />

taire, nous faire venir au tableau, nous mettre à la porte, il pouvait nous donner<br />

<strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> règle, il avait le droit superbe d’inscrire le jour, chaque matin. Tel<br />

l’empereur <strong>de</strong> Chine, il instituait le jour...<br />

L’enfant était-il dominé pour autant ? Etait-il écrasé ? Nos pédagogues<br />

mo<strong>de</strong>rnes seraient certes effrayés et dénonceraient ce premier joug, cette<br />

servilité, cette compétition que la société bourgeoise va ensuite reproduire<br />

(vous voyez aisément ce qu’un Bourdieu pourrait tirer d’un tel examen !). Or,<br />

personnellement, je dirais plutôt que c’est parce que le maître était superbe,<br />

exilé hors <strong>de</strong> nos sphères, que jamais personne n’aurait pu se détacher <strong>de</strong>s<br />

autres. Le groupe gardait son homogénéité. Nous étions tous semblables. Aucun<br />

d’entre nous ne pouvait se signaler aux yeux du maître. Mais, me direz-vous,<br />

voilà le meilleur exemple <strong>de</strong> soumission ! Je ne crois pas car, d’abord, et malgré<br />

tout, il y avait <strong>de</strong>s sourires, <strong>de</strong>s silences, <strong>de</strong>s manières <strong>de</strong> s’absenter loin du<br />

regard du maître, ensuite, ce maître était tellement lointain, qu’on ne pouvait se<br />

comparer à lui. Car, peut-être, Rousseau le disait déjà, le comparable est-il la<br />

source <strong>de</strong> bien <strong>de</strong>s déviations...<br />

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