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L'exigence d'égalité - Rencontres Internationales de Genève

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L’exigence d’égalité<br />

d’égalité qu’au prix d’une forme d’inégalité. Il n’y a d’assimilation qu’au nom <strong>de</strong><br />

la différence proclamée. Je veux dire qu’en même temps que nous <strong>de</strong>vons<br />

exiger une émancipation féminine vers le public, vers le social, il faut veiller<br />

aussi à une certaine privatisation <strong>de</strong> nos vies. La spécialité <strong>de</strong>s femmes, leur<br />

singularité, leurs droits, c’est cette double liberté, c’est la conjonction du désir<br />

maternel et domestique, <strong>de</strong> l’amour <strong>de</strong> la vie que l’on crée, et du besoin <strong>de</strong>s<br />

« relations longues » comme dit Paul Ricœur. Cette part privée, je sais, on s’en<br />

moque aujourd’hui. On juge cela rétro et réac. Mais c’est être réac et rétro que<br />

<strong>de</strong> défendre le faible contre le fort, car tel est bien ce qui se passe !<br />

Se moquer <strong>de</strong> cette part privée, c’est un jugement <strong>de</strong> classe sociale qui ne<br />

voit <strong>de</strong> progrès que dans son émancipation. Cette classe sociale, en effet, a<br />

souffert <strong>de</strong> l’enfermement et <strong>de</strong> l’oisiveté. Or, l’histoire nous montre que<br />

l’injustice qui a frappé la femme en Europe a davantage consisté à empêcher sa<br />

maternité qu’à la lui imposer. La sujétion féminine revêt <strong>de</strong>ux formes : la<br />

maternité obligée et la maternité interdite. On s’occupe <strong>de</strong> la promotion <strong>de</strong>s<br />

populations les plus cultivées et c’est fort bien. Mais on se désintéresse <strong>de</strong>s<br />

maternités prolétariennes qui, historiquement, sont un gâchis et un scandale<br />

complètement occulté par les historiens : et c’est la gloire <strong>de</strong> Michelet, là<br />

encore. Tandis que les romantiques méditaient sur leurs langueurs, lui daignait<br />

considérer le sort <strong>de</strong> l’ouvrier. Mais sait-on qu’en 1848, dans une cité<br />

manufacturière du Nord <strong>de</strong> la France, la moyenne <strong>de</strong> vie en milieu ouvrier était<br />

<strong>de</strong> vingt-sept ans ?<br />

Aujourd’hui, il faut se battre pour promouvoir les femmes, mais il faut aussi<br />

se battre pour assurer cette autre promotion <strong>de</strong> la vie privée. Je crie grâce pour<br />

elles. Que faisons-nous à les pousser bravement dans la Cité, sinon, dans les<br />

conditions actuelles, prolétariser jusqu’aux classes supérieures <strong>de</strong> la société, par<br />

ces <strong>de</strong>ux vies qu’on leur fait mener, <strong>de</strong>ux vies à part entière, et juxtaposées ? Et<br />

quand, un jour, il leur échappe un soupir <strong>de</strong> fatigue, il y a toujours quelqu’un<br />

pour leur dire : tu l’as voulu ! lui rappelant ainsi, selon une idée <strong>de</strong> toujours,<br />

que seule la nécessité <strong>de</strong> travailler excuse la femme pauvre et que les autres ne<br />

font que flatter leur caprice.<br />

Notre problème est celui <strong>de</strong> cette conciliation <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux vies. Les solutions ne<br />

sont pas, quoi qu’on dise, seulement dans ces installations collectives, crèches<br />

et autres gar<strong>de</strong>ries, car qu’est-ce qu’une crèche ? Une délivrance sans doute,<br />

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