La Femme De Papier

gentil à ces yeux-là de poser ce genre de question, et j’ai
arrosé ma gratitude soudaine d’une grande lampée de Kir
royal. J’ai trouvé la force de sourire, et j’ai encore trinqué,
à mon assurance retrouvée. Il a souri aussi. Nouvelle
gorgée. À toi, mon bonhomme, et à l’incongruité de cette
situation !
Dans les films du dimanche soir (drame social et
psychologique, pour adultes et adolescents), dans les
pièces qui ont fait pleurer Margot, dans les romans à
quatre sous (tout un monde d’évasion !), une héroïne
éplorée, en proie à la diabolique tentation de la vérité, se
tord les mains en avouant : « Mon beau et noble chéri, je
ne suis pas digne de ton amour : je n’ai jamais travaillé à
la manufacture de la ville voisine, mais je fais le trottoir
depuis que j’ai quinze ans ! » Quant à moi, j’étais attablée
en face d’un inconnu, auquel j’avais envie de révéler :
« Vous allez être horriblement déçu, mais je ne suis pas
une putain ! » L’absurdité a quelque chose de grisant. Le
Kir royal aussi. Il ne me restait plus qu’à boire à mon
ivresse, et j’ai bu.
Heureusement, l’alcool ne m’a pas fait perdre les
pédales. Je n’aurais tout de même pas voulu, après ma
réserve du début, me mettre à extravaguer sans
transition. Ce gars-là était prêt à payer une somme
importante (ma vanité buvait un petit-lait qui me
tourneboulait soudain autant que le champagne) pour
passer une soirée avec une fille « intéressante », et j’avais
à cœur de mériter l’adjectif. Il avait peut-être été tenté de
me trouver gourde, pas question qu’il me prît à présent
pour une hystérique ! Pas encore à pied d’œuvre, et déjà