La Femme De Papier

café ne m’a paru plus sombre. Telle une Madame Irma
désolée et tragique, je m’y penche et y découvre mon
destin, d’un œil noyé. Sais-tu bien, sale maquereau collé à
ton judas infâme, que ce type-là a demandé une pute
intellectuelle, une fille « intéressante » pour lui chier dans
les doigts ? Réalises-tu que je me suis habillée, coiffée,
maquillée, pomponnée pour écouter les divagations d’un
énergumène plus malade que médecin, qui se retient de
déféquer depuis soixante-douze heures, et pour récolter
entre mes mains le fruit de son sacrifice ?… Pour un coup
d’essai, c’est parfaitement réussi. Tu crois vraiment que
ça va te faire triquer, dans ta cachette, d’assister à cette
comédie sinistre ? Ah ! J’aurais mieux fait d’aller tapiner
au coin d’une rue pourrie ! J’aurais poireauté comme une
honnête grue, un pied contre le mur, j’aurais levé un gars
très banal, un ouvrier de chantier par exemple, un Arabe,
tiens ! Il m’aurait suivie dans l’escalier dégueulasse, dans
la chambre sinistre, se serait lavé la queue dans un bidet
jaunâtre, et je lui aurais taillé une bonne pipe des familles,
pendant que, planqué derrière le rideau fleuri de la
penderie, tu aurais zieuté en t’astiquant le manche. C’était
pas mieux comme ça ?
Pute de luxe ! Parle-moi d’un plaisir et d’une
invention ! Moi qui m’imaginais qu’il suffirait de citer
Baudelaire en écartant les jambes, quelle naïveté !
Je rassemble les tasses, le sucre, le café, ma vaillance
et mon dégoût, et, puisant celle-là dans celui-ci, je
réapparais dans le salon.
Ma parturiente s’est déshabillée, elle a enfilé la
chemise d’opéré, elle n’a que la bite qui dépasse…