La Femme De Papier

chanterai pas La Carmagnole, ce soir… Où es-tu, mon
cher soudard, mon seigneur et reître, mon conquérant ?
Je sens venir la nostalgie, la névralgie. La voilà, la rage
de dents ! mal de dents, mal d’amour… J’ai mal d’avoir
perdu un arquebusier génial, un grognard infatigable, un
fervent partisan de l’attaque, un champion de la charge et
de la décharge, un boute-feu, un boute-entrain qui n’a pas
peur des étymologies, un bagarreur, fracasseur,
enfonceur, défonceur, sabreur, braquemardeur, un Attila
de l’amour, qui m’a laissée vide et sans défense, mais
avide encore de nouvelles batailles…
J’ai le cœur et le corps endeuillés tout à coup, je suis
comme Andromaque à la cour d’Epire, lasse, et solitaire,
inconsolable veuve d’un guerrier trop aimé, trop bouillant,
trop fougueux… « Seigneur, c’est un exil que mes pleurs
vous demandent… »
À mon tour de rouler sur le côté du lit… Je viens de
réinventer la guerre de Troie, la guerre de trois, quand
Hector est trop loin, et Pyrrhus ridicule. Finies mes
campagnes, finis mes trophées, mes chimères… L’heure
de gloire est passée, les braves s’en sont allés…
Il fait froid, tout à coup, dans la chambre. C’est la
retraite de Russie, avec, entre les deux héros dérisoires
d’une vengeance ratée, le silence des glaces… Waterloo,
Waterloo, morne plaine…
Le coup d’éclat a lamentablement échoué et, le nez au
mur, je m’applique à m’en désoler, sourde obstinément à
cette symphonie triomphante qui voudrait éclater en moi.
Quelle piètre insurgée je fais !
Derrière moi, un faible soupir trouble l’insondable