La Femme De Papier

m’en vouloir si un jour je m’en vais… » Et j’ai accepté de
toi, de toi seul, ce qui m’aurait blessée d’un autre ; mieux
qu’accepté, je l’ai savouré…
À n’importe qui ma susceptibilité offensée aurait
répondu : « Et pourquoi ne partirais-je pas la première ?
… » Mais de toi je savais exactement ce que la formule
signifiait, et je m’enivrais à l’analyser.
Car c’était une déclaration que tu me faisais là, à n’en
pas douter. Une déclaration des plus osées, une façon de
suggérer : « Et si, un jour, je t’aimais jusqu’au danger, si je
t’aimais jusqu’à la nécessité de la rupture ?… » Cette
pensée, digne de Napoléon qui disait déjà : « En amour, il
n’y a qu’un héroïsme : la fuite ! », cette pensée impériale
et délicate, cette façon d’avouer et de te rétracter
ensemble demeure pour moi un joyau sans prix, la bague
de fiançailles que tu ne m’offriras jamais, la non-demande
en mariage d’un homme qui se sent au bord de la
passion, et se prépare pourtant à n’y jamais céder.
Voilà comment j’ai compris ce : « Il ne faudra pas m’en
vouloir si un jour je m’en vais » ; voilà pourquoi cette
prière est restée à mes yeux la chose la plus inouïe que tu
aies jamais prononcée, le moment le plus torride de notre
roman libertin…
Non, mon tendre amant, je ne t’en voudrai pas, tu es
libre de tes mouvements, de ton âme et de ton cœur, libre
de tes inquiétudes et de tes scrupules, libre aussi de tout
remords, car j’aurais ce stoïcisme, s’il le fallait pour te
plaire, de jurer comme Cyrano au moment où il meurt :
« Non, non, mon cher amour, je ne vous aimais pas !… »
Et tu m’as reprise encore, pour conjurer l’émotion,