La Femme De Papier

laisse tomber… Je prenais patience en pariant avec
l’absurde, pendant que mon chevelu s’éloignait, hélas,
toujours de dos, en direction des flippers, où il commença
à tortiller son délicieux derrière au rythme des sonneries
de la machine.
Il ne me restait plus que le subterfuge des toilettes
dont l’entrée voisinait avec ces engins d’enfer. Attention,
j’arrive sur lui, je vais le dépasser, il faut que je me
retourne… Ça y est, vu ! Pas l’ombre d’un bouton, seize
ans à tout casser, une jolie petite gueule arabe à n’en plus
pouvoir, les sourcils épais, veloutés, présentement froncés
dans la lutte au corps à corps avec cette garce de verre et
de métal qui gémit et explose sous ses doigts. Il ne m’a
pas repérée ; j’ai seulement intrigué au passage deux ou
trois de ses acolytes moins passionnés que lui par les râles
de la babasse…
Le temps de rectifier une mèche de cheveux dans la
glace, et me revoici. Attention, c’est encore moi, pardon,
ne vous dérangez pas. (Mais si ! Dérangez-vous, dérangetoi,
idiot, regarde-moi !) Et cette fois, je m’arrête
imperceptiblement pour le dévisager. Tête baissée,
grimace de concentration, un petit bout de langue au coin
des lèvres, il ne me remarque toujours pas. Comment
vais-je rivaliser avec cette damnée mécanique ?
Heureusement, il y a les copains. On lui parle tout bas,
en coulissant un œil dans ma direction. On lui donne
même un coup de coude. Merci, les gars, c’est gentil de
votre part ! Il lâche la machine, tord un peu le cou,
m’aperçoit. Bien sûr, je ne baisse pas les yeux. Il faut que
je lui dise le maximum de choses rien qu’en le fixant.