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Dans l’épaisseur de cette nuit où tu te tordais en<br />
m’appelant, je ne me sentis plus femme. Une autre fois,<br />
guidée par l’instinct puissant de mon ventre trop vide, je<br />
me serais assise très vite sur cette queue farouche et<br />
incandescente, que je tenais à peine dans ma main, et,<br />
même attaché, tu serais resté le mâle, celui qui agresse et<br />
pénètre, celui qui envahit tout, le bras qui profane et la<br />
bouche qui crache, et moi, même sur toi, même libre de<br />
mes mouvements, j’aurais été une fois de plus la femelle,<br />
le vide à combler, le trou qu’on remplit, la bouche qu’on<br />
force et qu’on abreuve…<br />
Cependant, ce soir-là, j’ignorais mes organes et ma<br />
féminité. Mon ventre ne battait pas la chamade,<br />
n’attendait pas tes coups de boutoir, ne frémissait pas du<br />
désir de t’avaler… Mon corps tout entier avait disparu,<br />
j’étais sorcière, ou plutôt sorcier ; envolés mes contours<br />
trop doux, trop flous, effacées les rondeurs de mes seins<br />
et de mes hanches, anéanties les pulsations de cette<br />
conque marine, au bas de mon ventre, qui vit et respire et<br />
mouille comme une moule… Et pendant que tu me<br />
réclamais de la voix et du mouvement – une voix très<br />
douce, inhabituelle, soumise et rauque, un mouvement de<br />
bassin qui te soulevait du lit et t’y ramenait très<br />
rythmiquement – j’assistai à cet étrange miracle que<br />
j’avais tant souhaité : je te vis devenir femme, alors que<br />
toute féminité venait de m’abandonner. Entends bien : tu<br />
n’étais pas efféminé, pas amolli, pas amoindri, pas mignon.<br />
Tu étais femme avec ta queue jusqu’au ciel et tes hanches<br />
étroites, avec tes jambes nerveuses et velues, et tes bras<br />
forts. Tu étais femme dans ton délire, dans ton besoin,